"Géopolitique de la Macédoine (ARYM)", Yves Plasseraud
Géopolitique de la Macédoine (ARYM)
Par
*, le 20 février 2013, diplowebConsultant indépendant en Estonie et Lettonie. Expert des minorités en Europe médiane. Il a notamment enseigné auprès des universités de Strasbourg, Alicante, Vilnius et à l’Ecole de guerre (Paris).
Candidate officielle à l’Union européenne, la Macédoine (ARYM) reste méconnue. Spécialiste des minorités en Europe, Yves Plasseraud en fait ici une présentation.
Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, le Diploweb est heureux de vous présenter un extrait du nouvel ouvrage d’Yves Plasseraud, L’Europe et ses minorités, Collection Europa, Presses Universitaires de Grenoble (PUG).
La Macédoine : le défi de l’environnement
DISONS le d’emblée, la situation de la République de Macédoine [1](Republika Makedonija), petit État balkanique, est aujourd’hui très atypique. Tout d’abord, le nom même de cet Etat balkanique indépendant, né en 1991 de la dislocation de la Yougoslavie à l’imitation des républiques riches de l’ouest du pays, n’est pas encore pleinement reconnu par la communauté internationale, à commencer par la Grèce. La position intransigeante prise par Athènes concernant les symboles étatiques (drapeau, dénomination) de la nouvelle république – liés à l’histoire antique de la Macédoine - a notamment eu pour résultat que la république de Skopje apparait aujourd’hui encore dans les forums intergouvernementaux sous l’acronyme étrange de Former Yugoslavian Republic of Macedonia (FYROM).
Par ailleurs, ce petit Etat, l’un des plus pauvres d’Europe, voit sa population scindée entre une majorité de Macédoniens de souche, dont la qualité même de Macédoniens est contestée par nombre de Bulgares et de Serbes et une minorité albanaise, représentant un quart de la population du pays et qui, en proie à un fort courant nationaliste, n’admet pas clairement le pouvoir de Skopje.
Confronté à de redoutables difficultés économiques, entraînées notamment par les aléas de la privatisation, le déficit des entreprises publiques et les effets de l’embargo grec, le pays peine à décoller économiquement. Prise en tenaille entre ces problèmes économiques et les risques de déstabilisation géopolitique, Cette république a bien du mérite d’avoir longtemps maintenu un semblant d’équilibre et d’ordre public. Les choses paraissent malheureusement en train de se dégrader. Pour comprendre l’origine de la situation actuelle, il faut se replonger dans l’histoire de la région .
1. Une ethnogenèse complexe et contestée
Historiquement, le concept géographique de Macédoine [2] remonte à Alexandre le Grand qui, au IV° siècle, avant JC propagea la culture grecque des Balkans en Asie - centrale. Mais Alexandre était-il grec comme le prétendent les Grecs ou s’agissait-t-il au contraire - comme on le soutient à Skopje - d’un Macédonien hellénisé ? En d’autres termes : l’Etat antique de Macédoine appartient-il en exclusivité à l’héritage grec ?
Après avoir, pendant le haut Moyen-âge, été disputée entre Grecs, Bulgares et Serbes puis convertie à l’orthodoxie, la Macédoine fut, à dater de 1380, comme le reste de la région, soumise à la domination ottomane. De nombreux Albanais islamisés s’y installèrent durant cette période. Au congrès de Berlin de 1878, la Macédoine - au sens géographique du terme - devint plus que jamais - cette fois notamment du fait de son caractère multiethnique – une pomme de discorde entre les « prétendants » bulgares, grecs et serbes [3].
Ces derniers, rêvant d’une grande Serbie et ambitionnant d’annexer la Macédoine, déployèrent alors de grands efforts pour convaincre les Macédoniens de leur identité serbe et, pour cela, créèrent de très nombreuses écoles en langue serbe. De leur côté, les Bulgares, par église orthodoxe interposée, s’efforçaient de bulgariser les Macédoniens.
Simultanément, des milieux extrémistes macédoniens, les comitadjis travaillaient à fomenter une insurrection en liaison avec une Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne ORIM-VMRO, récemment créée. À partir de 1902, d’insurrections en affrontements sanglants de bandes rivales, la Macédoine ottomane demeura en effervescence. En 1903 le soulèvement d’Ilinden, aboutit même à une éphémère indépendance, dont, en dépit sa brutale répression par les Turcs, se réclament aujourd’hui encore les nationalistes macédoniens.
Au tournant du XX° siècle, sans parler des Macédoniens eux-mêmes, les positions des voisins de la Macédoine, alors ottomane, sont absolument antagonistes. Les Bulgares considèrent qu’il y à 52% de Bulgares dans la population macédonienne (0% de Serbes, 22% de Turcs et 10% de Grecs), les Serbes y détectent, eux : 72 % de Serbes (2% de Bulgares, 8% de Turcs et 7% de Grecs) et les Grecs ignorent les Serbes mais observent 37% de Grecs, 36% de Turcs et 19% de Bulgares [4].
Pour comprendre cette situation - a priori paradoxale - de quatre nationalismes antagonistes revendiquant la même population, il faut se souvenir que les diverses langues slaves des Balkans du sud sont très apparentées les unes aux autres. Par ailleurs les délimitations des unes aux autres sont géographiquement assez floues. Une doctrine nouvelle, connue sous le nom de macédonisme, visant à engendrer un peuple macédonien, certes apparenté aux Serbes, mais autonome, naît bientôt de ces efforts serbes. De leur côté, les Grecs continuent à ne voir dans les Macédoniens slavophones que des Grecs slavisés.
Au terme de la Seconde Guerre balkanique (1913) qui voit le retrait de Constantinople de l’essentiel de ses territoires européens [5], la Serbie victorieuse met la main sur la Macédoine du Vardar [6]. A la fin de la Grande Guerre, Belgrade se trouvant du côté des vainqueurs et alliée de la France, rien ne saurait lui être refusé. À partir de 1918 ayant obtenu la création d’un vaste Royaume sud- slave - sous domination serbe - incorporant la Macédoine, Belgrade proscrit désormais toute forme de macédonisme, ne voulant plus voir dans la région que des Serbes.
Mais ce « jacobinisme » grand serbe vient bien tard et une conscience macédonienne est déjà répandue au sein de la population slavophone de la région. En 1934, appliquant les principes posés par Staline, le Komintern reconnaît d’ailleurs l’existence d’une nation macédonienne. En 1943, Tito affirme à son tour l’existence de la dite nation afin de favoriser la création de groupes de résistance nationaux, nécessaires à son combat contre les puissances de l’Axe.
Après le Second Conflit mondial, l’ancêtre de l’actuelle république est créé par le Croate Tito en 1945, pour contrebalancer le poids de la Serbie au sein de la fédération et contenir d’éventuelles velléités expansionnistes de Sofia vers l’Ouest.
C’est ainsi que, progressivement une identité nationale macédonienne prit corps et qu’une véritable langue naquit sur la base de ce qui n’était au départ qu’un dialecte sud-slave parmi d’autres. En 1967, couronnant l’édifice, une église autocéphale macédonienne vit le jour. Durant cette phase d’ethnogenèse, une active et souvent radicale, émigration [7], installée notamment en Amérique du Nord et en Australie, servait d’arrière et de caisse de résonance à cette nouvelle nationalité.
2. Une situation géopolitique délicate
Quelle est aujourd’hui la situation de la République de Macédoine par rapport notamment à son environnement géopolitique ?
Sofia parait avoir renoncé à ses rêves anciens d’une Grande Bulgarie, l’équilibre régional et la stabilité des frontières semblant actuellement être les mots clés de la politique bulgare. Certes, la doctrine officielle de Sofia n’admet toujours pas explicitement l’existence d’une nation macédonienne, mais, contrairement à la Grèce, elle reconnaît cependant la République de Macédoine et s’efforce d’entretenir des rapports cordiaux avec elle. Cette cordialité implique toutefois que Skopje ne manifeste pas un intérêt trop soutenu pour la minorité macédonienne de Bulgarie !
Pour un certain nombre de ressortissants Bulgares, surtout d’origine macédonienne, en revanche, la République de Macédoine n’est toujours autre que la « Macédoine du Vardar » dont la vocation est de se réunifier un jour avec « leur » Macédoine, celle du Pirin [8] et la Macédoine égéenne, c’est à dire grecque, dans la mesure où les Macédoniens sont pour eux des Bulgares. L’ancienne ORIM-VMRO [9], relancée en 1990, milite d’ailleurs en ce sens à partir de la ville bulgare de Blagoevgrad, capitale de la Macédoine du Pirin [10].
La Grèce, qui a pourtant initialement accepté l’existence d’un Etat issu de l’ex-république yougoslave de Macédoine, dénie en revanche toujours à ce dernier le droit de s’appeler Macédoine [11], ce vocable faisant aux yeux d’Athènes indissolublement partie de son patrimoine culturel national. La constitution de 1991 de la république macédonienne ne dissipait au demeurant pas entièrement ces craintes dans la mesure où son article 49, dans sa rédaction d’origine, disait : « la République veille à la situation et aux droits des citoyens des pays voisins d’origine macédonienne ... » [12].
À la mi - 2012, on semblait s’orienter vers un compromis au terme duquel le nom officiel de la Macédoine deviendrait « Macédoine du Vardar », du nom du fleuve qui traverse le pays.
3. Un pays de minorités
Le terme générique de macédoine décrit un plat mélangeant de façon étroite un certain nombre d ‘éléments de nature différente. Ceci correspond tout à fait à la situation ethnique du pays qui porte ce nom. Au terme du dernier recensement (2004), on dénombre en effet dans le pays 64,18% de Macédoniens, 19,2% d’Albanais, 3,9% de Turcs, 6,% de Roms, 0, 48% d’Aroumains (Vlaks), 1,9% de Croates, 1,78% de Serbes, 1,7% de Bosniaques et 1,04% de divers [13].
La première minorité du pays, les Albanais, est un cas à part, nous y reviendrons plus bas.
Le second groupe ethnique du pays serait les Turcs avec une communauté aujourd’hui réduite après de nombreux départs et assimilations à la population albanaise. Particulièrement concentrés à Skopje et dans l’ouest du pays, les Turcs se déclarent souvent insatisfaits de leur sort. Leur religion, l’Islam sunnite, les rapproche souvent des Albanais.
Les Roms, troisième minorité de ce pays [14] qui a toujours constitué un refuge pour eux, sont largement concentrés dans la capitale et ses abords, notamment à Shuto Orizari, ville Rom exemplaire, filmée par Emir Kusturica dans Le temps des Gitans. Plus qu’ailleurs dans les Balkans, ils bénéficient de la part des autorités d’une reconnaissance culturelle et même politique [15] et ont conservé leurs coutumes et leur langue, appelée ici romanès.
Malheureusement, en dépit de cette bienveillance officielle, la majorité des Roms vit toujours dans une extême pauvreté et leur insertion sociale demeure à la fois précaire et insuffisante. En effet, faute de financement, les divers programmes politiques mis en œuvre par les autorités n’ont guère donné de résultat.
Peu alphabétisés, le plus souvent chômeurs, les Roms demeurent mal intégrés aux structures du pays dont ils n’acceptent pas toujours la pérennité. La situation s’avère particulièrement préoccupante chez les femmes et les enfants [16]. Généralement musulmans, ils ont spontanément tendance à se rapprocher de la communauté albanaise. Aux Roms macédoniens viennent aujourd’hui s’ajouter un nombre important de Roms réfugiés du Kosovo voisin .
Signe encourageant cependant, la récente 8° réunion du Conseil de Stabilisation et d’Association entre la Macédoine et l’UE fait état de progrès en matière d’intégration des Roms et note une volonté gouvernementale soutenue d’améliorer l’intégration scolaire des Roms et leur insertion économique [17].
Le recensement de 2002 a aussi fait apparaître 1, 78% de Serbes, vivant au nord du pays. Toutefois, n’ayant pas été reconnus comme une minorité par la constitution de 1991, les Serbes de Macédoine ne bénéficient pas officiellement de droits culturels. Ajoutons que les Aroumains, aussi appelés Vlaks, largement en voie d’assimilation aux Slavo - Macédoniens, seraient encore 8000 - mais ils se proclament eux-mêmes 80 000 - dispersés dans le pays et ne disposent ni d’écoles, ni de station de radio dans leur langue. On dénombre en outre quelque 1 700 Bulgares qui se plaignent parfois de déni d’identité, étant vus pas Skopje comme de simples Macédoniens.
Les principaux groupes minoritaires ont créé des partis politiques ethniques qui ont vocation à les représenter et à défendre leurs intérêts spécifiques, dans les diverses instances politiques du pays.
4. Un statut protecteur pour les groupes minoritaires
En 2001, peu après la proclamation de l’indépendance de la République, le pays se retrouve au bord de la guerre civile en raison de la vigueur des revendications albanaises ayant suscité une insurrection armée. Un accord de paix est cependant signé le 13 août 2001 dans la petite ville d’Ohrid au bord du lac du même nom avec un encadrement de l’ONU et de l’OTAN. Il s’agit alors aux yeux des parties de donner satisfaction aux revendications albanaises, tout en évitant l’éclatement de l’État macédonien. Le texte de l’accord d’Ohrid sert depuis lors de carnet de route tant aux autorutés de Skopje qu’aux responsables de la communauté albanaise.
En matière de droits accordés aux minorités nationales, l’article 48 de la Constitution de 1991 contient un certain nombre de dispositions particulières dans les domaines de la culture et de l’éducation des minorités :
Article 48
1. Les membres des minorités nationales ont le droit d’exprimer, d’encourager et de développer librement leur identité et leurs spécificités nationales.
2. La république de Macédoine garantit la protection de l’identité ethnique, culturelle, linguistique et religieuse des minorités nationales.
3. Les membres de ces minorités ont le droit de créer des institutions à vocation culturelle et artistique, ainsi que des associations à vocation scolaire et autre ayant pour objet l’expression, l’encouragement et le développement de leur identité.
4. Les membres de ces minorités ont droit à un enseignement primaire et secondaire dans leur langue, selon les modalités définies par la loi.
5. Dans les écoles où l’enseignement est dispensé principalement dans la langue d’une minorité nationale, le macédonien sera également étudié.
Afin de surveiller les questions relevant des relations interethniques, le gouvernement a créé, par l’article 78 de la Constitution, le Conseil pour les relations interethniques. Ce conseil, présidé par le président du Parlement, est composé de deux membres choisis au sein des groupes linguistiques représentant les Macédoniens, les Albanais, les Turcs, les Vlaks et les Tsiganes, ainsi que de deux membres pour chacune des autres nationalités présentes dans le pays et représentées au Parlement. Le Conseil procède à des évaluations et formule des propositions dont le Parlement doit tenir compte.
Le Conseil pour les relations interethniques a été fortement critiqué par les représentants des minorités non expressément nommées : les Serbes, les Bosniaques, les Grecs, etc. D’ailleurs, le Conseil n’a encore guère joué de rôle actif depuis sa création.
5. La « décentralisation municipale » de 1995
Dans son désir de ne prendre aucun risque, Skopje s’est efforcée de suivre une politique exemplaire en matière minoritaire. Ces démarches trouvent toutes place dans le cadre de l’Accord - Cadre d’Ohrid d’août 2001 susmentionné qui, à de nombreux égards s’inspire de la doctrine du consotionalisme exposée plus loin (cf. infra, p.).
Depuis quelques années, le gouvernement macédonien a décidé d’initier une politique de décentralisation faisant une large place à la prise en compte de l’élément ethnique. En 1994, il a ainsi procédé à une réorganisation territoriale visant à créer des minorités ethniques claires au sein de chaque municipalité, de sorte que 29 municipalités albanaises, 4 turques, 1 serbe et 1 Rom ont ainsi été créées. Ensuite, une politique de « décentralisation municipale », initiée en 1995, prévoit que dans les municipalités où l’élément minoritaire dépasse les 20% (préalablement 50%) de la population, ces minoritaires bénéficient de larges franchises linguistiques. En outre, ils sont autorisés à utiliser officiellement leur symbolique communautaire et le chef de la police locale est choisi par leurs représentants sur une liste préparée par le ministère de l’intérieur !.
Ils bénéficient en outre d’une équitable représentation au sein des ministères nationaux. Ces réformes courageuses qui ont clairement bénéficié aux importantes communautés minoritaires (moins aux petites) ont été accueillies favorablement par la communauté internationale.
La constitution de 2001
Le 15 novembre 2001, le Parlement macédonien a proclamé la nouvelle Constitution, axe central de l’accord de paix d’Ohrid, qui élargit les droits de la minorité albanaise vivant dans le pays. Le préambule de la Constitution de 1991 mentionne les albanophones et autres groupes minoritaires vivant en Macédoine comme des « peuples » en les distinguant cependant du « peuple macédonien » majoritaire.
Les députés ont introduit 15 modifications à la Constitution, inspirées des principes du consotionalisme. L’albanais est ainsi devenu l’une des deux langues officielles au coté du macédonien et les albanophones bénéficient d’une représentation accrue dans la fonction publique. Les modifications garantissent des mécanismes de blocage lors des votes au Parlement sur les lois à caractère culturel.
En outre, aux termes de la nouvelle constitution :
. la langue albanaise devient officielle aux côtés du macédonien dans toutes les municipalités peuplées d’au moins 20 % d’Albanais.
. l’usage de cette langue est autorisé au Parlement.
. les effectifs de la police doivent comporter au moins 23 % d’Albanais.
. les lois doivent être rédigées tant en macédonien qu’en albanais.
Une université albanaise, l’Université de l’Europe du Sud-Est, est créée à Tetovo, l’État est tenu de la financer en partie, avec l’aide de fonds européens.
Mentionnons enfin que la Macédoine a signé et ratifié les protocoles N° 7 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (10 avril 1997), ainsi que la Convention – Cadre du Conseil de l’Europe. Le gouvernement a par ailleurs signé, le 25 juillet 1996, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (1992).
En 2008, une loi a été adoptée afin de protéger les droits des communautés représentant moins de 20% de la population d’une municipalité. Ensuite, une Agence nationale pour la sauvegarde des droits des petites communautés a vu le jour (Accord cadre de 2009) [18]. En dépit de ces efforts gouvernementaux, la situation demeure incertaine et souvent tendue dans les zones de fort peuplement minoritaire.
6. "Encombrants" Albanais
En 1953, au terme d’un recensement yougoslave de la population macédonienne, les Albanais représentaient 11,7% de la population de la République macédonienne. En juin 1994 un nouveau recensement est effectué sous contrôle international. Au terme de ce dernier, les Albanais sont alors 400 000 (ils considèrent eux-mêmes qu’ils sont le double), soit 22,6% de la population [19]. Leur dynamisme démographique demeure impressionnant et leur nombre s ‘accroît de ce fait très vite !
Massivement musulmans et essentiellement concentrés dans l’ouest du pays, le long des frontières de l’Albanie et du Kosovo, ils ne se considèrent pas comme une minorité et, à défaut d’un détachement au profit d’une entité albanaise se veulent « peuple constitutif » de la République, au même titre que les Slavo - Macédoniens. En 1992, un référendum officieux parmi les Albanais aurait d’ailleurs démontré que 95% de ceux-ci sont favorables à une autonomie territoriale des régions albanophones. Pour l’instant, les dirigeants albanais de Tetovo et de Gostivar ne réclament pas l’indépendance.
Après 1998, l’insurrection, puis l’indépendance du Kosovo voisin et frère pour les Albanais, a encore accru la perplexité des autorités de Skopje. Les autorités, embarrassées face au comportement des dirigeants de la communauté albanaise [20], tergiversent craignant qu’une autonomie de fait de la région ne se transforme en séparatisme. Cette préoccupation a incité Skopje à mettre en place la « décentralisation municipale » évoquée ci-dessous.
Depuis l’indépendance, le gouvernement de Skopje est parvenu, non sans une certaine présence, militaire notamment, de la communauté internationale, à maintenir [21] le précaire équilibre ethnique et géopolitique sur lequel se fonde la stabilité du pays.
Reconnue en 2005 comme candidate à l’Union Européenne, Skopje n’a toujours pas reçu – du fait de l’attitude grecque - l’autorisation du Conseil Européen pour entamer des négociations d’adhésion. Cette longue attente, sans réel espoir a entrainé un eurocepticisme croissant au sein de la population. Corruption, népotisme, réduction de la liberté de la presse, sont autant se signes inquiétants d’usure de l’espoir.
L’attitude d’Athènes [22] commence à entraîner une surenchère nationaliste de la part de Skopje que symbolisent la récente érection de statues monumentales d’Alexandre le Grand et de Philippe de Macédoine pour rappeler l’héritage psdeudo-hellénique du pays. Simultanément, le chômage croissant les rapports Albanais-Macédoniens se tendent, heurts et violences se multiplient entre Musulmans et Orthodoxes [23].
Copyright novembre 2012-Plasseraud/Presses universitaires de Grenoble
Plus
Yves Plasseraud, L’Europe et ses minorités, Collection Europa, Presses Universitaires de Grenoble (PUG)
Présentation par l’éditeur
Depuis des décennies, la question des minorités agite le continent européen, conduisant parfois à la guerre, voire à la guerre civile. Aujourd’hui, si l’Union européenne nous épargne les conflits majeurs que l’Europe a connus, la question des minorités reste préoccupante : séparatistes basques, nationalistes corses, mais aussi Roms, Ossètes ou Tchétchènes s’invitent régulièrement à la une des journaux. Mais au-delà de ces minorités historiques, il existe aussi des minorités plus récentes, issues de l’immigration de ce dernier demi-siècle.
Fort de son expérience internationale, Yves Plasseraud constate combien l’intégration de nouvelles minorités extra-européennes est difficile, à cause notamment de la précarité qui entraîne le rejet, le racisme et la xénophobie. Qui sont ces minoritaires européens, quelles sont leurs demandes, comment nos États peuvent-ils y répondre ? Quelles politiques adopter ? Comment rendre celles existantes efficaces ? Autant de questions sur lesquelles il est urgent de réfléchir. L’enjeu est de taille : l’Europe a besoin de cet apport démographique ; sa survie est à ce prix.
S’interrogeant sur une problématique majeure de la société contemporaine, cet ouvrage donnera aux étudiants et enseignants en science politique mais aussi à tout un chacun une vision historique et actuelle des enjeux fondamentaux que sont l’accueil de nouvelles populations et l’aménagement du statut des minorités autochtones.
En savoir plus sur le site des Presses universitaires de Grenoble
Plus sur le Diploweb.com
. Voir une présentation du livre de Pierre Verluise, Géopolitique des frontières européenne. Elargir, jusqu’où ? 20 cartes en couleur, éd. Argos.
. Voir un article de Georges-Marie Chenu, "Balkans occidentaux : espace géopolitique convoité"
. Voir un article d’Odile Perrot, "UE-OTAN Balkans occidentaux : la ressource euro-atlantique"
. Voir un article de Christian Lequesne, "Balkans occidentaux : perspective européenne"
[1] 2,1 millions d’habitants, 25, 700 km2.
[2] Couvrant quelque 67 000 Km2, la Macédoine historique est bornée au nord par les monts de Skopska Crna Gora et Stara Planina, à l’ouest par les lacs de Prespa et d’Ohrid, à l’est par les mont Rila et les Rhodopes, et au sud par la côte égéenne.
[3] C.f POULTON, Hugh, Who are the Macedonians ? Londres, Hurst & Co. 1995.
[4] SEGARD, J-F, VIAL ,E, Nations, nationalismes, nationalités en Europe de 1850 à 1920, Ellipses, 1996.
[5] Traité de Bucarest, 1913.
[6] La partie égéenne devient grecque, celle du Pirin bulgare.
[7] Largement originaire des terres macédoniennes « de l’extérieur », notamment de Macédoine égéenne, ce qui explique en partie leur nationalisme.
[8] Lors du dernier recensement 10 000 habitants de cette région en comptant 200 000 se sont déclarés Macédoniens.
[9] Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne. En bulgare et en macédonien VMRO.
[10] C. f l’article de KAUFMANN, Sylvie, Le Monde, 12 décembre 1992.
[11] La querelle du drapeau, représentant initialement le soleil de Vergina, l’emblème de Philippe de Macédoine, ,a trouvé sa solution par la modification du drapeau.
[12] Ce texte a été modifié depuis pour rassurer Athènes.
[13] Bureau moldave des statistiques, 713.
[14] Au terme du recencement de 2002, ils seraient 54 000, soit 2,5% de la population du pays. Nombre d’observateurs estiment ce chiffre largement sous évalué.
[15] Un ministre rom, un député et un maire.
[16] Voir ECRI, Report on the « Former yougoslav republic of Macedonia » 4th monitoring cycle, Strasbourg, Conseil de l’Europe, 15 juin 2010, p. 30 s.
[17] Conseil de l’Union Européenne, UE_FM 1453/12.
[18] LYON, Aisling, Municipal Decentralization in the Republic of Macedonia : Preserving a Multiethnic State, ASN, 2010, non publié.
[19] Le chiffre réaliste se situerait aux alentours de 35%.
[20] S’ils collaborent avec le gouvernement au niveau de l’Etat, il leur arrive en revanche de s’allier au niveau municipal avec l’ORIM-VMRO.
[21] Au prix toutefois d’accommodements en matière de respect des droits de l’homme.
[22] Pourtant condamnée par la Cour de justice Européenne en 2008.
[23] Balkan Insight, 31 janvier 2011.