"UE-OTAN Balkans occidentaux: la ressource euro-atlantique", Odille Perrot
UE-OTAN Balkans occidentaux: la ressource euro-atlantique
Par
*, le 17 octobre 2012, diplowebDemocratization officer au sein de la mission de l’OSCE au Kosovo, de 2000 à 2002, Odile Perrot est docteur en science politique. Sa thèse analyse les moteurs et les enjeux du processus de démocratisation mis en place par la communauté internationale. Elle a été distinguée par le prix de la Fondation Varenne et publiée à la LGDJ sous le titre Les équivoques de la démocratisation sous contrôle international. Le cas du Kosovo (1999-2007).
Géopolitique des Balkans occidentaux et de leurs relations avec l’Union européenne et l’OTAN. Odile Perrot présente un vaste tour d’horizon à la fois documenté, actualisé et clair. Cet article apporte un utile complément au rapport annuel de la Commission européenne. (2 tableaux et 1 photo)
L’ARRIVÉE de la Croatie dans l’Union européenne pour le 1er juillet 2013 a été perçue comme la concrétisation d’un rapprochement auquel les Balkans occidentaux aspirent depuis la fin des conflits dans la région. S’y sont ajoutés, au début de l’année 2012, l’obtention du statut de candidat officiel par la Serbie et le lancement du dialogue sur la libéralisation des visas avec le Kosovo. Toutefois, derrière cette dynamique régionale apparente, les Balkans occidentaux avancent dans un ordre dispersé. Regroupés sous une même appellation depuis 1999, ils ont été identifiés à l’aune de leur perspective européenne. Il s’agissait alors de les distinguer des autres pays balkaniques déjà membres de l’UE (Grèce) ou en voie de l’être (Roumanie, Bulgarie) et de leur proposer une stratégie européenne globale : le Processus de Stabilisation et d’Association. En ce sens, les « Balkans occidentaux » définissent moins une zone géographique qu’ils ne renvoient à une réalité et un choix politiques.
Dans la tradition d’une UE productrice de normes et vecteur de démocratisation, le Processus favorise l’alignement des pays candidats sur les normes communautaires. L’ambition est de « ne pas laisser le pays en arrière » [1], sans pour autant minimiser les difficultés, ni précipiter les étapes. L’UE se méfie [2] des adhésions mal préparées et porte désormais une attention accrue à la mise en œuvre des réformes. L’accent est mis sur les capacités de l’administration et de la justice, mais aussi sur la lutte contre la corruption et la criminalité organisée. L’implication de la société civile est également évaluée et intégrée à de nombreux programmes. Enfin, la marche vers l’adhésion est séquencée en plusieurs « benchmarks ». En fonction des résultats de chaque pays évalués séparément à l’automne, des garanties d’association sont accordées. Les instances communautaires ont donc opté pour une approche différenciée de l’intégration des Balkans occidentaux, selon laquelle « le cheminement de tout pays vers l’adhésion à Union européenne se fonde sur son mérite » [3]. Lancés dans la même course, l’Albanie, l’Ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM, en anglais FYROM), la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, le Kosovo, le Monténégro et la Serbie empruntent ainsi des parcours pluriels. Si la Croatie et le Monténégro font figure de bons élèves, les chemins de l’Albanie, de la FYROM et de la Serbie sont plus hésitants, tandis que les obstacles institutionnels propres aux voisins bosniaque et kosovar compliquent le rapprochement européen.
I. Des signaux encourageants pour la région
Cette année a ouvert un peu plus les portes de l’UE à la Croatie. Non seulement, le traité d’adhésion a obtenu une légitimité populaire, mais le règlement du différend territorial avec la Slovénie a également franchi une nouvelle étape. Le 22 janvier 2012, la population a approuvé par référendum le traité d’adhésion signé un mois auparavant : près de 67% des 43% des votants ont répondu « oui » à la question « Approuvez-vous l’adhésion de la République de Croatie à l’Union européenne ? ». Début mars 2012, les députés du Sabor ont ratifié le traité, à l’unanimité des présents, et une délégation de douze observateurs croates a assisté à la session plénière du Parlement européen. Ces observateurs pourront participer aux réunions des groupes et des commissions du Parlement. Le traité doit désormais être ratifié par l’ensemble des Vingt-sept, pour une adhésion effective prévue au 1er juillet 2013 [4]. Cela ne devrait guère poser de problèmes, d’autant que les États qui émettaient des doutes sur l’avancée des dernières réformes dans les domaines de la justice et des droits fondamentaux, ont obtenu qu’un « dispositif de suivi » soit mis en place.
Dans un même élan, la Slovénie et la Croatie ont confirmé leur engagement en faveur du dialogue pour régler le contentieux territorial qui a longtemps paralysé les négociations d’adhésion. La dispute, qui remonte à 1991, année où la Slovénie et la Croatie ont proclamé leur indépendance, porte sur la frontière maritime dans la baie de Savudrija-Piran. A la fin de l’année 2009, après de nombreuses tentatives diplomatiques et crispations de part et d’autre, les parties ont trouvé un accord prévoyant de porter le différend territorial devant un tribunal arbitral ad hoc et d’en accepter le verdict. En janvier 2012, la Croatie et la Slovénie se sont mises d’accord sur la composition du tribunal : outre le Slovène Jernej Sekolec et le Croate Budislav Vukas, la cour sera composée de trois internationaux, choisis parmi une liste de quinze candidats proposée par la Commission européenne (le Français Gilbert Guillaume, l’Allemand Bruno Simma et le Britannique Vaughan Lowe). Au printemps, les parties ont annoncé qu’elles soumettront leur différend au tribunal d’arbitrage en février 2013. Une première audience des représentants de la Slovénie et de la Croatie aura lieu au 1er semestre 2014. On comprend que la procédure durera plusieurs années, mais on peut se réjouir que l’Union européenne et le pays candidat soient parvenus à dépasser ce conflit bilatéral en privilégiant le compromis et la concertation.
La Baie de Piran. Copyright O. Perrot, 2011
Juste derrière la Croatie, le Monténégro pourrait être le deuxième pays des Balkans occidentaux à rejoindre l’Union européenne. Aucune date n’a encore été avancée, mais les déclarations encourageantes se sont multipliées depuis la décision d’ouvrir des négociations d’adhésion en juin 2012 (voir le tableau récapitulatif de la marche des Balkans vers l’UE en fin d’article). En septembre 2012, le commissaire européen chargé de l’Elargissement, Stefan Füle, a reconnu qu’il s’agissait d’ « une juste reconnaissance des progrès impressionnants que le Monténégro a réalisés dans le processus de réformes » et le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, a confirmé que le pays « pourrait devenir le prochain pays à rejoindre l’Union européenne après la Croatie » [5]. Là encore, l’idiosyncrasie des parcours balkaniques fait écho à l’approche différenciée menée par l’UE. Membre de la République fédérale de Yougoslavie, puis uni à la Serbie au sein de la communauté d’Etats "Serbie-et-Monténégro" institué par l’accord signé sous l’égide de l’UE, le Monténégro a proclamé son indépendance en conformité avec les desiderata internationaux. Le 21 mai 2006, 55,5% des 86,3% de Monténégrins s’étant rendus aux urnes ont voté pour l’indépendance, satisfaisant ainsi aux conditions fixées par l’UE, l’OSCE et le Conseil de l’Europe. Celles-ci avaient spécifiquement imposé une participation supérieure à 50% des inscrits et la victoire du « oui » à 55% des votants minimum.
Cette indépendance acquise dans la paix et le respect des consignes de la communauté internationale a ouvert la voie à l’UE. Dès 2007, le Monténégro a signé un Accord de stabilisation et d’association (ASA). Il a déposé sa candidature en décembre 2008 et obtenu le statut de candidat officiel deux ans plus tard, reflétant les opinions favorables des responsables européens vis-à-vis des progrès accomplis. Des réserves ont toutefois été exprimées, notamment concernant la réforme constitutionnelle, le renforcement global de l’indépendance judiciaire et la lutte contre la corruption et le crime organisé [6]. L’échéance des prochaines élections législatives anticipées du 14 octobre 2012 sera également surveillée de près. Mais le rôle de Podgorica dans l’amélioration des relations régionales et son alignement sur les exigences communautaires tendent à rassurer une Union qui s’inquiète ailleurs d’une certaine reform fatigue , de l’effritement de la motivation européenne des élites politiques locales.
II. Les entraves à la coopération régionale
Tout comme le Monténégro, la Macédoine s’est séparée de la Yougoslavie sans effusion de sang. C’est un autre conflit qui a poussé l’UE à intervenir. Alors que la situation au Kosovo semblait pacifiée, les revendications de la minorité albanaise se sont agrégées et, soutenues par des activistes traversant la frontière, ont déclenché des affrontements au début de l’année 2001. L’OTAN a imposé un cessez-le-feu et les Accords d’Ohrid ont négocié une politique de réformes constitutionnelles et juridiques établissant un partage du pouvoir sur des bases ethniques. La pacification de l’ancienne république yougoslave a aini été réalisée sans recours à la force et sans instauration d’une administration internationale, mais dans la perspective de l’insertion du territoire à la sphère euro-atlantique afin de contenir toute résurgence des conflits dans la région.
Des premiers progrès ont été enregistrés avec, en particulier, l’entrée en vigueur de l’ASA en 2004. Mais, bloqué par la querelle du nom avec la Grèce qui estime que « Macédoine » ne saurait désigner un État hors de ses frontières, le rapprochement avec l’UE et l’OTAN est depuis dans l’impasse. L’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Union, recommandée chaque automne (et cette année encore) par la Commission européenne, n’a pas été validée par le Conseil. La perspective atlantique de la Macédoine est suspendue pour la même raison. Alors que la Croatie et l’Albanie ont reçu l’invitation officielle pour devenir membres à part entière de l’Alliance au sommet de Bucarest de 2008, l’adhésion de la Macédoine a été conditionnée à la résolution de la querelle avec la Grèce, membre de l’OTAN. Cette position a été réaffirmée au sommet de Chicago des 20-21 mai 2012, entraînant des réactions à la mesure de la déception. Le Premier ministre Gruevski a fustigé l’ « injustice » d’une « politique des deux poids deux mesures » appliquée à la Macédoine [7] ; la presse a parlé de « disgrâce » [8]. Prenant l’offensive, la FYROM a porté l’affaire devant la Cour internationale de Justice, accusant la Grèce d’une violation de l’accord de Vienne signé en 1995, selon lequel Athènes ne devait pas s’opposer à une demande d’admission dans des organisations internationales ou régionales dont elle est membre. En décembre 2011, la Cour a statué en faveur de Skopje, mais les pourparlers entre les deux pays en sont restés, selon les observateurs locaux, à « des échanges de plaisanteries » [9].
Or, cette pomme de discorde a exacerbé les luttes de pouvoir et les divisions entre communautés, chacun reprochant à l’autre son aboulie ou ses prises de position vis-à-vis des partenaires euro-atlantiques. Pourtant, la responsabilité de tous les acteurs a été mise en cause dans la conduite des affaires publiques. De nombreux efforts restent notamment à faire en matière de lutte contre la corruption et de la consolidation d’institutions démocratiques interethniques, surtout après les incidents violents qui ont eu lieu en 2012 à Skopje, Tetovo et Gotisvar. Enfin, le recensement de la population, nécessaire à la bonne gestion des programmes communautaires, a été reporté, puis annulé à l’automne 2011. Moins technique et plus politique qu’il n’y paraît, le décompte démographique répond à une exigence européenne qui a cristallisé les dissensions communautaires et les dysfonctionnements dans certains États des Balkans.
C’est le cas de l’Albanie, où le recensement devait être organisé en avril 2011 et a été repoussé à l’automne. Les critiques ont porté sur une question du formulaire relative à l’appartenance ethnique et qui, selon certains, aurait pu inciter les ressortissants grecs à se rendre au sud de l’Albanie pour augmenter le poids de la communauté grecque et légitimer de nouvelles aspirations territoriales. Après de vives polémiques, cette question a été retirée du questionnaire et le recensement a effectivement commencé le 2 octobre 2011. Les tensions entre l’Albanie et son voisin grec réapparaissent périodiquement, instrumentalisées par certains acteurs nationalistes locaux et attisées par les revendications d’Athènes aux accents expansionnistes. Territoire balkanique au carrefour de l’Europe, le sud de l’Albanie est devenu une zone de transit propice à de nombreux trafics. L’agence européenne Frontex a mis en garde contre la porosité de la frontière avec la Grèce, porte sur l’UE vers laquelle le passage se négocierait à plus de 100 euros. Dans ces conditions, Tirana peine à construire son image de leader régional promoteur de la stabilisation.
Récompensée pour son rôle de modérateur contribuant activement à la coopération régionale, l’Albanie est devenue membre de l’OTAN en 2009. Mais, si les intérêts géopolitiques ont facilité l’intégration euro-atlantique, la faiblesse des processus de réformes et d’harmonisation se heurte aux conditionnalités de l’UE. Surtout, la crise politique, qui s’éternise depuis les législatives de juin 2009, a alerté les institutions communautaires sur les défaillances du système démocratique albanais. Elle a en outre alimenté un climat de méfiance vis-à-vis des représentants politiques, qui consacrent leur énergie à la stigmatisation de leurs adversaires plutôt qu’à la gestion du pays. Les députés ont certes adopté, en juillet 2012, un nouveau code électoral conforme aux canons internationaux, mais les intrigues partisanes ont jusqu’ici bloqué sa mise en application. L’élection, durant l’été 2012, du nouveau président de la République avait déjà mis en lumière les tractations entre les partis, qui se sont arrangés pour que Bujar Nishani soit élu au quatrième tour, où seule la majorité absolue des suffrages est exigée. Dans ce contexte, l’enthousiasme de Tirana à rejoindre l’UE ne saurait suffire à convaincre les instances communautaires, qui attendent des résultats au-delà des effets d’annonce.
Tout comme l’Albanie, la Serbie a déposé sa candidature dans un élan de volontarisme qui a pris de court les Vingt-sept. Non seulement le processus de ratification de l’ASA, étape préalable habituelle, n’était pas encore achevé, mais la négociation même de ce dernier avait été laborieuse, en raison de la coopération aléatoire de Belgrade avec le TPIY. Si l’Accord n’a pas encore été ratifié par les vingt-sept États membres, la Serbie a fait partie des premiers pays des Balkans occidentaux exemptés du régime des visas dans l’espace Schengen, avec la Macédoine et le Monténégro (voir le tableau en fin d’article). C’est l’arrestation du criminel de guerre Ratko Mladić à 75 kms de Belgrade, en mai 2011, qui a ouvert la voie vers l’UE. Celle-ci s’est félicitée de ce signe en faveur de la paix et le Conseil, attaché au critère de la coopération avec le TPIY tel que défini au sommet de Zagreb, lui a accordé le statut de candidat officiel, en mars 2012. Aucune date pour l’ouverture des négociations d’adhésion n’a été fixée, mais la Serbie « n’en |espérait] pas tant » [10]. L’UE ne laisse de mettre en garde contre l’illusion d’une adhésion rapide et insiste sur l’importance des relations de bon voisinage. Lors de la visite officielle du nouveau Premier ministre serbe à Bruxelles, le 4 septembre 2012, le président du Conseil européen Herman Van Rompuy a ainsi souligné qu’ « |u]ne amélioration visible et durable » des relations avec le Kosovo était une condition-clé pour que s’ouvrent les négociations relatives à l’adhésion [11].
La centralité de la question du Kosovo a ainsi été réintroduite dans le processus de rapprochement à l’UE, mettant à mal la stratégie serbe qui s’efforce de séparer l’ambition européenne et la normalisation des relations avec le Kosovo. L’Union attend de Belgrade qu’elle joue le jeu du dialogue lancé, sous son égide, au début de l’année 2011, ce qui implique qu’elle mette en œuvre les accords signés [12]. Le nouveau pouvoir issu des élections législatives et présidentielles de mai doit donc à la fois rassurer l’UE et respecter les engagements antérieurs, tout en tenant compte de l’hostilité de la population à l’intégration euro-atlantique. Ces contradictions ne sont certes pas étrangères aux pays candidats, mais elles poussent la Serbie à faire le grand écart entre l’enjeu européen et la rhétorique nationaliste. Après avoir affirmé son ancrage européen, le président Nikolić vient de repousser la possibilité d’établir des relations de bon voisinage avec le Kosovo en tant qu’État [13]. Or, l’Union européenne, échaudée par l’exemple chypriote, ne tient pas à importer une querelle bilatérale en son sein. Elle parie sur le dialogue et renforce sa présence là où la qualité étatique du pays est contestée, comme en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo.
III. La contrainte étatique
Enlisée dans une impasse institutionnelle, la Bosnie-Herzégovine a hérité de la complexité des Accords de Dayton. La structure de l’État est marquée par une très grande dispersion des pouvoirs entre la Republika srpska et la Fédération croato-musulmane, et la marge de manœuvre de l’entité centrale est faible. En outre, le Haut Représentant peine à imposer les directives internationales auprès d’une classe politique avant tout soucieuse de conserver ses prérogatives locales. Alors qu’elles avaient donné quelque espoir avec la victoire du modéré Bakir Izetbegović à la présidence collégiale, les élections d’octobre 2010 ont débouché sur une crise politique de long terme. Pendant seize mois, les tractations autour du partage des responsabilités ont divisé les acteurs politiques. Ce climat de marchandages a ouvert la voie à la radicalisation des Croates de la Fédération, dont le représentant nationaliste Dragan Cović revendique la création d’une troisième entité à majorité croate. Face à la menace de dissolution de l’État, le Haut Représentant a fustigé des « conceptions politiques étroites sur les plans ethnique et nationaliste » qui font obstacle à l’intégration européenne et aux structures euro-atlantiques [14]. Ce n’est que le 5 janvier 2012 qu’un gouvernement central a pu être formé. Les six partis ayant trouvé un compromis sur l’attribution des ministères et le contrôle des agences de l’État, Vjekoslav Bevanda a été nommé au poste de Premier ministre. Deux réformes majeures ont ensuite été votées concernant l’organisation d’un recensement de la population, qui aura lieu en avril 2013, et la création d’un organisme de coordination chargé de gérer les aides au développement accordée par l’Union européenne. Réclamées par les Vingt-sept, elles ont permis d’espérer une relance du processus de rapprochement européen.
Parallèlement, l’UE a renforcé sa présence en créant le double mandat de Représentant spécial de l’Union et de Chef de Délégation. Ce dernier a pour tâche de dispenser les conseils de l’Union européenne, faciliter le processus politique et assurer la cohérence de l’action de l’Union. Estimant la stabilisation du pays engagée, l’UE a également mis fin à la mission policière MPUE, qui a quitté le pays en juin 2012. Ces quelques avancées ne sauraient faire oublier l’inertie du pouvoir et les multiples blocages qui étouffent les timides progrès. Les retards dans les domaines essentiels que sont la construction de l’État, la gouvernance, la mise en œuvre de l’État de droit ou la convergence avec les normes européennes mettent à mal la perspective européenne de la Bosnie-Herzégovine. De nombreuses mesures économiques et budgétaires restent en suspens, tandis que la réforme essentielle de la Constitution permettant l’alignement sur la décision de la Cour européenne des droits de l’homme suite à l’affaire Sejdić-Finci ne cesse d’être repoussée. L’Europe attend que les élites de Bosnie s’engagent enfin dans un processus de réconciliation interethnique et que leur action soit guidée par « la détermination, la responsabilité politique, la culture du compromis et une vision d’avenir commune » [15].
Le Kosovo est également confronté à une situation institutionnelle et politique délicate qui limite la réalité de sa perspective européenne. Parce que cinq Etats membres n’ont pas reconnu son indépendance, proclamée le 17 février 2008, il ne peut prétendre à des relations contractuelles avec l’Union. Ce statut étatique relatif a contraint l’UE à faire preuve d’ingéniosité dans les instruments mis en œuvre, comme dans les termes employés [16]. Cela dit, l’accord de février sur la dénomination officielle du Kosovo avec un astérisque renvoyant à la résolution 1244 et à l’avis de la CIJ [17] a ouvert une piste. Etabli dans le cadre du dialogue entre Prishtinë/Priština et Belgrade, il satisfait les partenaires qui s’opposent à toute référence étatique, comme ceux qui souhaitent que le Kosovo bénéficie du processus d’association. Sur cette base, l’UE a lancé l’Etude sur la faisabilité d’un ASA, en mars 2012. Active au Kosovo depuis de nombreuses années, l’Union européenne a su adapter ses programmes. Cette année, elle a lancé le Dialogue sur la libéralisation des visas, tant attendu par la classe politique et les citoyens. Le Premier ministre Hashim Thaçi y a vu « un jour béni pour les citoyens du Kosovo » [18] et la ministre pour l’Intégration européenne, Vlora Çitaku, « l’un des plus grands succès depuis l’indépendance » [19]. Argument électoral et ressource de légitimation pour les élites politiques locales, la libéralisation des visas est devenue un marqueur européen pour les populations. Les États membres restent toutefois prudents dès lors qu’il s’agit d’immigration. La pierre d’achoppement n’est pas, une fois n’est pas coutume, le statut du pays, mais « le désarroi vis-à-vis du potentiel migratoire du Kosovo » [20]. Parce qu’il est devenu une zone de transit pour migrants venant d’Afghanistan ou d’Irak, via la Turquie, le Kosovo cristallise les inquiétudes des pays européens, qui ont déjà dû faire face à l’arrivée mal contrôlée des demandeurs d’asile en provenance de Macédoine et de Serbie.
Le ministère pour l’Intégration européenne n’en reste pas moins déterminé et s’attache, depuis sa création en avril 2010, à la gestion des dossiers en coopération avec les instances communautaires. Sur le terrain, cela s’est notamment traduit par le lancement du Dialogue structuré sur l’Etat de droit, dont le but est d’aider le Kosovo à relever les défis auxquels il est confronté en matière de lutte contre la criminalité, de corruption et plus généralement en matière judiciaire. De son côté, le Parlement européen a exhorté le Kosovo à faciliter le retour des réfugiés et des personnes déplacées, lutter contre la corruption et prendre des mesures pour résoudre l’instabilité qui règne au nord du pays [21]. Surtout, l’Union européenne a accompli un processus de rationalisation permettant la fusion de la fonction du Représentant spécial de l’Union européenne (RSUE) avec celle du chef du Bureau de liaison de la Commission européenne. En désignant Samuel Žbogar, ancien ministre des Affaires étrangères slovène, pour assumer cette double responsabilité, la diplomatie européenne a donné à son action une dimension régionale qui participe du renforcement des liens entre l’UE et les Balkans occidentaux.
Les divers mécanismes, programmes et initiatives communautaires rapprochent ainsi les Balkans occidentaux de l’UE. Chaque pays s’approprie différemment le processus, mais tous utilisent la ressource euro-atlantique pour promouvoir les succès obtenus et justifier des choix politiques. Ils s’y opposent aussi, pour échapper à un cahier des charges trop contraignant à leurs yeux ou pour mieux affirmer la souveraineté nationale. Héritiers d’un équilibre géopolitique fragile, ils ont l’opportunité de miser sur l’entente régionale favorisée par la dynamique croate, mais qui ne saurait faire l’économie de « la force de la volonté politique » [22].
Copyright Octobre 2012-Perrot/Diploweb.com
Plus
. Voir sur le Diploweb.com un article de Jean-François Soulet, "France en Bosnie (1992-1995). Il y a vingt ans… L’exceptionnelle implication de la France dans le conflit bosniaque" Voir
. Voir sur le Diploweb.com un autre article d’Odile Perrot, "Au nord du Kosovo, exercices de souveraineté" Voir
. Voir sur le Diploweb.com un article d’André Erdos, "Ex-Yougoslavie : la crise vue de Hongrie. La réponse de l’ONU était-elle adéquate ?" Voir
Bibliographie
Georges LABRECQUE, Les différends territoriaux en Europe. Jurisprudence de la Cour internationale de Justice, coll. Logiques juridiques, Paris, 2009, L’Harmattan, 352 p.
Ilir NEZAJ, La Transition Politique en Albanie : 1991-2005. Les défis et les enjeux de la transition politique albanaise, Editions universitaires européennes, 2010, 544 p.
Odile PERROT, « Balkans occidentaux : l’agenda européen », article publié sur le site de Diploweb le 1er septembre 2010 : http://www.diploweb.com/Balkans-occidentaux-l-agenda.html
Jacques RUPNIK (dir.), The Western Balkans and the EU : ’the hour of Europe’, Cahiers de Chaillot, Institut d’Études de Sécurité - Institute for Security Studies, n° 126, Paris / Bruxelles, juin 2011, 190 p.
Tanja TAMMINEN, Will the EU road open for Kosovo as well ?, The Finnish Institute of International Affairs, Comment, 4/2012, Helsinki, mars 2012, 2 p.
Chronique politique et constitutionnelle des pays post-communistes de l’espace balkanique (voir les chroniques des pays des Balkans occidentaux), Est-Europa, Université de Pau année 2011 : est-europa.univ-pau.fr/est-europa-en-ligne/articles-en-ligne/numero-en-preparation.html
« Macedonia’s Name : Breaking the Deadlock », Europe Briefing, n°52, International Crisis Group, Bruxelles/Prishtina, 12 janvier 2009, 16 p
Sites internet utiles
. Page sur les pays candidats de la DG Elargissement de la Commission européenne : ec.europa.eu/enlargement/countries/check-current-status/index_fr.htm
. Résolutions du Parlement européen sur le processus d’intégration européenne des pays candidats : europarl.europa.eu/
. Fondation Robert Schuman, Paris/Bruxelles : robert-schuman.eu – voir notamment les analyses de l’Observatoire des élections en Europe rédigées par Corinne DELOY
. Réseau francophone de recherche sur les opérations de maintien de la paix, Université de Montréal – section sur les opérations en cours : operationspaix.net/operations-en-cours.html
[1] Résolution du Parlement européen du 14 mars 2012 sur le rapport de suivi 2011 concernant l’ancienne République yougoslave de Macédoine (2011/2887(RSP)).
[2] NDLR : maintenant.
[3] Résolution du Parlement européen du 14 mars 2012 sur le rapport de suivi 2011 concernant l’Islande (2011/2884(RSP)).
[4] Début octobre 2012, onze États-membres ont achevé la procédure de ratification.
[5] Corinne DELOY, « Monténégro : victoire programmé de la coalition au pouvoir ? », Observatoire des élections en Europe, Fondation Robert Schuman, 14 octobre 2012, p. 1.
[6] Voir la Résolution du Parlement européen du 29 mars 2012 sur le rapport de suivi 2011 concernant le Monténégro et le Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur les progrès réalisés par le Monténégro dans la mise en œuvre des réformes, COM(2012) 222 final, Bruxelles, 22 mai 2012.
[7] « Macedonian PM Slams NATO, Greece over Blockade », Balkan Insight, 21 mai 2012.
[8] Misko TALESKI, “Gruevski responds bluntly to NATO’s decision”, SETimes, Skopje, 23 mai 2012.
[9] Sinisa JAKOV MARUSIC, « NATO Doors Remain Closed to Macedonia », Balkan Insight, 16 mai 2012.
[10] Entretien avec un représentant serbe de la société civile, Paris, février 2012.
[11] La Lettre, Fondation Robert Schuman, n° 546, 10 septembre 2012.
[12] Voir l’article de l’auteur publié sur le site du Diploweb, « Au nord du Kosovo, exercices de souveraineté », 12 octobre 2011.
[13] « We will only join EU with Kosovo », B92, 30 septembre 2012.
[14] La Lettre, Fondation Robert Schuman, n° 510, 21 novembre 2011.
[15] Résolution du Parlement européen du 14 mars 2012 sur le rapport 2011 sur l’élargissement à la Bosnie-Herzégovine (2011/2888(RSP)).
[16] L’UE est « status neutral », c’est-à-dire qu’elle ne se prononce pas sur l’indépendance, et l’unité chargée du Kosovo à la Commission a pris le nom spécifique de « Kosovo issues unit » (plutôt que « Kosovo unit ») pour éviter la référence directe à l’État.
[17] Le texte intégral de la note est le suivant : « Cette désignation est sans préjudice des positions sur le statut et est conforme à la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies n° 1244 et l’avis de la Cour internationale de justice (CIJ) sur la Déclaration d’indépendance du Kosovo ».
[18] Fatmir ALIU, « EU Launches Kosovo Visa Liberalisation Dialogue », Balkan Insight, 19 janvier 2012.
[19] Citée par Fatmir ALIU, « Kosovo Hails Promise of EU Visa Talks », Balkan Insight, 13 octobre 2011.
[20] “Visa liberalisation. Implications of a proposal”, Policy paper nr. 2, European Movement in Albania, Tirana, September 2009, p. 10.
[21] Résolution du Parlement européen du 29 mars 2012 sur le processus d’intégration européenne du Kosovo* (2011/2885(RSP)).
[22] Résolution du Parlement européen du 14 mars 2012 sur le rapport 2011 sur l’élargissement à la Bosnie-Herzégovine (2011/2888(RSP)).