Presevo: albaneses en la Serbia adyacente a Kosovo

DANAS, balkans.courriers.info
Après le statut du Kosovo, quel avenir pour les Albanais de la vallée de Preševo ?
Traduit par Persa Aligrudić
Publié dans la presse : 11 novembre 2007
Mise en ligne : mardi 20 novembre 2007

Les Albanais de la vallée de Preševo suivent avec attention les négociations sur le statut du Kosovo. Officiellement, ils n’aspirent à aucun changement de frontières mais demandent à Belgrade de respecter les engagements pris après les affrontements entre la guérilla de l’UCPMB et la police serbe en 2001. Entretien avec Šaip Kamberi, président du Conseil pour les droits de la personne de Bujanovac.

Propos recueillis par Vojkan Ristić

Šaip Kamberi est un de ces intellectuels albanais du sud de la Serbie qui n’ont jamais fait de déclarations politiques hâtives et radicales. On a surtout remarqué le rôle important qu’il a joué au moment des affrontements entre des extrémistes albanais et la police serbe au sud de la Serbie en 2000. Il a essayé, avec un pragmatisme réaliste, de contribuer à l’apaisement et à la stabilité des rapports interethniques.

Šaip Kamberi interprète la finalisation du statut du Kosovo sans émotions excessives, en observant la situation kosovare à travers le prisme des rapports interethniques au sein des trois municipalités du sud de la Serbie. Nous commençons à le questionner sur la rencontre récente des représentants politiques albanais du sud de la Serbie avec Veton Surroi à Priština.

Danas : Certaines agences de presse ont souligné que Priština, en cas de proclamation de l’indépendance du Kosovo, allait prêter « une attention particulière » aux trois municipalités majoritairement albanaises du sud de la Serbie. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?

Šaip Kamberi : La dernière réunion des leaders politiques albanais de la vallée de Preševo (Preševo, Bujanovac et Medvedja) est une de celles tenues ces dernières années avec Veton Surroi, membre de la délégation kosovare pour les négociations avec Belgrade, et responsable des questions des minorités au Kosovo. Cette réunion avait pour but d’informer les leaders politiques de ces municipalités des négociations sur le statut du Kosovo et des positions officielles de Priština concernant le droit des minorités. Je crois que nous entrons dans une période - lorsque le statut du Kosovo sera réglé - où Priština accordera plus d’attention aux Albanais de la région. Ce sera son obligation et son droit.

D : La volonté de Priština de demander à Belgrade les mêmes droits pour les Albanais du sud de la Serbie que ceux des Serbes au Kosovo est-elle toujours d’actualité ?

S.K : Dès le début, Priština a insisté sur la standardisation des droits des minorités dans cette partie des Balkans occidentaux, à savoir que le règlement prévu par le plan d’Ahtisaari pour le droit des minorités au Kosovo soit également applicable dans la vallée de Preševo. À ce sujet, Priština, dans son projet d’accord sur les futurs rapports entre le Kosovo et la Serbie, a prévu l’application du principe de réciprocité. La position politique des Albanais de cette région a déjà été exprimée par la plateforme politique de 2006 et la déclaration de septembre 2007. Ces documents insistent sur le fait que les droits des Albanais de la vallée de Preševo doivent être les mêmes que ceux qui seront accordés aux Serbes par l’accord sur le futur statut du Kosovo.

D : Comment évaluez-vous la situation politico-sécuritaire actuelle au sud de la Serbie et craignez vous des violences après le règlement du statut du Kosovo ?

S.K : La conclusion de la dernière réunion de l’assemblée des conseillers municipaux des Albanais de Preševo est que la situation générale est complexe et que cette complexité est avant tout la conséquence du manque de réalisation du programme du gouvernement pour le règlement de la crise dans la région depuis 2001. L’impression générale est que le gouvernement actuel, tout comme le précédent, n’accorde pas suffisamment d’attention à ce programme et qu’il se comporte comme si tous les problèmes de la région étaient réglés. En évitant de résoudre les problèmes d’éducation, d’utilisation de la langue officielle, d’ouverture de passages frontaliers avec la Macédoine, des privatisations, du manque de stratégie pour le développement économique de la région, de l’intégration des minorités, la situation devient complexe. Le dernier incident survenu à Medvedja, où trois jeunes Albanais ont été maltraités au poste de police, n’a fait qu’aggraver la situation.

D : Du côté serbe on remarque qu’il y a des politiciens qui, en cas de proclamation d’indépendance du Kosovo, sont prêts à « fermer les frontières » et à entreprendre un blocage total vers Priština. Comment les Albanais du sud de la Serbie voient les choses ?

S.K : Il est certain que cette stratégie inquiète les politiques et la population albanaise de la vallée de Preševo. Une telle action signifierait la ghettoïsation des Albanais et d’éventuelles violences contre la population, surtout dans ces communes militarisées. Des forces de sécurité serbes ont été mutées ici après la guerre de 1999. Cela signifierait pratiquement le retour à la période de 1999-2000 et l’anéantissement des résultats qui ont été réalisés avec l’aide de la communauté internationale. Comme les conséquences négatives de ces actions affecteraient toute la Serbie, je crois que le bon sens prévaudra au moment des prises de décisions.

D : Il y a encore parmi les hommes politiques albanais du sud de la Serbie certaines personnes qui considèrent que la stabilité de la région ne peut être maintenue que par la présence de forces internationales, et en premier lieu par l’OTAN. Qu’en pensez-vous ?

S.K : Il arrive que les positions des partis politiques des Albanais de la région soient différentes sur certaines questions politiques, par exemple la participation aux élections législatives. Cependant, ce qui les unit, ce sont les clauses de la plateforme politique du 14 janvier 2006, confirmées par la déclaration du 29 septembre 2007.

La constatation commune est que « la région est militarisée et qu’il ne faut engager qu’exceptionnellement les forces militaires et policières, qu’il faut renoncer à la construction massive de bâtiments militaires dans cette région et que l’ordre et la paix doivent être maintenus par une police multiethnique ». Je suis conseiller à l’assemblée municipale de Bujanovac et j’ai voté pour ces positions. Elles n’ont pas changé jusqu’à ce jour et aucun parti politique ne les a écartées. En ce qui concerne la confiance des Albanais dans les institutions internationales, elle date de la période où, avec leur soutien et leur participation directe, la crise dans la vallée de Preševo a été réglée pacifiquement. Je pense, avec le recul, qu’il ne faut pas oublier le fait que lorsqu’il a publié le « Plan et le programme de règlement de la crise dans les communes de Bujanovac, Preševo et Medvedja », le gouvernement de Serbie a adressé une invitation publique à la communauté internationale pour qu’elle s’implique dans le processus de règlement de la crise. Actuellement on essaie d’oublier cette obligation de la Serbie ainsi que les obligations concrètes prises envers les Albanais selon le programme du gouvernement de Serbie.

D : Si des cas de violences survenaient au Kosovo et entraînaient le départ des Serbes, craignez-vous que cela arrive aussi aux Albanais du sud de la Serbie ?

S.K : Je ne crois pas à la possibilité de violences organisées contre les Serbes, ce n’est pas dans l’intérêt des Albanais qui s’engagent à régler au plus tôt le statut du Kosovo. Un tel scénario aurait certainement pour effet d’annihiler les espoirs d’un règlement rapide du statut, donc ce serait contraire aux intérêts stratégiques des Albanais du Kosovo, qui sont assez actifs pour montrer que les droits des minorités seront respectés selon le modèle proposé par le plan Ahtisaari. Par ailleurs, nous craignons aussi le départ organisé des Serbes en raison de leur mécontentement suite à la décision du statut du Kosovo et leur éventuelle installation (organisée) à Bujanovac. Cela signifierait sûrement le déclenchement d’une ère de violence dans cette municipalité, qui se propagerait alors dans toute la région.

« Liaisons spéciales » entre la vallée de Preševo et le Kosovo

D : En cas d’indépendance du Kosovo, est-ce que les Albanais du sud vont demander aux autorités de Belgrade d’avoir des « liaisons spéciales » avec Priština comme c’est le cas entre Belgrade et Banja Luka ?

S.K : Notre avis est que la vallée de Preševo, dans la future régionalisation de la Serbie, devrait être traitée comme une région particulière en raison de ses particularités linguistiques, culturelles, religieuses et autres. Pour la future régionalisation, nous sommes contre le fait qu’elle soit divisée en six régions identiques, car cela voudrait dire que les particularités mentionnées ne seraient pas respectées. En tant que telle, la vallée de Preševo devrait, dans ses communications avec Priština, avoir la possibilité de collaborer sur le plan de l’éducation, de la culture, de l’utilisation de la langue et des symboles, de l’information, etc.

Nous voyons depuis sept ans qu’un processus politique est en place. Son objectif primordial était de régler la crise armée et de favoriser l’intégration des Albanais. Et dans cette septième année, les problèmes délicats ne sont toujours pas résolus, par exemple dans l’éducation, ce qui prouve que la Serbie n’a pas les institutions adéquates, ni souvent la volonté politique pour les résoudre. Sans une collaboration institutionnelle avec Priština, ces problèmes ne peuvent être résolus. La standardisation du droit des minorités, le respect de leur identité nationale, culturelle et linguistique conformément aux valeurs européennes, et le développement économique de ces municipalités, permettraient la pleine stabilisation politique de cette région fragile.

D : Serait-ce donc une sorte d’autonomie pour le sud de la Serbie ? Pourrait-il s’agir de l’annexion des trois municipalités à un nouvel État ?

S.K : Les Albanais de la vallée de Preševo s’efforcent depuis l’instauration d’un système pluripartite de mener une politique réaliste. Tous les partis politiques des Albanais de cette région participent aux institutions au sein desquelles ils luttent pour l’amélioration du statut politique des Albanais. Ils s’engagent à créer une région particulière conformément aux valeurs européennes. Dans ce contexte la position clé adoptée dans la plateforme politique est « que les conseilleurs municipaux respectent les principes du Groupe de contact sur l’intangibilité des frontières ». Si la communauté internationale venait à changer d’avis en ce qui concerne les frontières, cela aurait sûrement des répercussions sur la vallée de Preševo, mais personnellement je ne crois pas à un changement de cette position.