"Croatie : une adhésion si longtemps désirée à l’UE", Joseph Krulic

Par Joseph KRULIC*, le 24 février 2013,diploweb

Né en 1956 (en Yougoslavie-Croatie), J. Krulic est ancien élève de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA). Habilité à diriger les recherches (HDR) en Sciences politiques. Auteur de nombreuses publications sur l’histoire de la Yougoslavie et de l’espace Yougoslave, la théorie du nationalisme ou du populisme ainsi que de la théorie de la souveraineté ou du droit d’asile.

L’adhésion de la Croatie à l’Union européenne, annoncée pour le 1er juillet 2013 portera à 28 le nombre d’Etats membres. Connue pour son littoral touristique, la Croatie est un pays complexe qu’il importe de mieux connaître. J. Krulic en brosse ici un vaste tableau documenté. Il donne des clés pour comprendre l’origine de la méfiance de l’Union européenne pour le système judiciaire croate (1), la question de crimes de guerres de la période 1991-1995 (2), la situation économique et politique (3), la corruption et l’affaire Sanader (4) et une opinion publique hésitante (5).

LA CROATIE a terminé les négociations débouchant sur son adhésion à l’Union européenne. Les problèmes les plus difficiles à résoudre furent, et demeurent dans une certaine mesure, ceux qui relèvent de la justice et de son domaine : la garantie des droits fondamentaux, l’acceptation des obligations et des verdicts du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) qui a encore condamné, au mois d’avril 2011, des généraux croates emblématiques du conflit de 1991-1995. Toutefois, ces deux généraux ont été acquittés par la Chambre d’appel du même TPIY par une décision du 16 novembre 2012.

Cette difficile adaptation de la justice trouve l’une de ses sources dans la corruption, comme le montre l’affaire d’Ivo Sanader, Premier ministre de 2003 à 2009 et extradé vers la Croatie en 2011 après une démission forcée en 2009.

Cette corruption conjuguée aux difficultés sociales et économiques d’une part, et à la protestation des anciens combattants de la guerre de 1991-1995 face aux décisions du TPIY d’autre part, ont eu pour effet une « révolution Facebook ». En effet, des manifestations de citoyens indignés ont marqué le début de l’année 2011. Les conséquences de cette situation morale, juridique et sociale, rattachent la Croatie aux grandes évolutions des sociétés européennes et méditerranéennes en 2011. Cela a eu pour premier résultat politique la victoire d’une coalition de centre-gauche, le 4 décembre 2011.

Les perspectives de l’intégration européenne, à compter du 1er juillet 2013, dépendent de plusieurs critères :

. L’acceptation effective par la société et la classe politique des règles européennes, alors que la Croatie ne peut adhérer dans un avenir proche à la zone Euro ;

. L’évolution d’une Union européenne dont les perspectives sont incertaines et enfin ;

. La probable future adhésion d’autres Etats des Balkans occidentaux, dont la Serbie.

La Croatie peut retrouver un marché ou langage commun avec ses anciens associés de l’ex-Yougoslavie, mais aussi être solidaire des atouts et des contraintes de l’Union européenne, alors qu’elle a depuis 1102 l’habitude d’être politiquement englobée dans un ensemble multinational, tout en conservant sa personnalité juridique propre.

Pour la Croatie, l’attente est finie, 2013 sera l’année de l’intégration européenne. L’UE27 deviendra l’UE28 le 1er juillet 2013

L’année 2011 a vu l’achèvement du processus d’adhésion de la Croatie à l’Union européenne : le principe de l’adhésion croate avait été approuvé par le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement du 24 juin 2011 à Bruxelles, les négociations se sont achevées le 30 juin 2011, dernier jour de la présidence hongroise. Le texte a été approuvé par les États membres de l’Union européenne (UE) lors de la réunion du COREPER II du mercredi 13 septembre 2011. Le samedi 17 septembre 2011 à Zagreb, le Premier ministre polonais, Donald Tusk, au nom de la présidence de l’UE a officiellement remis à Zagreb le projet de traité d’adhésion de la Croatie à l’UE. La Croatie adhérera à l’Union le 1er juillet 2013, après l’achèvement du processus de ratification.

Un long processus s’achève. La longueur des négociations, la difficulté de réformer la justice, d’accepter les décisions du TPIY, et de faire reculer la corruption, la crise socio-économique des années 2009-2011, si elles ont rendu inévitables l’alternance à la fin de l’année 2011, n’ont pas empêché la conclusion des négociations en juin 2011, et l’approbation de l’adhésion par un référendum, le 22 janvier 2012 ( 66, 3% de » oui ») par une opinion croate dont la lassitude est visible à la faible participation électorale (44% ) qui laissent ouvertes les questions sur la mise en œuvre des stipulations du traité d’adhésion.

L’histoire complexe du processus d’adhésion : des obstacles politiques et juridiques

La décision du 24 juin 2011 mettait fin à près de deux ans de travaux sur le traité et au long processus d’adhésion. La Croatie avait posé sa candidature dès février 2003, les négociations avaient été suspendues en raison de l’affaire Ante Gotovina [1] (mars-octobre 2005), du fait d’un manque de coopération de la Croatie avec le Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) dans cette affaire, puis avaient repris en novembre 2005.La signature tant attendue a eu lieu le 9 décembre 2011. La Croatie adhérera à l’Union le 1er juillet 2013, après l’achèvement du processus de ratification et un référendum en Croatie.

Dans les dernières années, les négociations se sont heurtées à des difficultés sur les deux chapitres (23 et 24) de l’acquis communautaire (sur 35) qui concernent la justice et le respect des droits fondamentaux, notamment le chapitre 23. Des divergences d’appréciation sur les procédures relatives aux accusés croates du Tribunal pénal sur l’ex-Yougoslavie (TPIY) se sont greffées à ces premiers obstacles. Les négociations d’adhésion avec l’UE, suspendues en décembre 2008, ont recommencé en septembre 2009. Le motif de cette suspension était un différend frontalier, notamment maritime, [2] avec la Slovénie, après un blocage initial (Les obstacles apparus étaient ainsi, inséparablement, politiques et juridiques.

Les réticences de certains Etats membres

Certains Etats membres actuels ou membres fondateurs de l’UE ont montré leur réticence devant certaines imperfections croates comme la situation évoquée ci-dessus de la justice (en voie de réforme) et de l’efficacité de la lutte contre la corruption. Certains États membres, dont la France, auraient voulu, du moins jusqu’au printemps 2011, avant les dernières négociations, conserver la possibilité de bloquer l’adhésion si Zagreb ne mettait pas en œuvre les réformes promises.

Les pays favorables à l’adhésion croate

Les pays favorables à l’adhésion croate, dont la Hongrie, la Pologne et l’Allemagne, ont obtenu que cette adhésion ne puisse pas être reportée. En cas de non-respect des engagements, il sera seulement possible de geler l’octroi de certains fonds européens, comme dans les cas bulgares et roumains, même si une procédure de « monitoring » sur l’évolution du système judiciaire est prévue par le traité d’adhésion.

La situation tant sociale que politique de la Croatie suscite également l’inquiétude : l’année 2011 a vu l’agitation et l’incertitude s’approfondir. Cependant, la double circonstance de l’approbation de l’entrée de la Croatie dans l’UE et des verdicts du TPIY du 15 avril 2011 et du 16 novembre 2012 (pour ce qui concerne les trois généraux à la tête de l’armée croate en 1995) [3] semble constituer la fin d’un cycle et le début d’une autre époque.

La lente évolution de la Croatie comme pays européen

La Croatie s’affirme passionnément européenne sur le plan culturel et identitaire, notamment depuis 1991, mais son admission dans l’Union européenne résulte d’un processus laborieux. Comme Nietzsche appelait chacun à devenir ce qu’il est, la Croatie cherche à devenir et à se faire reconnaître par les autres pays européens pour ce qu’elle prétend être : un pays européen.

1. Un système judiciaire à améliorer. Le chapitre 23 (justice) et l’origine de la méfiance

La méfiance de l’UE s’explique par les lacunes judiciaires persistantes de la Bulgarie et de la Roumanie, deux pays dont l’adhésion en 2007 fut jugée précipitée par beaucoup d’observateurs. L’acquis communautaire dépend de l’amélioration de la justice, ce qui a toujours constitué la partie sensible des négociations dans le cas de la Croatie.

En réalité, en mars 2011, 28 chapitres sur 35 étant clos, le point le plus litigieux, comme l’a démontré la visite à Zagreb de parlementaires du Parti populaire européen (PPE) du 3 mars 2011, regroupant les partis de centre droit européens, demeurait le problème de la justice. La Commissaire à la justice Viviane Reding a déclaré aux parlementaires du PPE que, depuis leur visite de l’automne 2010, la Croatie avait fait de grands progrès.

Le 2 mars 2011, la Commission européenne avait fait un rapport spécial sur le chapitre 23, dont la conclusion favorable devait être déterminante pour l’adhésion effective. Elle a souligné que le respect du droit devait être intégral, qu’il fallait réduire le stock d’affaires civiles en instance, poursuivre encore plus les crimes de guerre, et s’attaquer de manière efficace à la grande corruption.

S’adressant à la même conférence parlementaire du PPE, le ministre croate de la justice Drazen Bosnjakovic a présenté la stratégie de la Croatie pour améliorer la situation de la justice en 2010-2015 : « nous voulons une justice efficace, une tolérance zéro pour la corruption et le respect des droits de l’homme et des minorités ».

Si la Croatie avait fait, dès le début de 2011, trois ans après le lancement des grandes réformes de la justice, d’évidents progrès sur le chemin d’une adhésion au regard des précédents pays entrés que sont la Roumanie et la Bulgarie, la situation de la justice et de l’État de droit continuait, et continue, depuis la signature du traité, de faire l’objet d’un examen minutieux de l’Union européenne. Pour ce pays, la répression de la corruption et l’efficacité du système juridictionnel constituent les deux axes inséparables des améliorations à apporter. Pour un pays qui se veut passionnément européen au sens identitaire du mot, le défi tant procédural que sociologique d’un enracinement effectif de l’État de droit demeure.

Droits fondamentaux

Le feu vert de principe obtenu pour l’adhésion n’exempte pas la Croatie de poursuivre les efforts demandés en matière de réforme du système judiciaire et de droits fondamentaux. Un mécanisme de suivi permettra de vérifier le respect des engagements d’ici 2013. L’ombudsman ou défenseur des droits a reçu de nombreuses réclamations.


La situation en 2010
S’agissant du respect des droits fondamentaux, la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) de Strasbourg a rendu en 2010 24 décisions relatives à la Croatie, dont beaucoup condamnent la Croatie et 912 requêtes ont été introduites devant cette Cour, ce qui est exorbitant pour un si petit pays de 4,5 millions d’habitants.

En septembre 2010, un stock de 1437 affaires la concernant était toujours pendant.

La Cour de Strasbourg a relevé des violations, par la Croatie, de l’article 6 de la CEDH, article relatif au jugement équitable, tant au regard de la longueur excessive des procédures que de la complexité dans la répartition des compétences entre tribunaux civils et juridictions administratives. La Cour a également considéré que l’appel aux cours supérieures, au regard de la longueur des procédures ne constituait pas un « recours effectif » au sens de l’article 13 de la même convention tandis que les nouvelles juridictions administratives (système en voie d’installation d’ici 2013) auraient une tendance à avoir une vision seulement « formelle » et non substantielle des droits fondamentaux.


Les réformes de la justice. Quels combats restent à mener ?

Un problème particulier se pose à la justice croate. C’est un des pays au monde où la proportion de juges par rapport à la population est la plus importante du fait, notamment, de la superposition des recrutements de juges issus de périodes politiques très différentes :

. époque communiste ;

. recrutement de la présidence Tudjman (1990-1999) ;

. recrutement de la décennie 2000.

Il est nécessaire, et cela a été rappelé par plusieurs rapports de la Commission européenne, que la Croatie arrive à une rationalisation de la gestion des cours et tribunaux, de la carrière et du recrutement des juges, et qu’elle mène à son terme l’adaptation des procédures aux normes européennes, dans tous les sens du mot « européen ». Parvenir d’une part à l’adaptation de sa justice aux doubles normes du Conseil de l’Europe, dont la Croatie est membre depuis novembre 1996, et de l’UE, sera un défi à relever.

Elle doit pour cela se fonder sur la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, jugée par la Cour Européenne Des Droits de L’Homme, juridiction du Conseil de l’Europe, appelée couramment CEDH, en assurant notamment le respect de l’article 6 (garanties des procès équitables) et celui de l’article 13 (Recours effectif), et cela sans oublier l’adaptation aux exigences de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), appliquant le droit de l’UE, même si les deux hiérarchies de normes se recoupent. En effet, L’UE va adhérer à la CEDH.

Face à cette situation, des réformes de la justice ont été entreprises, notamment sur la carrière et la formation des juges [4].

La nouvelle loi sur la justice administrative met en place, progressivement, un système où 4 cours administratives de premier ressort vont couvrir, le 1er janvier 2013, l’ensemble du territoire croate, avec une cour d’appel administrative pour la Croatie entière.

Cette réforme a voulu prévenir une des principales critiques adressée au système juridictionnel croate, par la commission lors de l’ouverture des négociations en 2005, celle de n’avoir prévu aucune procédure de recours pour contester les décisions de l’administration.

2. La justice internationale. Les crimes de la guerre de 1991-1995

Tant les Nations Unies et leur comité des Droits de l’Homme (CDH) que le Tribunal de procureur en chef du TPIY ont indiqué, avant 2011, que la Croatie continue à ne pas présenter au Tribunal tous les documents militaires liées à l’opération Oluja (« Tempête »), menée du 4 au 7 août 1995, pour lequel trois généraux de l’armée croate (Ante Gotovina, Ivan Cermak et Mladen Markac) ont été, nous l’avons vu, jugés à La Haye.

La Croatie est, toutefois, considérée par la Commission de Bruxelles, au moins depuis l’automne 2010, comme coopérant suffisamment avec le TPIY, même si des problèmes peuvent continuer à se poser, et sur ce point, le constat est convergent entre la plupart des ONG et le TPIY, pour l’accès effectif à certains documents. Les réactions mitigées en Croatie après le verdict des procès du TPIY, en avril 2011, n’ont pas modifié cette réalité : déplorer est une chose, accepter un verdict en est une autre.

Sur ce point, une ONG comme Amnesty international a considéré toutefois, contrairement à la Commission européenne, que des progrès très limités avaient été accomplis dans la poursuite des cas de crimes de guerre commis par les membres de l’armée croate et les forces de police contre des Serbes de Croatie et de membres d’autres minorités, au cours de la guerre de 1991-1995.

Il y aurait eu, même en 2010, selon la même ONG un manque persistant de coopération avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie sur les documents militaires liés à l’opération Oluja (« Tempête ») d’août 1995 (voir supra). Selon le même rapport, demeuraient en suspens certains cas d’agressions contre des journalistes et des affaires de discrimination contre les Roms et les Serbes de Croatie, ce qui entache, entre autres choses l’accès aux droits économiques et sociaux.

L’affaire des trois généraux jugés au TPIY

La Chambre de première instance du TPIY a, selon les termes de son communiqué officiel, déclaré, le 15 avril 2011, deux généraux croates, Ante Gotovina et Mladen Markač, coupables de crimes contre l’humanité et de violations des lois ou coutumes de la guerre, perpétrés par les forces croates au cours de l’opération Tempête (Oluja) campagne militaire menée entre juillet et septembre 1995, dont l’essentiel des affrontements eu lieu du 4 au 7 août 1995.

Ante Gotovina, lieutenant général dans l’armée croate et commandant du district militaire de Split durant la période couverte par l’acte d’accusation, et Mladen Markač, ministre adjoint de l’intérieur chargé des questions relatives à la police spéciale, ont tous deux été reconnus coupables de persécutions, expulsions, pillages, destructions sans motif, meurtres, d’assassinats, actes inhumains et traitements cruels. Ils ont d’abord été condamnés, respectivement, à 24 et 18 ans d’emprisonnement. Ils ont ensuite été acquittés du chef d’actes inhumains (transfert forcé). Ivan Čermak, qui commandait la garnison de Knin, enjeu symbolique fondamental des affrontements serbo-croates depuis le mois de juillet 1990, a été acquitté de tous les chefs d’accusation lors du verdict de première instance du 15 avril 2011.

La Chambre de première instance du TPIY a conclu que les crimes commis avaient été perpétrés dans le cadre d’un conflit armé international se déroulant en Croatie et dans le contexte des tensions qui existaient depuis de nombreuses années entre les Serbes et les Croates dans la région de la Krajina, où un certain nombre de crimes avaient déjà été commis à l’encontre des Croates.

La Chambre de première instance a conclu que les forces de l’armée croate et de la police spéciale avaient commis un très grand nombre de crimes à l’encontre de la population serbe au cours de l’opération « Tempête ».

La télévision croate (HTV) avait, notamment, créé le scandale en diffusant des enregistrements d’une séance du Conseil de la défense, tenue juste avant l’opération « Tempête », à l’été 1995.
L’accusation du Tribunal de La Haye considère ce document-là comme l’une des preuves-clé pour appuyer sa thèse, selon laquelle les généraux Gotovina, Čermak et Markač doivent être condamnés pour crime de guerre étant donné qu’ils ont réalisé le projet du président Franjo Tudjman qui était, selon le tribunal, le nettoyage ethnique de la population autochtone serbe de la Krajina, parallèlement à la libération des zones occupées de Croatie. Ce verdict sévère pour ce qui concerne deux des accusés a provoqué des manifestations populaires de protestations et un communiqué de protestations du gouvernement croate. Mais la contribution de la télévision à l’acte d’accusation montre que l’opinion croate, sur ce point comme sur d’autres, est divisée. Les élites ont une opinion nuancée sur le TPIY, une partie des couches populaires, plus souverainistes ou « patriotes », y voient une juridiction étrangère hostile.

Toutefois, le 16 novembre 2012, la chambre d’appel du TPIY a acquitté les généraux croates Ante Gotovina et Mladen Markac de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, alors qu’ils avaient été condamnés, nous l’avons vu, à dix huit et vingt-quatre ans de prison en première instance.

La Cour d’appel du TPIY, dans sa décision, ne nie pas que des crimes se soient produits contre des Serbes, et qu’un nombre important, jusqu’à 200 000 civils serbes aient été amenés à fuir les troupes croates en 1995.

Elle ne nie pas non plus que des civils serbes aient été victimes de crimes lors de cette offensive contre les séparatistes serbes des "Krajina" (entités autoproclamées en Croatie).
La Cour d’appel du TPIY a cassé, cependant, le précédent jugement, se fondant sur le fait que des bombardements éloignés de plus de 200 mètres de l’objectif militaire ne sont pas indiscriminés, donc illégaux au sens du droit de la guerre, contrairement à ce qu’avait affirmé le premier jugement de la Cour.

Cependant, ce jugement a été acquis par une majorité de trois contre deux. Choqués par le jugement de leurs trois collègues, le juge italien Fausto Pocar et le vice-président du TPIY, Carmel Agius, conformément à une pratique des tribunaux internationaux, inspirée de la Common Law, ont écrit des opinions dissidentes, formulant des critiques incisives. Le juge Agius relève que plus de 900 obus sont tombés sur la ville de Knin (ville alors à majorité serbe, reconquise par les forces croates en août 1995) en 36 heures alors qu’elle ne résistait plus, sans que cela ne suscite l’intérêt des trois autres juges de la Cour d’appel. Il soutient que ceux-ci "ignorent ou ne prennent pas en considération les preuves sans donner de justification adéquate". Le juge italien conclut pour sa part que "le jugement de la Cour d’appel contredit tout sens de justice". Le procureur du TPIY lui-même, Serge Branmertz, a dit sa "déception" dans un communiqué, affirmant sa solidarité avec les critiques formulées par les deux juges minoritaires.

« Cependant, cette affaire ne concernait pas les crimes commis avant la période concernée par l’acte d’accusation, a précisé le Juge Alphonsus Orie qui présidait la Chambre de première instance, Elle ne concernait pas non plus la licéité du recours à la guerre et la conduite de la guerre elle-même  ». « Dans cette affaire, il s’agissait d’établir si les civils serbes de la Krajina ont été la cible de crimes, et de déterminer si les Accusés devraient en être tenus responsables », a ajouté le Juge Orie.

Cette conjoncture particulière a conduit certains spécialistes du TPIY comme Pierre Hazan, dans un article dans Le Monde du 14 décembre 2012 à titrer : « Les victimes serbes ignorées par la justice internationale ». Cette opinion s’explique en partie par l’acquittement, presque simultané, par un jugement du 29 novembre 2012, de l’ancien premier ministre du Kosovo, Ramush Haradinaj, pour des raisons différentes dont la faible crédibilité des témoins, peut-être terrorisés par la crainte de représailles. Si l’on se limite à l’affaire des généraux croates, on peut considérer que l’usage de la qualification juridique « d’entreprise criminelle commune », souvent critiquée par les pénalistes, dans la mesure où l’on risque d’être condamné pour les faits d’autrui, peut faire hésiter des juges, si on considère qu’il faut une preuve « au-delà de tout doute raisonnable ».

En réalité, du fait d’un standard de preuve très élevé en droit pénal, issu de la Common Law, celui de Beyond Any Doubt (« au dessus de tout doute raisonnable »), tout relâchement du lien de causalité signifie l’acquittement. Selon l’appréciation qu’on a d’un seul chainon du lien de causalité (par exemple, la précision, intentionnelle ou non, de tirs d’artillerie), l’appréciation globale peut être différente suivant les doutes que l’on éprouve (ou non) envers chaque élément. Pour de nombreux juristes français, et beaucoup de militants actifs des ONG œuvrant en faveur des droits de l’homme, habitués à l’instruction maitrisée par un juge d’instruction et à l’intime conviction des jurés en cas de procès d’assises ( article 427 du code pénal), accepter que des responsables réels ou supposés d’opérations - qui ont entrainé un départ massif de civils, et la mort de certains - bénéficient de cette opportunité paraît incongru. Mais le droit pénal, surtout en cas de procédure accusatoire et de charge de la preuve exigeante, permet à la défense, si elle est bien organisée, une efficacité certaine en mettant en valeur la complexité des faits et l’effet mécanique de certaines qualifications juridiques (ici, entreprise criminelle commune), peu protecteur des droits de la défense. [5]

3. Économie et politique

S’agissant des critères politiques, si l’on entend par là le système politique et le respect du pluralisme démocratique, les auteurs du rapport de la Commission du 9 novembre 2010, notent que les élections présidentielles de janvier 2010 se sont déroulées sereinement et respectent les critères de l’OSCE, malgré des imperfections dans les registres électoraux.

Le gouvernement, malgré un passage de témoin difficile entre Ivo Sanader et Mme Jadranka Kosor et le départ, en juillet 2010 du parti social-libéral [6] (HSLS) de la coalition, a continué de fonctionner jusqu’aux élections législatives du 4 décembre 2011. En réalité, certains facteurs, comme cette élection, au suffrage universel, en janvier 2010, du président Ivo Josipovic à la présidence de la république, professeur de droit international, de centre-gauche, dépourvu, il est vrai des pouvoirs de Franjo Tudjman (président de 1990 à 1999) et même d’un président français, ont modéré le pouvoir du gouvernement de centre-droit de Mme Jadranka Kosor, membre du HDZ [7].

S’exprimant en faveur des réformes réalisées en vue de l’adhésion, Jadranka Kosor a précisé que « tous les changements menés à bien par la Croatie à des fins d’adhésion sont irréversibles ». Elle a évoqué la réforme de la justice et la lutte contre la corruption. « Nous continuerons à travailler sans relâche non seulement jusqu’à la date de l’adhésion, mais également par la suite », a confié Mme Kosor dans son message à la Commission européenne publié peu avant la réunion du 23 juin 2011 au Conseil Européen [8].

Jadranka Kosor a souligné que l’adhésion revêtait une importance particulière non seulement pour la Croatie, mais aussi pour tous les autres pays de la région, et que cette perspective pourrait les aider dans leurs efforts d’intégration. « L’intégration européenne est la seule solution qui assure une paix durable et une reprise économique », a-t-elle fait valoir. Il se trouve, en effet, que la dernière année précédant l’adhésion avait été fort agitée dans la vie politique croate.

S’agissant des critères économiques, la Commission, dans le même rapport du 9 novembre 2010, admet que l’économie de marché fonctionne, même si l’ouverture au marché peut poser des problèmes à une économie croate. En mars 2011, 25 des 35 chapitres de l’acquis communautaire ont été clos. En novembre 2010, les négociations se poursuivaient sur les chapitres concurrence, agriculture, politique régionale, justice et droits fondamentaux, l’environnement, sécurité extérieure et défense, budget, c’est-à-dire, en un sens, sur l’essentiel.

« Ce grand effort des Croates et de votre gouvernement portera ses fruits dans l’avenir. Je le dis en tant que Polonais qui, comme tous mes concitoyens, profite depuis des années du fait que l’Europe est unie et que nous en faisons partie. », a déclaré le chef du gouvernement polonais lors de la cérémonie de remise du 17 septembre 2011.

« C’est un pas qui nous rend plus proches de l’Union européenne et de l’adhésion », a affirmé pour sa part la Première ministre, Jadranka Kosor, dans sa réponse. « Il reste beaucoup à faire, nous devons signer le traité, mais nous avons réussi à achever l’essentiel. Cet accord international comptant 300 pages reste sans doute l’un des accords et des textes les plus importants signés par la Croatie dans son histoire. », a-t-elle souligné.


Malaise social pendant l’hiver 2010-2011

Pour un diplomate analysant l’évolution du dossier croate et la négociation des chapitres de l’acquis UE de Bruxelles, la situation de la Croatie paraissait, à l’automne 2010, se présenter de manière favorable. D’ailleurs, le 3 mars 2011, Mme Jadranka Kosor, a pu déclarer aux parlementaires européens du groupe PPE et à Viviane Reding, commissaire européenne en charge des affaires de justice, venu en visite à Zagreb : « la porte est ouverte, la Croatie revient en Europe, c’est à dire chez elle » [9]

Mais cette vue de la Croatie d’en haut, sur dossier ou de Bruxelles contrastait avec une deuxième vision, celle de Zagreb, de Rijeka, de Split ou d’Osijek. De ce point de vue, la révolte sociale et le désarroi politique semblaient à l’ordre du jour, rappelant que la Croatie se rattache à bien des égards, sur le plan socio-économique, à un arc de cercle méditerranéen, de Madrid à Rome en passant par Athènes. Cet arc de cercle méditerranéen, celui de l’austérité contrainte des Etats européens du sud sous surveillance ou perfusion européenne, en admettant même qu’elle ne se rattache en rien au « printemps arabe » du début 2011, ce qui n’est pas certain, dans la mesure où du « printemps croate » de 1971 au conflit de 1991-1995, le mélange de révolte démocratique et de pesanteur d’une culture politique autoritaire caractérise largement la Croatie.

Cela n’est pas, en réalité, nouveau. Fernand Braudel avait effectué une partie des recherches nécessaires pour sa fameuse thèse [10] dans les archives de Dubrovnik et, à l’évidence, la géographie a fait de ce pays un mixte d’Europe Centrale continentale et de pays méditerranéen, avec des frontières balkaniques (Serbie, Monténégro et, surtout, Bosnie-Herzégovine).

Cela s’ajoute à la longue histoire des suites de la guerre de 1991-1995, que les procédures et les procès du TPIY viennent rappeler sans cesse aux Croates, pour nourrir le malaise social et le doute identitaire.

Parfois, un évènement montre l’entrecroisement entre les trois phénomènes, la volonté d’intégration européenne ou son refus, la crise politique, le problème social d’aujourd’hui et la mémoire ambigüe d’hier, constituant un « événement total » au sens d’Emmanuel Leroy-Ladurie [11]

Le 28 février 2011, un défilé de 15 000 vétérans de la guerre 1991-1995 a dégénéré à Zagreb quand les manifestants ont voulu protester sous les fenêtres du gouvernement. Le président élu depuis janvier 2010, Ivo Josipovic, s’est vu reprocher d’avoir fait arrêter les généraux croates Ivan Cermak et Mladen Markac [12] pour crimes de guerre et crimes de droit international pénal, alors qu’il aurait négligé les pensions des militaires et anciens combattants. Mais nul ne pouvait ignorer à Zagreb que ces poursuites et procédures consenties à la Haye représentaient une des conditions posées par l’UE pour envisager l’adhésion de la Croatie. L’acquittement des trois généraux (voir supra) et leur libération, effective à la fin du mois de novembre 2012, a apaisé ce malaise du point de vue politique, mais le problème des retraites, militaires ou civiles, continue d’entraver une Croatie vieillissante.

Toutefois, l’hiver 2010-2011, période morose, constituait lui-même l’aboutissement de deux années de crise économique et politique que la démission surprise de l’ancien premier ministre, Ivo Sanader, en juillet 2009, accusé de corruption par diverses sources, avait souligné de manière aiguë.

4. Corruption en Croatie : l’affaire Sanader

L’affaire Sanader, au regard de l’importance du thème de la corruption dans les négociations d’adhésion à l’UE et du rôle fondamental d’Ivo Sanader dans la vie politique croate de 2002 à 2009, mérite d’être replacée dans le contexte de la vie politique croate.

Ivo Sanader, qui avait été ministre de la Recherche du président Franjo Tudjman, avait réussi, dans un congrès en avril 2002, à transformer le parti HDZ, fondé par ce même président Tudjman, en parti pro-européen de centre-droit.
Ce parti, avait repris le pouvoir aux élections législatives du 23 novembre 2003. Ivo Sanader avait été immédiatement nommé président du gouvernement.

Suite aux élections parlementaires croates de 2007, Ivo Sanader avait formé une alliance avec le parti paysan croate (HSS), le parti libéral-démocrate (HSLS) et le parti « indépendant démocrate » des Serbes de Croatie (SNDS).

Il avait réussi à obtenir pour la Croatie le statut de pays candidat à l’Union européenne (17 juin 2004). Le début des négociations d’adhésion avait été retardé de plus d’un an du fait de la coopération insuffisante de la Croatie avec le TPIY concernant l’arrestation du général d’Ante Gotovina (voir supra).

Une grande partie des négociations d’adhésion à l’UE a donc eu lieu sous le gouvernement Sanader, de novembre 2005 à juillet 2009.

La chute d’Ivo Sanader

Le personnage d’Ivo Sanader, héritier de Franjo Tudjman, européen convaincu et acteur de l’intégration de la Croatie dans l’UE, dont l’extradition d’Autriche en Croatie au printemps 2011 et l’emprisonnement représentent un gage d’une lutte active de la Croatie contre la corruption, constitue une illustration emblématique des évolutions et des contradictions croates.

Il est accusé, notamment d’avoir reçu, d’une filiale de la banque autrichienne Hypo-Vereinbank, une somme importante que certains vont jusqu’à évaluer à 10 millions d’euros, ainsi que d’autres fonds pour favoriser la privatisation de la société pétrolière croate à des acquéreurs hongrois, selon toute vraisemblance. Or, les banques croates ont été très largement privatisées au début de la décennie 2000 et cette privatisation a, notamment et largement, bénéficié aux banques autrichiennes.

L’affaire (les affaires, si l’on place du point de vue procédural) se situe au carrefour de deux évolutions : sous la présidence Tudjman (1990-1999), les quelques privatisations opérées, notamment sur la côte Adriatique, ont suscité des controverses, leur régularité et la connivence politique supposée nourrissant les soupçons.

Après le décès de Franjo Tudjman et l’alternance politique de 2000-2003, les nouvelles privatisations, notamment bancaires se voulaient plus régulières, mais le soupçon de corruption est élevé dans la société croate.

Le déroulement du procès Sanader, en novembre et décembre 2011, reporté puis repris jusqu’au jugement du 20 novembre 2012, a révélé l’ampleur et les ramifications de la corruption, notamment dans le zèle qu’ont mis les amis d’Ivo Sanader à payer sa caution et à lui prêter une habitation pour lui permettre de passer les fêtes de fin d’année 2011 en liberté conditionnelle.

Le procès avait été reporté au printemps 2012, mais, finalement dix ans de prison pour corruption, c’est le verdict qu’a entendu 20 novembre l’ancien et puissant Premier ministre croate à l’issue de son procès à Zagreb. Le tribunal lui a également infligé une amende d’environ 480 000 euros. La peine est assez lourde, mais les juges n’ont pas suivi le parquet, qui demandait quinze ans d’emprisonnement, le maximum possible dans ce dossier.

Ivo Sanader a toujours clamé son innocence et affirmé être victime d’un « procès politique ». Une ligne de défense qui s’est révélée peu efficace face aux accusations d’avoir touché des pots-de-vin de plus de dix millions d’euros d’une banque autrichienne et d’un groupe énergétique hongrois (voir supra)

Les soucis de l’ancien Premier ministre risquent de ne pas s’arrêter là. Il est toujours accusé dans un autre procès du détournement de plusieurs millions d’euros pour son propre compte et celui de son parti.

La justice croate instruit, à la date du 20 novembre 2012, au total cinq dossiers contre Ivo Sanader pour des affaires de corruption et d’abus de pouvoir. Ironie de l’histoire, il est le premier responsable croate de ce niveau à être condamné pour corruption, alors qu’il était l’un des principaux artisans de l’adhésion prochaine de son pays à l’Union européenne. Or, celle-ci, comme on l’a vu, a fait de la lutte contre la corruption un critère important de l’intégration de la Croatie dans ses rangs.

L’année 2010, fort tendue pour les partis de gouvernement, du fait de ce malaise moral et social, a été plus favorable pour l’extrême-droite croate, malgré ou, en partie, à cause des scissions qu’elle a connues.

Salicional Démocratie, parti nationaliste fondé en 2009 s’est développé avec, à sa tête, son président Dejan Volubile. Le parti a eu quelques élus lors des élections municipales de Zagreb en 2009. Le Nervation Salicional Front (Front national croate – HNF), autre parti perçu comme se rattachant à cette mouvance, a été fondé en avril 2010 en tant qu’organisation des vétérans croates de guerre et de jeunes patriotes. Ils ne sont pas arrivés à devenir une réelle force politique, notamment aux élections du 4 décembre 2011, parce qu’ils manquent d’idées et d’initiatives. Ils ont une apparence d’extrême-droite avec leur style d’habits militaires et des slogans ultranationalistes, mais ils demeurent, en l’absence d’idéologie et sans discours de continuité avec la traditionnelle idéologie du Pravastvo [13], des « patriotes » de centre-droit.

5. Une opinion publique hésitante

Le discours politique et identitaire de retour en Europe

« Ce sont des signes d’espoir pour toute l’Europe. Aujourd’hui, quand tant d’hommes et de femmes politiques expriment leurs doutes sur l’avenir de l’Europe, votre effort, votre courage, cet acte pour devenir un participant de l’Europe à part entière, est un grand souffle d’optimisme, d’énergie et de force pour tous ceux qui ne cessent de croire dans le sens même de l’Europe. La Croatie, et vous, Madame la Première ministre, montrez que l’Europe a du sens pour les individus, les peuples et pour toute la grande communauté historique, culturelle et de civilisation à laquelle nous appartenons tous, et à laquelle nous retournons, après des années d’absence. », a déclaré le Premier ministre polonais, Donald Tusk en présentant le traité à Jadranka Kosor le 17 septembre 2011 [14].

Ce dialogue montre le double visage de l’adhésion croate à l’Union européenne : un aspect procédural et juridique et un aspect historique et culturel, que l’on pourrait appeler « identitaire » si ce terme n’impliquait pas un élément potentiellement polémique.

La Croatie se perçoit elle-même, du fait de son passé catholique romain, corrélatif de son appartenance à la chrétienté médiévale occidentale, de son appartenance à l’empire des Habsbourg devenu Autriche-Hongrie en 1867, comme faisant partie de l’Europe, peut-être l’Europe Centrale ou Mitteleuropa, au moins au sens de Jerzy Sczücs [15].

D’autre part, depuis la fin de la Yougoslavie fédérale et communiste, elle affirme son projet politique ou son intention d’adhérer à l’Europe au sens « bruxellois » du mot, c’est-à-dire au nouvel ensemble fondé par le traité de Rome du 25 mars 1957, dont la forme actuelle est l’Union européenne.

Cela suppose de se conformer à des critères et à des obligations juridiques résumées par les normes édictées au sommet de Copenhague de 1993 : une démocratie libérale incontestable, une économie de marché qui fonctionne de manière soutenable face à la concurrence du marché unique et un État de droit bien enraciné.

L’harmonie préétablie entre les deux conceptions, historique et procédurale de l’Europe, n’est pas acquise. [16]

Pour Franjo Tudjman - président du 7 mai 1990 à sa mort, le 10 décembre 1999 - et dans l’esprit de beaucoup d’anciens combattants de la guerre de 1991-1995 manifestants pendant l’hiver 2010-2011, l’opposition entre le sentiment lyrique d’appartenir à une Europe millénaire et la prosaïque obligation de se soumettre aux critères de l’acquis communautaire de l’Union européenne étaient ou sont peut-être insurmontables.

On rappellera un événement paradoxal : à l’enterrement du président Franjo Tudjman, le seul chef d’Etat présent était le chef d’Etat turc, du fait de la politique bosniaque du fondateur de la Croatie indépendante. Franjo Tudjman qui corrigeait tout interlocuteur affirmant que la Croatie, était « balkanique » par la réaffirmation de son caractère « européen » est aussi celui qui, par sa politique d’intervention en Bosnie, a « balkanisé » la politique croate et a retardé de 9 ans son intégration européenne au sens « bruxellois » de l’UE. La Slovénie est entrée dans l’UE dès 2004, celle de la Croatie est prévue en 2013.

Le jugement du 15 avril 2011 du TPIY (voir supra) condamnant Ante Gotovina estimait d’ailleurs que la manière dont le président Franjo Tudjman a organisé l’offensive d’août 1995 valait participation aux crimes commis par les deux généraux condamnés. Certes, dire cela, c’est simplifier la réalité : la sécession des Serbes de Croatie, soutenue par la Serbie de Slobodan Milosevic, créait une situation difficile. Mais la posture nationaliste, et peu « européenne » au sens de l’Union européenne adoptée par Tudjman, même après le traité de l ’Élysée du 14 décembre 1995 consacrant la reconnaissance de frontières internationalement reconnues de la Croatie, a joué un rôle dans cette adhésion différée. D’où une ambivalence de l’opinion publique, entre la lassitude et l’espoir.

Lassitude de l’opinion avant l’adhésion

Une double lassitude s’était exprimée avant l’adhésion et la fin des négociations, en juin 2011 : lassitude envers le gouvernement et lassitude envers l’adhésion à l’UE.

Selon un sondage cité par le journal de Rijeka Novi List (centre gauche) du 11 mars 2011, 83% des Croates considèrent que la Croatie va dans la mauvaise direction, alors qu’ils n’étaient que 54% l’année précédente. Plus des trois quarts des personnes interrogées déclaraient ne pas approuver la politique menée par le HDZ.

Une lassitude envers l’adhésion de l’UE s’était fait sentir en Croatie, où selon les sondages de mai 2011, 44,6% de la population soutient l’adhésion de leur pays à l’UE, alors que 41,8% s’y oppose.
« Cet important pas en avant pour la Croatie vers son adhésion est aussi un signal pour le reste de l’Europe du Sud-Est : il montre que l’élargissement fonctionne, que l’UE prend au sérieux son engagement, et que les réformes structurelles européennes dans les pays paient », a souligné M. Barroso.

L’hiver 2011 et le froid n’ont pas arrêté un flot continu de pétitions, de manifestations antigouvernementales, d’autodafés du drapeau des partis politiques et de heurts avec la police anti-émeute.

Mais à la fin du mois de février et au début du mois de mars 2011 les manifestants ont également brûlé, non seulement le drapeau du HDZ, mais aussi celui du principal parti d’opposition, le parti social-démocrate (SDP). A la date du 23 mars 2011, depuis plus de deux mois, des milliers de manifestants battaient tous les soirs le pavé de Zagreb et de plusieurs grandes villes de Croatie. Ils exigeaient la démission de Jadranka Kosor, Premier ministre depuis 2009, et des élections anticipées. Ils dénonçaient en vrac le capitalisme et l’Union européenne que la Croatie, selon les vœux du gouvernement et les pronostics européens, devrait rejoindre d’ici un an ou deux.

Dans les rues, de jeunes militants anarchistes se sont retrouvés avec des retraités en colère et des anciens combattants… Comment comprendre ce mouvement atypique, qui ne saurait se réduire à un mouvement d’anciens combattants des guerres nationales ou nationalistes, qui a débuté sur le réseau social Facebook ? Pourquoi les manifestants sont-ils contre l’intégration de Zagreb dans l’Union ? Après la Croatie, ce mouvement semble d’ailleurs s’inscrire dans un cadre plus large, une véritable vague de « révolutions Facebook » semble gagner les Balkans, puisque des mouvements similaires ont débuté en Bosnie et au Monténégro, prolongeant un mouvement qui devient « méditerranéen » et ne se limite pas au monde arabe, rappelant au passage que la Croatie est, très largement, un pays méditerranéen et ne peut se réduire à son identité centre-européenne.

La perception commune semble considérer que le chômage (toujours supérieur à 13% selon Eurostat en janvier 2011), la reprise incertaine de l’économie et la stagnation, voire l’appauvrissement relatif d’une partie de la population seraient la conséquence de l’incompétence et de la corruption de la classe politique croate, tous partis confondus.

Cependant, le premier ministre, Mme Jadranka Kosor (jusqu’aux élections du 4 décembre 2011), expliquait fréquemment que l’essentiel des problèmes de la Croatie provient de la crise économique mondiale et de causes externes, ce qu’on appelait la Contrainte extérieure dans la France de 1983.

Espoir et perspectives de l’adhésion

Mais en juillet 2011, le soutien des Croates à l’adhésion de leur pays à l’Union européenne avait augmenté dans les semaines ayant suivi le bouclage des négociations d’adhésion, fin juin, et ils étaient de nouveau plus de 50 % à être favorables à cette intégration, selon un sondage publié. L’adhésion de la Croatie au bloc européen est soutenue par 52 % des Croates, selon ce sondage réalisé du 1er au 20 juillet 2011 auprès de 943 personnes par l’Institut Ipsos Plus pour le ministère croate des Affaires étrangères.

Plus précisément, 34,1 % des personnes interrogées ont répondu qu’elles voteraient « sûrement » et 18 % qu’elles voteraient « probablement » en faveur de l’adhésion, si un référendum sur la question devait avoir lieu maintenant. Près de 38 % des personnes interrogées voteraient contre cette adhésion, selon la même source. Environ 10 % des personnes interrogées ont répondu qu’elles n’avaient pas d’opinion. C’est la première fois depuis décembre 2010 que le soutien à l’adhésion dépasse la barre des 50 %. « Ces r