"Quand s’achève l’histoire du Pacte de Varsovie", Catherine Durandin

1 - OTAN, histoire et fin?
Chapitre 1. Quand s’achève l’histoire du Pacte de Varsovie

Par Catherine DURANDIN, le 26 septembre 2013, diploweb

Professeur des Universités, historienne, ancien élève de l’ENS, ancienne auditrice de l’IHEDN, enseigne à l’INALCO. Ex - consultante à la DAS, ministère de la Défense, elle a publié un grand nombre d’articles et d’ouvrages consacrés aux équilibres géopolitiques du monde contemporain.

Le Diploweb.com publie un livre de Catherine Durandin, OTAN, histoire et fin ?.

1 - OTAN, histoire et fin ?

Chapitre 1. Quand s’achève l’histoire du Pacte de Varsovie

« Le Pacte de Varsovie en action, dans sa confrontation avec l’Alliance atlantique, a monopolisé l’Histoire au point de la figer. Suspendue à cette confrontation, la marche du monde s’est arrêtée : tout problème relevant des relations internationales se fondait dans le choc potentiel de deux blocs, s’encastrait dans une bipolarité régissant un ordre mondial devenu immuable, semblait-il (…) Représentation matérielle d’une idéologie en croisade, le Pacte ne pouvait survivre à la chute de cette idéologie. »

Henri Paris, Le Pacte de Varsovie en action, Presses de la Sorbonne, Paris 1995, tome 2, p. 1394.

. Voir l’introduction de l’ouvrage et son sommaire

UN DIMANCHE d’automne 1988, septembre. Une ville de province hongroise, à une heure de voiture de Budapest environ, une ville moyenne, avec au centre une place, un jardin public, une église et des conscrits russes en permission, des garçons tout blonds qui déambulent, mangeant des glaces. Des Russes, installés en garnison, en 1988 la Hongrie est toujours membre du Pacte de Varsovie depuis sa formation en mai 1955. Deux universitaires français, en visite à Kecskemét. Trois jeunes Russes pénètrent dans l’église, ils portent des décorations sportives sur leurs vestes d’uniforme. C’est dans l’église que s’opère le troc avec les Français : décorations des Russes contre cigarettes américaines. Un échange tranquille, pas d’état d’âme. Les jeunes Russes ressortent au soleil, sur la place, cigarettes en poche, visages fermés.

Automne 1988, la Hongrie en frémissements, en mouvement. Intellectuels, historiens et philosophes se perdent en longues soirées de débats avec leurs homologues occidentaux, des historiens français et américains. De ces discussions passionnées, ressortent un thème central, récurrent, une aspiration majeure : la réhabilitation des victimes de la répression soviétique des journées de fin octobre et début novembre 1956. C’est en juin 1989, qu’ Imre Nagy, le communiste patriote, exécuté en 1958 pour avoir osé demander la neutralité de son pays et sa sortie du Pacte de Varsovie, est réhabilité et remis en terre avec des funérailles qui l’honorent. Les Hongrois se réapproprient la lecture de leur histoire. François Fejtö, historien d’origine hongroise, considère : « C’est toutefois la cérémonie du souvenir organisée le 16 juin 1989 sur la place des Héros de Budapest à l’occasion des funérailles officielles d’ Imre Nagy et de ses compagnons exécutés en juin 1958 qui apparut comme un enterrement du système communiste. » [1] Vertiges du retournement de l’Histoire : le libéral Viktor Orban, en ce jour, prend la parole pour réclamer des excuses du gouvernement soviétique et le châtiment de ses complices hongrois !

Ces moments ne s’oublient pas : d’un côté, des conscrits russes vendent leurs décorations, de l’autre l’homme qui a voulu la rupture du lien idéologique et militaire avec Moscou en 1956, est célébré ! La Hongrie, comme la Pologne glisse vers une sortie de l’espace soviétique, rupture en prudence, négociée. De Washington, le Président George Bush père et ses conseillers observent cette dynamique, ils l’accompagnent, ils vont l’instrumentaliser.

Cette évolution de l’URSS et des pays frères est suivie de très près à Langley, au siège de la CIA. Le phénomène Gorbatchev, nouveau maître du Kremlin suscite, depuis 1986, des analyses serrées. Croire à la restructuration annoncée et poursuivie par Mikhaïl Gorbatchev, ou en rester à une interprétation suspicieuse : Gorbatchev n’irait pas plus loin que N. Khrouchtchev lorsqu’il dénonça les crimes, une partie des crimes de Staline, lors du XX ème congrès du parti, en février 1956. La question qui mobilise les forces du renseignement américain est très simple, elle se décline en plusieurs points d’interrogation : quel est l’état réel de la puissance militaire soviétique ? En fonction de ses moyens, à court terme, quelles sont les intentions de l’URSS ? Gorbatchev est-il le maître de la décision politique ? Sa longévité au pouvoir est-elle assurée ? Enfin, quelles sont les évolutions en cours au sein du Pacte de Varsovie ? Et jusqu’où Moscou peut-elle compter dans ses plans stratégiques sur ces composantes du Pacte que sont les pays frères ?

A Paris, un Jacques Sapir spécialiste des évolutions militaires et industrielles soviétiques se pose les mêmes questions. La balle est dans le camp des analystes, parmi eux, Hélène Carrère d’Encausse et Michel Tatu. Que peut-on attendre de Gorbatchev ? Est-il sincère ? Ruse t-il ?

Le renseignement américain à son poste

Nombre de précieuses et très précises analyses de la CIA portant sur les années Gorbatchev sont aujourd’hui disponibles. Certains documents ont donné lieu à des publications éditées dès 1999, sous l’égide du Centre de l’Etude du Renseignement (CSI Center for the Study of Intelligence) de l’ Agence de la CIA. [2] Quelques rapports ont été très partiellement caviardés à l’encre noire. La plupart des études sont accompagnées, en conclusion, d’un débat qui ouvre plusieurs hypothèses prospectives. Le travail est d’une grande qualité. Lire ces informations et suivre les essais de projection pour l’avenir permet de mesurer quelles furent les données dont disposaient Washington et l’OTAN, lorsque s’est dissous le Pacte de Varsovie en juillet 1991. Les Occidentaux étaient très bien informés de l’état des forces soviétiques, de leur capacité opérationnelle, de leurs handicaps. Du côté français, Jacques Sapir, dès 1988 avait proposé un état des lieux du système militaire soviétique, il s’appliquait en ces recherches à éviter tout excès d’un caractère idéologique que le sujet tendait à susciter. [3] Le jeu à jouer avec l’URSS en faillite, puis éclatée a donc relevé de choix politiques, car les données brutes, le terrain étaient largement connus. Il n’y eut pas d’aventurisme mais une conduite fondée sur ce qui apparut aux dirigeants américains comme la meilleure voie pour leur sécurité et le développement de leur puissance. Imaginons un puzzle qui se défait, un paysage qui se détruit en pièces désajustées. C’est avec ces pièces et en fonction de l’évolution de l’ex- adversaire que les administrations G. Bush puis B. Clinton ont monté une nouvelle architecture de sécurité.

A suivre les remarques des spécialistes de la CIA, un premier constat s’impose : le Pacte de Varsovie va mal, les démocraties populaires alliées deviennent des fardeaux, et diminuent leurs budgets défense, ce à quoi, Moscou ne s’oppose pas. Les réductions ont été annoncées en janvier 1989 dans toutes les capitales du bloc, sauf en Roumanie. Mais, la part des industries de défense du Bloc demeure importante, elle est même en augmentation et représente environ 20% du total de la production d’armes du Pacte. Les équipements fournis sont, toutefois, moins sophistiqués que ceux qui sortent des usines soviétiques. Pour la CIA, Moscou serait en voie de tirer partie des asymétries existantes entre l’OTAN et le Pacte pour se restructurer et redéployer ses forces dans une posture plus défensive. Certains analystes, au vu de ce qu’ils estiment être un désastre en Afghanistan, se demandent si l’URSS va abolir le service militaire obligatoire pour se tourner vers une armée de métier moins nombreuse. Dans la même ligne, les Soviétiques pourraient être amenés à se défaire du fardeau - ce terme revient fréquemment sous la plume des experts américains - qu’est l’armement des pays du Pacte pour soutenir la modernisation des entreprises soviétiques. Ces décisions ne devraient pas surprendre : Moscou entend moderniser ses forces.

Une telle restructuration implique une nouvelle stratégie et des tactiques adaptées dans la relation avec l’Ouest. Le plan prévu pour 1991-1995, selon la CIA dans les estimations datées de 1988, va vers une réorientation qui accordera la priorité à l’investissement dans le secteur civil. Moscou en appelle aux opinions publiques, tant en Russie qu’à l’étranger, pour souligner la rationalité de sa posture, mettre en avant ses engagements en faveur du contrôle et de la réduction des armements. En décembre 1988, M. Gorbatchev annonce des réductions unilatérales en hommes et en équipements pour les deux années à venir. Le jeu est serré, le risque réel : la CIA estime, en effet, que cette politique pourrait soulever en URSS la colère de l’establishment militaire, et qu’il serait opportun pour désamorcer cette contestation que Gorbatchev soit en mesure de démontrer que les forces de l’OTAN se réduisent unilatéralement, de leur côté. Mois par mois, les analystes américains traquent et établissent la chronologie serrée des déclarations des commandements soviétiques, concernant soit le déplacement, soit la destruction des unités de tanks.

La CIA promeut, fin 1988, une ligne de bienveillance de la part de l’OTAN à l’adresse de Gorbatchev. Toute estimation de forces est associée à un contrepoint politique. Fin 1988, les analystes américains apprécient les priorités de Gorbatchev, et se refusent à voir en ses gestes et décisions, une simple gesticulation de propagande. Cette position - accorder crédit à Gorbatchev - sera bientôt confirmée par James Baker, conseiller du Président Bush senior : « Je pense, dira-t-il, qu’au plus tard, c’est en mai 1989. A cette époque, il était important pour nous de déterminer rationnellement que perestroïka et glasnost étaient réelles. Ce n’était pas de la farce. » [4] Cette lecture des réformes soviétiques, plus de transparence (glasnost) et restructuration (perestroïka), cette évaluation de la démarche du russe, se retrouvent dans la réception qu’accorde la CIA au changement de la position de Moscou quant il s’agit du sujet de fond, c’est-à-dire de la doctrine nucléaire : nous estimons, avance un analyste, que le « pas de victoire via la guerre nucléaire », position assumée par Gorbatchev et énoncée publiquement en 1986, lors du 27 ème congrès du Parti est fondamentale (basic) pour la dimension militaire de la doctrine soviétique. » Une telle vision n’engendre pas un abandon de la capacité de combat nucléaire car elle ne remet pas en cause la dissuasion.

Au final, suggère une estimation secrète, déclassifiée, datée de mars 1990, les développements politiques en Europe orientale ont indubitablement érodé l’assurance des militaires soviétiques et touché leur planification. En effet, les forces non soviétiques du Pacte représentaient près de 50% du premier échelon stratégique en Europe centrale et leurs services de transport et de sécurité étaient essentiels pour le mouvement vers l’avant des troupes soviétiques. Et maintenant ? Et bien, déclare l’analyste imperturbable : « Nous considérons que la capacité du Pacte de conduire une attaque conventionnelle contre l’OTAN est virtuellement éliminée ». La nouvelle détermination idéologique de M. Gorbatchev qui renonce à la doctrine de la souveraineté limitée avancée par L. Brejnev pour légitimer l’action de répression du Pacte de Varsovie à Prague en 1968, a été vérifiée : Moscou a laissé se dérouler le grand chambardement de la chute des régimes communistes, sans intervenir militairement. Contre les communistes réformateurs de Tchécoslovaquie, Moscou avait mis en action le Pacte de Varsovie. En vain, Nicolae Ceausescu aura-t-il semoncé Gorbatchev lors de la réunion du Pacte, en décembre 1989, pour en réclamer le renforcement !

Le grand chambardement

En quelques mois, la situation sécuritaire - politique et idéologique - a été bouleversée. Pour les Etats - Unis et les alliés de l’OTAN, persistent de grands facteurs d’inquiétude. Experts et politiques occidentaux sont confrontés au chaos russe, à l’interrogation portant sur le devenir des ex - membres du Pacte et du marché commun soviétique qui lie les économies des démocraties populaires le « Comecom  ». Gorbatchev a été un interlocuteur, à des degrés variables et avec des intentions diverses pour le Président américain et les partenaires européens, F. Mitterrand, M. Thatcher, H. Kohl. A Paris, à Londres, à Bonn, on se demande : peut- on compter sur sa longévité politique ? Sera-t-il renversé et s’il l’était, quelle serait l’orientation - ouverture vers l’Ouest ou patriotisme exacerbé - du successeur ? Sur cette question, la CIA ne tranche pas en 1990, laissant les hypothèses en suspens.

La chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989, les premières étapes de la réunification allemande se déroulent sans que le sang ne soit versé. François Mitterrand, tout comme Margaret Thatcher, redoutait le pire, une réaction brutale de Moscou, une arrivée au pouvoir des « conservateurs » opposés à Gorbatchev : jamais l’URSS ne pourrait accepter ce processus, la République Démocratique Allemande ne fut elle pas la vitrine du socialisme ? Il fallait calmer le jeu, ralentir, freiner, ne pas bousculer Gorbatchev. Ministre de la Défense en France, Jean - Pierre Chevènement évoque ses propres souvenirs du 9 novembre 1989 : « Je n’ai pas vraiment été surpris car je suivais attentivement depuis le mois de septembre l’exode des ressortissants d’Allemagne de l’Est à travers la frontière de la Hongrie et de l’Autriche. J’ai tout de suite mesuré les conséquences immenses de cet évènement et je me suis dit : « Les difficultés commencent… » En effet, quelle allait être la réaction de Moscou ? Tout était possible, y compris une intervention militaire pouvant déboucher sur la guerre. » [5] Le Président français, reste marqué par la mémoire de la Seconde Guerre mondiale et par la Grande guerre patriotique soviétique. On respecte l’honneur de l’Armée rouge, on ne peut s’empêcher de croire encore en sa puissance.

De son côté, le chancelier H. Kohl, soutenu par G. Bush, agit sans perdre de temps. Un George Bush qui, en novembre 1989, suit les conseils de son ambassadeur à Bonn, le général Vernon Walters. De longue date, V. Walters a été un conseiller estimé et écouté. Bush s’engage à soutenir la réunification de l’Allemagne en évitant, contrairement à ce que voulait M. Gorbatchev, sa neutralisation. C’est un George Bush très ferme et déterminé qui rencontre, en face - à - face, un M. Gorbatchev épuisé à Malte, aux premiers jours de décembre 1989, avec un objectif : interdire au Soviétique le sujet d’une neutralité future de l’Allemagne. L’Allemagne réunifiée rentrera dans l’OTAN, c’est l’objectif de Bush. Les estimations de la CIA sont vérifiées. Le Pacte n’a ni la volonté ni les moyens d’une résistance militaire.

Au lendemain de la chute du Mur de Berlin et dès les premiers mois de 1990, les dirigeants occidentaux, les humanitaires, les hommes d’affaires placent leurs dés en Europe Centrale. Ils s’inscrivent dans le processus « d’invention démocratique » selon la formule du philosophe Claude Lefort. Alors que Madeleine Albright rejoint Prague pour soutenir son ami Vaclav Havel, Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères, fréquente l’ambassade de France à Bucarest et dialogue, au cours de dîners animés avec les intellectuels démocrates, pour la plupart dissidents de fraîche date ou auto – proclamés. Bucarest et Sofia font appel à des juristes français pour participer à l’élaboration de nouvelles constitutions. Vaclav Havel se rend en visite aux Etats - Unis, en février 1990 : il se montre un piètre orateur, et très malhabile à la télévision, en dépit de sa coach et amie Albright. Il lit ses textes sans utiliser de téléprompteur. L’idéalisme de ses propos devant le Sénat dérange. Son appel en faveur de l’URSS afin qu’elle évolue vers un vrai pluralisme, surprend. Bien qu’il ne soit pas compris, le dissident est accueilli avec ferveur. A l’ambassade de Tchécoslovaquie à Washington où une réception est donnée en son honneur, les invités se bousculent. En quelques semaines, au début d’année 1990, le décor de l’ambassade a changé : les tableaux de peintres du réalisme socialiste de l’époque soviétique ont été retirés, remplacés par des œuvres d’art contemporain. V. Havel fait son apparition, tard dans la soirée. Il est entouré, la foule se presse, on le sollicite, on lui demande un discours. Emu, Vaclav Havel, à demi étouffé par les invités, prononce quelques mots de remerciement.

Très vite les désillusions se font jour, les euphories soi - disant unanimistes des moments de la chute du communisme se dissipent. Les luttes se dessinent pour la construction de l’Etat post - totalitaire, et l’accaparement des pouvoirs politique et économique. En un magnifique dialogue, les deux ex - dissidents Vaclav Havel et le polonais Adam Michnik témoignent de l’ambiance de ces premiers pas post - 1989, l’espoir est assorti de la conscience des héritages qui plombent la construction démocratique. A la question de son ami A. Michnik : « Alors que se passe- t-il, que va-t-il se passer, d’après toi, avec tout ce qui relève de l’ancien régime : hommes et institutions ? » Vaclav Havel répond avec lucidité : « Il ne s’agit pas ici de combattre les institutions données ou des individus précis, proches du vieux système ou de ses représentants, mais de lutter contre les habitudes contractées par les simples citoyens, les gens du commun. Ils haïssent le régime totalitaire, certes, mais ils n’ont connu que lui, toute leur vie et, malgré eux, ils s’y sont accoutumés. Ils ont pris l’habitude d’avoir au dessus d’eux un Etat tout puissant, qui peut tout, qui se soucie de tout et qui est responsable pour tout ; ils ont admis cette attitude paternaliste. On ne s’en débarrasse pas du jour au lendemain (…) C’est un héritage gigantesque, problématique que le monde post - communiste doit affronter ». [6]

En 1990 - 1991, le sujet qui retient l’attention des observateurs et des opinions publiques est celui-ci : le passage du totalitarisme à la démocratie dans le cadre de l’effondrement du communisme comme référence idéologique. Cela, alors que les communistes s’ajustent tranquillement aux mutations en cours ou en profitent. A Washington, s’affirme le concept de « National Endowment of Democracy » (NED) : cette dotation nationale pour la démocratie a été lancée dès 1983. Le Congrès finance des opérations de conseils, consultances, autant d’ingérence en douceur en faveur de la démocratie et de l’économie de marché. La référence à NED est devenue omniprésente. Qui s’interroge alors, si ce n’est dans les sphères des experts et des spécialistes de la défense, sur l’avenir concret du Pacte de Varsovie et de ses troupes dans leurs garnisons de la Hongrie à la Tchécoslovaquie ? Ces troupes seront-elles rapatriées en URSS ? A quelle date ? Qu’adviendra t-il des matériels ? La pollution est redoutée. Quelles seront les options sécuritaires des pays sortis du giron soviétique ? La réunification de l’Allemagne implique t- elle une diminution des forces de l’OTAN sur le sol de la République fédérale d’Allemagne ? A-t-on besoin de 400 000 soldats américains en RFA ? Les nouveaux enjeux sont pensés, dans les bureaux respectifs du Pentagone à Washington et des ministères de la défense des alliés.

Les inquiétudes de l’Ouest glissent du Centre européen vers l’ Est pour se focaliser alors sur le déroulement des évènements en URSS, sur l’accession à l’indépendance, en cascade, des républiques soviétiques : 15 républiques fédérées, socialistes et soviétiques composent l’URSS au début des années 1990. En quelques mois de l’année 1991, l’URSS éclate, M. Gorbatchev se voit menacé de renversement par un coup d’Etat conservateur, fin août. L’homme de la Fédération de Russie, Boris Eltsine, monte en puissance contre le réformateur soviétique Gorbatchev, et le pousse à la démission, fin décembre 1991. Le Parti s’est auto dissous, le 24 août 1991. Deux logiques se rejoignent : alors que se déroulent dans les républiques, référendums et élections Présidentielles qui cautionnent les indépendances, deux réunions successives à Minsk, le 8 décembre 1991 puis à Alma Ata, le 21 du même mois, dessinent la nouvelle structure post - soviétique : la Communauté des Etats Indépendants, la CEI. Les Occidentaux prennent acte. L’URSS a bel et bien cessé d’exister. Gorbatchev abandonne et s’incline : il rencontre longuement Boris Eltsine le 17 décembre et prononcera son discours de démission le 25 décembre, à 19h. C’est un homme abattu, le visage blême au point de paraître gris sur l’écran de la télévision qui transmet son bref message. « Une demi- heure plus tard, le drapeau rouge disparaît du bâtiment du gouvernement du Kremlin, tandis que le drapeau blanc, bleu, rouge que Pierre le Grand avait donné à la Russie monte vers le ciel », rappelle l’historien de la Russie Georges Sokoloff. [7]

Un outil militaire sur- dimensionné

Au-delà des symboles qui émeuvent, ce sont à des réalités inquiétantes qu’il faut faire face. Qui va disposer du feu nucléaire ex - soviétique ? Gorbatchev le confie à Boris Eltsine. Les armements stratégiques nucléaires sont stationnés en Ukraine, Biélorussie et Kazakhstan. Le 15 décembre 1991, le secrétaire d’Etat américain est à Moscou, B. Eltsine se veut rassurant. De Moscou, James Baker gagne le Kazakhstan, la Biélorussie et l’Ukraine pour négocier avec chacun de ces partenaires la réduction de leurs armements nucléaires. En fait, l’héritage nucléaire de l’URSS est voué à la disparition. Depuis le 1er décembre 1991, l’Ukraine est indépendante et réclame la flotte de la mer Noire.

Les Soviétiques ont laissé filer un empire. En 1991, ils font encore des propositions à leurs ex - « frères » du Pacte de Varsovie. Le Pacte a été noué en mai 1955, en réponse à l’intégration de la RFA en 1954 dans les structures de la défense occidentale. Avec l’effondrement de l’internationalisme prolétarien qui en était le ciment, il s’effondre en 1991. Mais avant même que ne soit mis en place le Pacte, cette structure à la fois militaire et idéologique, dès 1943 et jusqu’en 1948, les Soviétiques avaient construit avec leurs alliés un système de sécurité reposant sur des traités bilatéraux, exclusifs d’autres alliances. Hélène Carrère d’Encausse qualifie ces traités de « pactomanie positive ». L’objectif était de construire et de protéger un espace socialiste. Le premier traité d’amitié, de coopération et d’aide mutuelle entre l’URSS etc… » a été signé en 1943 avec la Tchécoslovaquie, les autres, sur le même modèle, ont suivi : Pologne en 1945, puis Bulgarie, Hongrie, Roumanie, en 1948. Le traité d’amitié entre l’URSS et la République Démocratique Allemande date de 1955. Le traité signé avec la Yougoslavie en 1945, fut dénoncé en 1949. Ces traités couraient sur une durée de vingt ans. Les textes prévoyaient une défense commune et une assistance militaire dans l’hypothèse d’une agression allemande ou de tout autre pays agissant de concert avec l’Allemagne. Ils ont été renouvelés à la fin des années 1960, affirmant alors l’engagement des signataires « à respecter sans faillir les obligations découlant du Pacte de Varsovie ». Le maillage de l’espace soviétique semblait solide. Avec la disparition du Pacte, l’avenir et le renouvellement de ces traités sont remis en cause.

Nous voici, trente six-ans après la formation du Pacte de Varsovie, en pleine confusion des années 1990 – 1991. A Bucarest, le Président Ion Iliescu, élu en mai 1990, acteur principal avec le général Victor Stanculescu du coup d’Etat de décembre 1989 qui a renversé et éliminé les Ceausescu, est un ex – communiste, loyal à Gorbatchev. Pour Ion Iliescu, l’urgence de la redéfinition d’une doctrine de sécurité impose de reformuler et de renouer le traité de 1948 d’amitié avec l’URSS, reconduit en 1970. Ion liescu et son chef de gouvernement Petre Roman sont en excellents termes avec Moscou. Diplomate moldave auprès de Gorbatchev, interprète de langue russe et roumaine, Ceslav Ciobanu, aujourd’hui professeur à l’université d’Etat de Virginie, aux Etats - Unis, se souvient. Il a accompagné Iliescu en mars 1990, à Moscou, lors de sa rencontre avec Gorbatchev : « La rencontre avec Gorbatchev, à laquelle a participé Petre Roman, alors premier ministre, a été très chaleureuse et amicale … Les deux dirigeants ressemblaient à de vieux amis et collègues qui se comprenaient parfaitement et s’appréciaient mutuellement bien qu’ils ne se soient jamais rencontrés auparavant ». Iliescu parlait russe, il avait poursuivi ses études à Moscou, dans les années 1950. Les diplomates roumains travaillent avec leurs collègues soviétiques à la rédaction d’un traité de coopération, de bon voisinage et d’amitié avec l’Union des républiques soviétiques socialistes. Le texte du traité à venir est diffusé dans deux quotidiens roumains, Adevarul (La Vérité) et Romania Libera (La Roumanie libre) les 11 et 12 avril 1991. L’article 4, pour les opposants libéraux et démocrates au régime de Ion Iliescu, s’avère redoutable, son application réinstallerait Bucarest dans l’orbite de Moscou : « La Roumanie et l’URSS ne participeront à aucune espèce d’alliance dirigée l’une contre l’autre. » Cette formule laissait clairement entendre que Bucarest, alors, ne songeait nullement à instaurer sa sécurité de par des relations privilégiées avec l’Ouest. Certains diplomates qui ont participé à l’élaboration du traité, Dumitru Ceausu, futur ambassadeur de Roumanie à Paris qui s’en est ouvert à l’auteur de ces lignes, souffraient de voir leur pays maintenu dans la sphère soviétique. La clause d’exclusivité intégrée dans le traité les inquiétait profondément. Une telle clause ligotait la Roumanie. L’espoir du retour à la souveraineté, déjà, se dérobait. La désagrégation du pouvoir soviétique dans les mois qui suivirent a mis un terme à cette initiative. En 1993, avec la décision de Bucarest de fonder la sécurité sur l’engagement dans l’espace euro - atlantique, cet épisode fut « oublié ». Sans doute, Ion Iliescu conservait-il encore, en 1991, une nostalgie de l’ Internationale. Sans doute était-il animé par le projet de construire, avec une URSS transformée, un nouveau socialisme.

Quelle nouvelle sécurité assurer ?

L’année 1991 est agitée mais Gorbatchev n’a pas tout abdiqué et tente de gérer, tant bien que mal, ses relations avec les ex-alliés du Pacte. Les Occidentaux, le Président des Etats - Unis, laissent faire le pouvoir central, le soutiennent, redoutant l’inconnu chaotique qui s’annonce avec la désintégration du système soviétique. Les temps sont troubles ! Les industries d’armements des anciens membres du Pacte agonisent. C’est le cas pour les industries de Tchécoslovaquie, le consortium d’armement slovaque ferme et plonge ses milliers d’ouvriers dans le chômage.

Sortis du communisme, les pays d’Europe centrale optent pour un ancrage nouveau, à l’Ouest : Prague souhaite obtenir une garantie des Etats - Unis. A Cracovie, le 6 octobre 1991, les chefs d’Etat de Pologne, de Tchécoslovaquie et de Hongrie adoptent une déclaration commune qui renforce leur coopération régionale. Ils réclament une formalisation de leurs relations avec l’Alliance Atlantique ainsi qu’avec l’Union de l’Europe Occidentale. Vaclav Havel déclare, le 18 juillet 1991, pour le quotidien Libération : « la présence américaine sur le continent est depuis quarante ans la colonne vertébrale de la défense de la liberté et de la démocratie, et elle reste, à mon avis, nécessaire ». Il est resté fidèle à cette vision atlantiste de la sécurité européenne. François Mitterrand, à Aix-la-Chapelle, le 9 mai 1991, s’efforce d’attirer dans une voie d’Europe prioritaire, l’ex - dissident, homme de théâtre et philosophe, lors de la remise du prix Charlemagne. Les propos tenus par le chef de l’Etat français sont à entendre en contre-point des engagements atlantistes de Havel : « A la charnière de l’Europe divisée, vous avez réveillé le débat sur la place précisément de l’homme dans sa propre société, qui jalonne l’histoire de la conscience européenne. Cette façon de travailler à l’unité de notre continent est peut-être la meilleure. C’est bien de cela qu’il s’agit : le Prix Charlemagne s’adresse à Vaclav Havel, à l’Européen que vous êtes, et au-delà de vous-même, à tous les citoyens d’Europe. » Ce jour là, fortement, François Mitterrand en appelle « à donner à notre continent des formes d’expression qui lui sont nécessaires ». [8] De leur côté, les trois républiques Baltes envoient des représentants, à titre d’observateurs, à la session annuelle de l’OTAN, en octobre 1991 à Madrid.

L’état des lieux de l’immédiat moment post - soviétique pose un défi à l’Ouest. L’URSS est en lambeaux, et les forces nationalistes se manifestent et se confrontent : la Géorgie est entrée en guerre civile, les Azéris s’opposent dans une lutte armée aux Arméniens, les Russophones de la République de Moldavie indépendante, au-delà du Dniestr à Tiraspol, sont prêts à la sécession armée contre la capitale, Chisinau. Boris Eltsine, élu Président de la République au suffrage universel le 12 juin 1991, dit et répète qu’il n’acceptera pas le démantèlement de la Russie : il refuse la sécession des Tchétchènes et des Ingouches, et fait envoyer des troupes en novembre 1991.

A l’Est de l’Europe, la minorité hongroise émet des revendications d’autonomie substantielle en Roumanie. L’un de ses dirigeants Marko Bela explique, en colère, à l’auteur de ses lignes qu’une française jacobine ne peut rien comprendre à la mentalité ethnico - culturelle hongroise ! La responsabilité de la France dans l’écrasement de l’Empire austro - hongrois et l’amputation de la Hongrie entérinée par le traité de Trianon de 1920 est rappelée, avec amertume. Au centre, les Slovaques évoluent vers le divorce d’avec les Tchèques. Et déjà dans les Balkans, s’est ouvert le processus de démantèlement de la Yougoslavie, lorsqu’en 1991, Slovènes et Croates quittent la Fédération.

Quelles communautés recomposer ? Quelle nouvelle architecture de sécurité construire de toute urgence et avec qui ? Après avoir compté sur Gorbatchev et avec lui, tout en l’utilisant, les Occidentaux pourront- ils miser sur Boris Eltsine pour mener une relation de raison avec la nouvelle Russie ?

En URSS puis en Russie, Gorbatchev a échoué. Le coup d’Etat conservateur d’août 1991 qui visait à le renverser et dont B. Eltsine, en prenant la situation en mains, a su tirer parti, témoignait de sa fragilité. M. Gorbatchev n’a pas réussi à lancer un nouveau traité d’union, à bloquer le processus de désintégration de l’URSS. A l’extérieur, à suivre le fil de l’agenda du dernier maître soviétique du Kremlin, le bilan est différent : les jalons d’un dialogue efficace entre Moscou et Washington sont posés. Les 30-31 juillet 1991, G. Bush et M. Gorbatchev, déclarant souhaiter établir un partenariat durable, ont décidé de la signature du traité START qui prévoit une réduction de 25 à 30% des armements nucléaires stratégiques. Cette décision témoigne d’une confiance nouvelle. Sera-t-elle durable ? Fin septembre, G. Bush annonce le retrait et la destruction des armes nucléaires tactiques déployées en Europe et aux Etats-Unis. Le 5 octobre, à son tour, Gorbatchev annonce des mesures unilatérales de désarmement. Le 17 juillet 1991, M. Gorbatchev est reçu à Londres pour le sommet des sept pays les plus industrialisés : l’URSS obtient le statut de membre associé du FMI. Le Président G. Bush témoigne, il critique Jacques Delors : « La réunion se passa bien dans l’ensemble, au sens où il n’y eut ni disputes ni affrontements. Je fus toutefois choqué par l’attitude de certains intervenants qui mirent Gorbatchev en difficulté en lui posant une myriade de questions très sentencieuses sur ses projets de réformes : Jacques Delors, le Président de la Communauté européenne, interrogea Gorbatchev comme un professeur interroge un étudiant, la connotation implicite était presque : attention, vous ne serez pas forcément reçu ! (…) Pour ma part, j’avais toujours veillé à ne pas sermonner Gorbatchev : je savais qu’il affrontait d’énormes problèmes, et je considérais qu’il méritait d’être traité comme un pair et un ami » . [9] Fin juin 1991, les troupes soviétiques achèvent leur retrait de Tchécoslovaquie et de Hongrie...Evoquer ce retrait revient à parler d’une défaite, indéniablement. Mais, à l’Ouest, cette même défaite est appréciée comme la chance d’une nouvelle ère. La revue Foreign Affairs du premier trimestre 1990 témoigne de cet optimisme tempéré à Washington : « Pour l’Union soviétique, il va y avoir une très nouvelle expérience à laquelle l’histoire de ses relations étrangères et de ses traditions politiques intérieures l’ont peu préparée. A long terme, son succès pour s’adapter à un rôle international nouveau et constructif dépendra de sa réussite à transformer le système soviétique lui-même. C’est en ce sens que le succès de la perestroïka est dans l’intérêt fondamental du monde occidental et des peuples de l’Union soviétique. » [10] A Paris, les avis sont partagés quant aux chances de mutation démocratique de l’URSS.

Le grand projet français écarté

Le Président français a un projet : intégrer l’URSS dans une nouvelle architecture de sécurité européenne non atlantiste. Cette vision audacieuse semble novatrice. Elle est, en fait, le produit d’une lecture traditionnelle des équilibres européens. La réunification allemande à laquelle ne peut que souscrire Mitterrand affaiblit à terme la France en Europe. En basculant vers l’URSS, en se faisant porteur d’une sécurité européenne élargie, la France conserverait une position de puissance. De plus, une Europe ouverte à l’URSS, pourrait devenir une Europe socialiste, post - communiste. La Roumanie est en 1991 liée à Moscou, François Mitterrand s’y rend en avril 1991 : nombre de jeunes Roumains libéraux et démocrates, opposés à Ion Iliescu, n’ont pas pardonné cette visite de soutien au régime en place. L’idée de Confédération européenne était en germe depuis la fin de l’année 1988. Mitterrand la présente officiellement le 31 décembre 1989. Le Quai d’Orsay et le ministère de la Défense sont priés de mettre en œuvre ce nouvel équilibre. Ministre des Affaires étrangères alors, Roland Dumas a témoigné en 2001 pour la revue Politique Etrangère : il rappelle que dans le contexte de fin décembre 1989, le secrétaire d’Etat américain James Baker, évoquait déjà une future pax americana, le maintien d’un leadership américain pour gérer les relations entre Washington, le continent américain et Moscou. Cette perspective ne convient nullement à Paris. François Mitterrand élabore donc ce projet de Confédération européenne, qu’il mûrit seul et annonce seul. « A partir des accords d’Helsinki, voir naître dans les années 1990 une confédération européenne au vrai sens du terme, qui associera tous les Etats de notre continent dans une organisation commune et permanente d’échanges de paix et de sécurité. » [11] Roland Dumas avoue sa surprise et dit l’intérêt qu’il porte immédiatement au projet. Il reconnaît aussi que chacun s’interrogeait sur le contenu exact qui serait donné à cette Confédération. Jean Pierre Chevènement, ministre de la Défense, très anti - américain, se préoccupe moins de ces perspectives de Confédération que de l’Irak et de Saddam Hussein. Son entourage, dans les bureaux du ministère du boulevard Saint - Germain, est perplexe. Mitterrand ne serait- il pas en passe de se fourvoyer en introduisant l’URSS et le Pacte de Varsovie dans cette Confédération ? La capacité militaire de l’URSS, en dépit de son affaiblissement, pose problème. Il existe et c’est stimulant, une représentation humaniste de culture européenne chez Mitterrand, mais que faire du nucléaire et des chars soviétiques ? Le général Henri Paris, conseiller proche de Chevènement en 1990 - 1991, a travaillé au ministère de la Défense sur le projet de Confédération. Il note, lors d’un entretien d’août 2010 avec l’auteur : « De plus, organiser une première réunion de réflexion et de contacts à Prague comme le souhaitait le Président, était une mauvaise idée. L’échec était couru : les Tchèques depuis Munich n’accordent pas leur confiance à la France ! » A Bonn, on était plutôt favorable au renforcement de la CSCE (Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe). Le futur de l’Europe devait se construire avec les Etats-Unis. A l’opposé, pour Mitterrand, les Etats - Unis n’auraient aucun rôle à jouer dans la future Confédération ! Résultat ? Roland Dumas se souvient : « Dés le début de l’année 1991, la diplomatie américaine lança une campagne diplomatique mais aussi financière, les premiers dollars, et que pouvait la belle idée de la Confédération face à la très concrète réalité de la puissance économique américaine en direction des pays de l’Europe de l’Est ? Une campagne où l’idée française était systématiquement dénigrée (…) Ces critiques finirent par porter leurs fruits, Washington n’ayant de cesse d’affirmer que nous voulions, par ce biais, empêcher les pays d’Europe centrale et orientale d’entrer dans la CEE ». [12]

Les contacts pris avec V. Havel en mars 1991 ne laissent rien augurer de bon car l’absence des Etats-Unis à Prague lui fait grincer des dents. Le Président Havel impose une transformation du projet initial : la réunion de Prague ne sera pas une conférence intergouvernementale officielle mais un grand colloque privé. La rencontre de 150 représentants, politiques, intellectuels, hommes d’affaires, a lieu à Prague les 13 - 14 juin 1991 : discours vibrant de F. Mitterrand, la sauce, écrit R. Dumas, ne prend pas. Henri Paris, présent à Prague pour le ministère français de la Défense, confirme que l’atmosphère était tendue… Vaclav Havel se montre clair et ferme : la Confédération ne peut pas être un succédané à l’entrée raisonnablement rapide des pays de l’Europe Orientale dans l’UE. Il n’est pas question de remettre en cause le rôle des Etats-Unis dans la sécurité de l’Europe, et cela même si l’URSS devient une démocratie. « Aucune démarche vers la Confédération européenne ne doit être conçue comme une tentative visant à séparer deux continents dont les civilisations s’imbriquent, à enfoncer un coin entre eux », martèle Havel. Le projet de François Mitterrand restera lettre morte, sans conclusion concrète. Pas de sécurité européenne sans présence américaine, répète Vaclav Havel !

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. Voir le chapitre 2. Le "Que faire" de l’OTAN ?

. Voir l’introduction de cet ouvrage de C. Durandin, "OTAN, histoire et fin ?" publié par le Diploweb.com

[1] François Fejtö, La fin des démocraties populaires, Le Seuil 1992, p. 269.

[2] At cold war’s end, Us Intelligence on the Soviet Union and Eastern Europe, 1989-1991, editor Benjamin B. Fischer, Government Printing Office, 1999.

[3] Jacques Sapir, Le système militaire soviétique, Paris, La Découverte, 1988.

[4] Interview with James Baker - October 1997, gwu.edu/-nsarchiv/coldwar/interviews/episode-23/baker1.htlm

[5] chevenement.fr/ Jean Pierre Chevènement raconte la chute du Mur de Berlin

[6] Cet étrange post - communisme, rupture et transitions en Europe centrale et orientale sous la direction de Georges Mink et Jean-Charles Szurek, Paris, Presses du CNRS/ La Découverte, 1992, p. 18.

[7] Georges Sokoloff, La puissance pauvre, Paris, Fayard 1993, p. 751.

[8] Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l’action et l’œuvre de Vaclav Havel et sur la construction d’une Europe unie, Aix-la-Chapelle, le 9 mai 1991.

[9] George Bush, A la Maison Blanche, 4 ans pour changer le monde, Paris, éditions Odile Jacob, 1999, p. 546.

[10] Arnold L. Horelick, US - Soviet Relations, A New Era, in Foreign Affairs 1989/1990, p. 69.

[11] Roland Dumas, Un complot mort-né : la Confédération européenne, in Politique Etrangère, 3/ 2001, p.691.

[12] Roland Dumas, Politique Etrangère, op. cit, . p.700..