Par Philippe Bertinchamps
Ivica Dačić, le ministre de l’Intérieur, l’avait dit et redit : la Gay Pride de Belgrade, prévue dimanche 20 septembre à 11 heures, serait une parade à « haut risque ». Selon nos informations, un dispositif de 7000 policiers était prévu, alors que les organisateurs de la manifestation s’attendaient à la présence de 300 à 500 participants – ce qui a fait dire à plus d’un que la parade serait avant tout celle des forces de l’ordre… Plus de 150 journalistes serbes et étrangers étaient accrédités. La Gay Pride avait reçu le soutien des ambassades des Pays-Bas, de la Suède, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne, ainsi que de l’OSCE, du Conseil de l’Europe et des Nations Unies. William Infante, coordinateur permanent de l’ONU en Serbie, avait rappelé que les « droits de l’homme sont universels et inaliénables » et que ces deux principes d’universalité et de non-discrimination devaient être respectés. Lundi dernier, l’association de défense des droits de l’homme Amnesty international s’était inquiétée des « menaces sérieuses » reçues par les organisateurs. Pour beaucoup, la marche des fiertés apparaissait comme un test pour la démocratie.
« L’État réagira à la violence », avait prévenu le Président serbe Boris Tadić. Jeudi soir dans le centre de Belgrade, en marge d’un match d’Europe League, une trentaine de supporteurs du club de football Partizan s’en étaient pris à des Toulousains qu’ils avaient molestés. Une attaque apparemment soigneusement orchestrée. Un Français de 28 ans, Brice Taton, a été admis aux urgences, gravement blessé à la tête et au thorax. Il a été opéré vendredi et se trouverait toujours dans un état critique. Depuis, onze personnes, dont le principal auteur des violences, ont été arrêtées par la police. Face à la pression, Dragan Đilas, le maire de Belgrade, avait qualifié cette agression de « terrible ». « Au nom des Belgradois, j’appelle la police, la justice et les cercles sportifs à proscrire les organisations qui ont recours à la violence. Ceux qui cherchent à se battre et à tuer doivent être jetés en prison », a-t-il martelé. Ces dernières semaines, à trois reprises, des hooligans ont attaqué des véhicules de transport en commun, faisant trois blessés : un père et son fils, et une jeune fille de 16 ans. « L’État et les autorités n’ont quasi rien fait », a déploré le maire, ajoutant que ce laxisme pouvait mener « au chaos ». Il avait dénoncé la complicité des clubs de football qui « paient des avocats aux supporteurs », créant chez eux un sentiment d’impunité. « C’est pourquoi », concluait-il, « aujourd’hui, il se peut qu’un jeune homme arrive à Belgrade et en reparte dans un cercueil ». Plus tôt, dans la nuit de mercredi à jeudi, un touriste britannique de 26 ans, Anthony James, avait été blessé à la sortie d’une boîte de nuit, suite à un échange de coups de feu entre deux groupes de jeunes que la police n’a, semble-t-il, toujours pas identifiés.
Tandis qu’en ville, les graffitis homophobes (« Stop à la Gay Pride » et « Mort aux pédés ») abondaient, le Président serbe avait répété que le gouvernement devait protéger les citoyens, quelque soit leur nationalité ou leur orientation politique, religieuse ou sexuelle : « Personne ne doit avoir recours aux menaces ou à la violence, ni faire justice soi-même et compromettre la vie de ceux qui pensent différemment ou sont différents ». Rasim Ljajić, ministre du Travail et des Affaires sociales, a affirmé qu’il fallait avant tout se concentrer sur la sécurité publique. « Ce qui compte désormais, c’est le respect de la loi et de l’ordre, indépendamment de ce que l’on pense à titre individuel de cet événement », a-t-il fait savoir. En début de semaine, les groupuscules ultranationalistes Obraz et 1389 avaient en effet annoncé qu’ils organiseraient une contre-manifestation (« On vous attend ! ») qui s’achèverait avec le début de la parade arc-en-ciel. Rasim Ljajić avait indiqué que l’« appel des patriotes à contre-manifester n’était pas approuvé par le gouvernement ».
L’Église orthodoxe serbe avait, elle aussi, jeté de l’huile sur le feu. Le métropolite Amfilohije a proclamé que la « marche des fiertés était une procession de la honte, une procession de Sodome et Gomorrhe, contraire à l’instinct divin et béni de procréation ». Certes, il avait ajouté que l’Église condamnait la violence. Quant à l’inénarrable Dragan Marković « Palma », dirigeant du parti Serbie unie, il avait cru bon de mettre son grain de sel, estimant qu’il valait mieux reporter la parade jusqu’à nouvel ordre, « c’est-à-dire en 2150 ».
La marche des fiertés, finalement annulée samedi matin, devait s’ébranler du parc des étudiants, dans le centre-ville, en direction de la place de la République jusqu’à la rue piétonnière Knez Mihailova. Un trajet court, avant tout symbolique. « La peur est manifestement présente », avait reconnu Marko Karadžić, Secrétaire d’État aux droits de l’homme et aux minorités. Mais, comme le soulignait Dragana Vucković, de l’association LGTB Labris, le plus important était de « casser les barrières créées en 2001 », lors de la première et unique Gay Pride de Belgrade, qui s’était terminée dans les heurts et la violence. Krister Bringeus, ambassadeur de Suède en Serbie, a déclaré à B92 que l’annulation de la Gay Pride était « triste et étrange », ajoutant que les marches des fiertés sont une chose en normale en Europe, surtout en 2009.
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Alors que la Gay Pride de Belgrade se prépare dans un climat tendu, le Bureau du Conseil de l’Europe en Serbie a adressé un message de soutien à la communauté LGBT. Il rappelle la liberté fondamentale de se rassembler pacifiquement et le devoir des États européens de protéger les manifestants. Entretien avec Constantin Yerocostopoulos, directeur du Bureau du Conseil de l’Europe en Serbie.
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