*De la « Petite-Russie » à l’Ukraine*, Mykola Riabtchouk

De la Petite Russie à l'Ukraine (Présence ukrainienne) : Roabtchouk,  Mykola: Amazon.es: Libros

 

Retour au fascicule Mykola Riabtchouk, De la « Petite-Russie » à l'Ukraine (Préface d'Alain Besançon), 2003 [compte-rendu]
Robert Claude
La Revue russe Année 2004 25 pp. 124-125
Fait partie d'un numéro thématique : La Russie des monts d’Auvergne aux monts Oural
Référence bibliographique:

 

Mykola RIABTCHOUK, De la « Petite-Russie » à l'Ukraine (Préface d'Alain Besançon), L'Harmattan-« Présence ukrainienne », 2003, 207 p.

À l'évidence, une double interrogation accompagne tout propos sur l'Ukraine d'aujourd'hui ; quelle est son identité : nation autonome, appendice de la Russie ou nation encore adolescente ? Quelle sera, quelle doit être la nature de son lien avec sa grande sœur ? Questions auxquelles apporte, ou suggère, des éléments de réponse cet essai de M. Riabtchouk, originaire de Lviv, ancien étudiant à Moscou, ancien chercheur aux États-Unis.

L'Auteur évoque « l'identité bigarrée, dans une certaine mesure encore "proto-nationale" de la société ukrainienne », son « état transitoire, ambivalent », qui fait que la majorité de la population ne s'identifie plus à la Russie ou à l'U.R.S.S. et « n'a pas encore d'identification ukrainienne consciente » (p. 200-201).

Deux phénomènes distincts retiennent souvent l'attention de ceux qui s'intéressent à

l'Ukraine : l'antisémitisme et la situation linguistique. Tous deux font l'objet de représentations fantasmagoriques dues surtout au « russo- centrisme et à la russophilie traditionnels des intellectuels occidentaux » (p. 30).

Pour minimiser la portée du premier, M. Riabtchouk retient le cas de Symon Petlioura (p. 42-51), qui dirigea « l'éphémère et instable État ukrainien » pendant la Guerre civile et qui fut plus tard assassiné à Paris « par le terroriste juif Schwarzbard » (p. 41). Petlioura était en fait « subjectivement philosé- mite » (p. 49) ; on l'a chargé, à tort, des « pires traits (c'est-à-dire l'antisémitisme) du nationalisme ukrainien » (p. 50-51). L'assassin de Petlioura fut acquitté et son procès « devint en fait l'exécution d'un mythique nationalisme et séparatisme ukrainien diabolisé » (p. 51). M. Riabtchouk reprend la thèse de

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l'historien polonais A. S. Kowalczyk, pour qui « l'antisémitisme en tant qu'idéologie n'est pas une création des Ukrainiens ou des Polonais (ni même des Russes » (p. 46). « L'antisémitisme russe était indiscutablement un produit occidental » (p. 48).

Les informations concernant le paysage linguistique sont plus dispersées et, à coup sûr, moins discutables. Les Russes russophones représentent 20 ou 21 % de la population de la République, les Ukrainiens russophones — 33 ou 34 %, les Ukrainiens ukrainophones — 40 % (p. 68). « La russification progresse dans la jeunesse » (p. 77) et l'État, généralement, n'a pas d'argent pour de nouveaux manuels en langue ukrainienne » (p. 123) ; « l'élévation formelle du statut de la langue ukrainienne a principalement un caractère symbolique » (p. 126). Qu'il s'agisse de l'antisémitisme ou de la rétrogradation de la langue, N. Gogol porterait une lourde responsabilité historique et, dans sa préface d'une russophobie fort peu nuancée, A. Besançon affirme que ce fut « un grand malheur que Gogol, un de ses fils, n'écrivît pas en ukrainien » (p. 8 ; voir également p. 59 et p. 71).

La situation actuelle est faite d'un malaise profond. L'Ukraine a d'elle-même une vision dépréciative. « Sous les dominations aussi bien polonaise que russe, les Ukrainiens ont repris et intériorisé les projections négatives des cultures dominantes » : et « le complexe d'infériorité (culturelle, morale et de civilisation), d'amoralité (perfidie, en particulier) » est « probablement, à l'heure actuelle, la part la plus douloureuse de l'héritage colonial du pays » (p. 140).

Peut-on compter, pour aller vers un peu plus de lumière, sur une élite « dont l'unique stratégie lisible est la stratégie d'auto-protection et de survie au jour le jour » (p. 130) ? À court terme, il est difficile d'être optimiste, car « à l'heure actuelle, aucune des deux tendances contradictoires n'a pris le dessus, ni la poursuite de la russification-soviétisation, comme en Biélorussie, ni rindigénisation-occidentali- sation, comme dans les pays Baltes » (p. 131).

De la « Petite-Russie » à l'Ukraine est d'une première lecture un peu déroutante. L'écriture en est médiocre (affaire du style originel en ukrainien ou affaire de la traduction française ?) et l'exposé général est sinueux. Certaines notions importantes ne sont pas éclaircies : que représentent « une époque préidéologique » (p. 48), « l'Europe civilisée » (p. 89), « l'indigénisation-occidentalisation » (p. 131), « les valeurs libérales » (p. 137), « une nation saine » (p. 137), « un mytho- gème » (p. 167) ? À quoi renvoie « l'Ukrainité moderne » (p. 188). Le lecteur peu familier de la langue (p. 91, 111, 156) et des concepts nord-américains peut être légèrement troublé. La pensée de M. Riabtchouk ne se dégage que par touches éparses, indirectement, le plus souvent par le biais d'une présentation critique de différents ouvrages, et on ne voit pas toujours exactement ce qu'il reprend à son propre compte. Par exemple, il cite la semi-boutade d'un professeur ukrainien assimilant la langue ukrainienne imposée à une population kié- vienne, majoritairement russophone, à la langue d'une puissance occupante ; quelle portée faut-il accorder à cette redoutable plaisanterie (p. 97) ? Idéologie et sympathies pro-amé- ricaines sont latentes ; elles expliquent pourquoi l'O.T.A.N. et l'Europe sont un peu vite confondues (p. 203) et pourquoi l'auteur est visiblement attiré par une action du type « discrimination positive » au profit de l'ukrainien (p. 84).

Malgré ces quelques remarques, on peut regarder De la « Petite-Russie » à l'Ukraine comme un livre très intéressant. Il est le fruit d'une réflexion originale, nourrie d'une large documentation — surtout anglo-saxonne — et d'une connaissance intime des gens d'Ukraine. Et surtout, par-delà cette richesse informative, on perçoit chez M. Riabtchouk le cri d'une souffrance inquiète, presque angoissée, quant à l'avenir de sa patrie.

Claude ROBERT

LA REVUE RUSSE, Paris, 25, 2004.

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