"Quelle Union eurasiatique?", B. Slaski & E. Dreyfus

Par Bertrand SLASKI, Emmanuel DREYFUS, le 30 janvier 2014, diploweb

Emmanuel Dreyfus est chargé de mission junior chez CEIS depuis mars 2013. Il y mène des activités d’analyse et de conseils sur l’espace CEI. Titulaire d’un master 2 d’histoire contemporaine consacrée à la problématique identitaire moldave (Paris IV) et d’un master 2 de relations internationales, mention UE, sécurité et défense (Paris I), il est par ailleurs licencié de russe (INALCO).

Emmanuel Dreyfus, chargé de mission junior chez CEIS, revient, dans cette note stratégique, sur l’Union douanière réunissant la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan et plus généralement sur les dynamiques d’intégration économique, politique et militaire actuellement déployées dans l’espace post-soviétique. Cette étude soulève notamment l’attention sur la possible émergence d’un nouveau bloc géopolitique structuré autour de la Russie, s’inscrivant dans un mouvement général de retour de Moscou sur la scène internationale. Cette note coordonnée par Bertrand Slaski, consultant senior chez CEIS, est proposée par le pôle Etudes et Solutions Stratégiques.

Cette note a été initialement publiée par la CEIS en octobre 2013, sous le titre "De l’Union douanière à l’Union eurasiatique - Etat et perspectives d’intégration dans l’espace post-soviétique". Elle ne peut donc tenir compte des événements postérieurs, notamment en Ukraine depuis le mois de novembre. Ce tableau sera cependant très utile pour mettre en perspective l’actualité, ses ruptures et ses zones d’incertitudes.

Introduction

LA présente note est consacrée à l’Union douanière (UD) formée par la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan, qui représente à ce jour l’expérience la plus aboutie d’intégration dans l’espace post-soviétique. Conçue en 2007 et mise en place à partir de 2010, l’UD, tant dans la forme que dans le fond, présente de réelles innovations par rapport aux multiples et infructueuses tentatives qui l’ont précédée. Un double processus d’évolution la caractérise : d’une part, elle pourrait bientôt s’ouvrir à d’autres États issus de la décomposition du bloc soviétique ; d’autre part, elle pourrait connaître d’importantes évolutions à court terme sur le plan de son organisation interne.

Patronnée par la Russie et soutenue par la Biélorussie et le Kazakhstan, l’Union Douanière pourrait en effet représenter la première étape d’une nouvelle entité régionale en construction, (« l’Union eurasiatique »). La portée de cette structure dépasserait alors de loin, tant quantitativement que qualitativement, tous les mécanismes mis en œuvre jusqu’à ce jour dans le même espace.

Après avoir rappelé les grandes étapes de la mise en place de l’UD, ainsi que son fonctionnement, nous examinons le bilan de cette entité, trois ans après sa fondation. La seconde partie de cette note s’intéresse aux possibles évolutions de l’UD. Quels seraient les pays susceptibles de se porter candidats à une intégration ? Sur quels critères l’Union eurasiatique, prônée par V. Poutine, pourrait-elle se substituer à l’UD ? La conclusion traite des perspectives de réussite de ce projet, pris dans son ensemble.

Cette note attire ainsi l’attention sur la portée internationale de ce projet, en étudiant les fondements, les réalités et les perspectives de la dynamique actuelle d’intégration eurasiatique.


I. Historique, mécanismes généraux et résultats de l’Union douanière

A. Historique de l’UD.

Contexte général : une volonté de réaffirmation de la Russie envers un « étranger proche » qui s’éloigne.

Le projet ayant abouti à l’Union douanière (UD), rassemblant autour de la Russie plusieurs Nouveaux Etats Indépendants (NEI), a été mis en place à partir de 2008. Il s’inscrit dans un processus général de réaffirmation de la Russie sur la scène internationale, notamment au sein de son « étranger proche ». Cette tendance est l’une des caractéristiques majeures du second mandat de V. Poutine (2004-2008).

L’espace post-soviétique connaît effectivement à partir du début des années 2000 d’importantes évolutions, qui peuvent laisser penser que la Russie y perd de d’influence. A cet égard, l’adhésion en 2004 de trois anciennes Républiques soviétiques, les pays baltes, à l’Union européenne et surtout à l’OTAN, est significative. Avec ces intégrations, le territoire russe est pour la première fois directement frontalier de pays membres de l’organisation nord-atlantique. Quoique les États baltes n’aient jamais caché leur volonté d’intégrer les structures euro-atlantiques, et se soient montrés dès 1991 déterminés quant à leur refus de participer à toute organisation postsoviétique, ce rapprochement de l’UE et de l’OTAN a été perçu fort négativement par Moscou.

L’espace CEI (Communauté des Etats Indépendants) à proprement parler connaît lui aussi d’importantes évolutions. Plusieurs NEI (Nouveaux Etats indépendants) sont ainsi touchés par des vagues inédites de contestation contre leurs dirigeants, généralement issus de l’appareil soviétique, et qui ont souvent conservé des liens forts avec Moscou. La révolution des roses, la révolution orange et celle des tulipes, ponctuent respectivement l’actualité politique en Géorgie (2003), en Ukraine (2005) et au Kirghizstan (2005).

Ces révolutions, au moins celles d’Ukraine et de Géorgie, partagent certains traits communs, directement liés aux rapports entre la Russie et ses voisins de l’ « étranger proche ». Elles ont eu comme effet de chasser du pouvoir des proches de Moscou (Eduard Chevardnadze en Géorgie, Leonid Koutchma en Ukraine), pour y installer des équipes à l’orientation euro-atlantiste prononcée. La Moldavie n’a pas connu de révolutions de couleur, car le président communiste, candidat heureux à sa réélection, s’était lui-même emparé des thèmes pro-européens des manifestants ukrainiens et géorgiens. Élu en 2001 sur un programme d’intégration à l’Union Russie-Biélorussie, Vladimir Voronine s’est fait réélire en 2005 sur un programme d’adhésion à l’Union européenne, sur fond de tension avec la Russie.

L’influence de Moscou paraît donc décliner dans les années 2000 dans plusieurs pays de l’espace CEI, au profit d’un horizon euro-atlantique qui devient le cheval de bataille de certains gouvernements, particulièrement ceux de Kiev et de Tbilissi. De véritables bras de fer vont alors surgir entre la Russie et les États cherchant à se rapprocher de Bruxelles et de Washington. Ces épreuves de forces se manifesteront de différentes façons, aussi bien sur le plan économique - ainsi les guerres du gaz entre l’Ukraine et la Russie - que sur le plan militaire, comme en témoigne la guerre russo-géorgienne de l’été 2008.

Dans ce contexte, les différentes structures d’intégration ou de coopération post-soviétiques sont des échecs globaux. La CEI, fondée en 1991, et regroupant à partir de 1994 l’ensemble des NEI (avec l’adhésion de la Géorgie et de la Moldavie) ne parvient pas à générer une dynamique commune à l’ensemble des États qui la composent. Ces derniers, parfois en situation de conflits ouverts ou larvés (c’est par exemple le cas entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan), poursuivent des buts économiques et politiques souvent différents, allant en tout cas à l’encontre d’un quelconque processus intégrateur, à tel point que la CEI est souvent davantage perçue comme une structure permettant plutôt de faciliter la désintégration des républiques post-soviétiques (« un instrument du divorce  » dira même l’homme politique moldave Marian Lupu) que d’œuvrer réellement à leur rapprochement. En 1995, les chefs d’État russe, biélorusse et kazakh s’associent en vue de former une coopération douanière, initiative rejointe par la suite par le Tadjikistan et le Kirghizstan, et qui aboutit à la création de la Communauté économique eurasiatique (Eurasec) en 2000. Si les objectifs de l’Eurasec présentent des synergies avec ceux de l’actuelle Union Douanière, les moyens qui sont donnés à cette nouvelle organisation ne lui permettent pas d’atteindre ses visées. Comme la CEI, l’Eurasec adopte un certain nombre de traités qui ne sont pas concrétisés. La zone douanière entre la Russie et la Biélorussie, lancée en 1995, présente un degré d’intégration poussée. Les deux pays ont ainsi adopté un tarif douanier commun, mais qui se solde également par un échec, du fait de nombreux différents survenus, relatifs par exemple aux restrictions imposées par Minsk à l’égard de nombreux produits importées de Russie, ou à la contrebande de marchandises provenant de ou transitant par la Biélorussie à destination de la Russie [1].

Quelle Union eurasiatique ?
Principales structures d’intégration dans l’espace post-soviétique
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Ainsi, les différentes initiatives d’intégration post-soviétique apparues au cours des années 1990 n’aboutissent pas, ou peu. Il convient de souligner que ces échecs sont également liés à la situation intérieure des NEI, et notamment de la Russie durant la décennie 1990. Il est ainsi possible de penser à des faits marquants comme la crise constitutionnelle russe de 1993, l’éclatement de la guerre de Tchétchénie en 1994, la fronde des régions qui remet en question l’autorité de Moscou sur l’ensemble du territoire de la Fédération et plus généralement les bouleversements générés par la chute du système soviétique. La priorité des États de la CEI, Russie en tête, est, durant les années 1990, davantage tournée vers leur propre stabilisation que vers leur intégration mutuelle.

La remise en cause de la Russie au sein de son étranger proche est également attestée par l’apparition d’organisations rassemblant plusieurs NEI, mais dans lesquelles la Russie n’est pas partie, comme le GUAM, fondée en 1996 et rassemblant la Géorgie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan et la Moldavie, ou encore l’Organisation de coopération centre-asiatique, rassemblant à sa fondation en 2002 les 5 pays d’Asie centrale.

Face au morcellement de son influence dans l’espace post-soviétique, les réactions de Moscou sont diverses. D’une part, pour contrer les révolutions de couleur, la Russie développe un certain « soft power » visant à maintenir ou à retrouver la présence qu’elle avait auparavant dans les pays de la CEI : création de structures de promotion de la langue et de la culture russe, multiplication des initiatives de rapprochements interparlementaires, apparition de mouvements de jeunesse (Proriv, Nachi) calqués sur le mode de fonctionnement de ceux ayant contribué aux mouvements de contestation en Géorgie ou en Ukraine. Mais de manière générale, le « hard power » reste de mise, comme en témoignent les embargos « sanitaires » décrétés en 2006 contre la Moldavie et la Géorgie, en réalité pris par Moscou pour dénoncer les orientations pro-européennes de ces deux États. Les guerres du gaz qui ont marqué les relations entre Kiev et Moscou sous la présidence Ioutchenko s’inscrivent dans le même registre. Ces initiatives russes s’avèrent globalement peu productives : l’embargo sur les vins moldaves en 2006 n’a pas empêché le rapprochement de Chisinau avec Bruxelles, notamment à propos du conflit transnistrien. Celui sur les vins géorgiens n’a pas infléchi l’orientation euro-atlantique de Tbilissi. Enfin, les guerres du gaz avec l’Ukraine n’ont pas empêché l’ouverture en 2008 entre Kiev et Bruxelles des négociations relatives à l’accord d’association.

Le projet d’UD est donc mis en place dans un contexte post-soviétique de relâchement des liens entre Moscou et les NEI, que ni les différentes structures d’intégration post-soviétique, ni les initiatives menées bilatéralement par la Russie à l’encontre de ses voisins ne semblent pouvoir enrayer. Cette tendance, associée à une volonté réaffirmée de la Russie poutinienne de rétablir son influence au sein de son étranger proche, permet notamment de comprendre l’ambition qui caractérise le projet d’UD, et a fortiori le projet d’Union eurasiatique, tant dans la forme que dans les visées.

Les grandes dates de la mise en place de l’UD.

Le projet d’UD « rénovée », ayant abouti à la structure réunissant actuellement la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan, a été de nouveau suggéré lors du sommet tripartite CEI-OTSC-Eurasec, tenu à Douchanbé en octobre 2007. Conscient de l’inefficacité de l’ensemble des accords de facilitations douanières existants au sein de l’Eurasec ou de la CEI, les chefs d’État russe, biélorusse et kazakh prennent finalement la décision de créer, au sein de l’Eurasec, une union douanière les rassemblant.
Il convient d’insister sur le fait que le retour à l’idée d’UD était partagée tant par Moscou que par Minsk et Astana.

Pour la Russie, la perspective de pouvoir raffermir son influence sur ses voisins postsoviétiques est déterminante. Cet aspect prend encore plus d’importance après le lancement en juin 2009 du programme de Partenariat oriental, proposé par Bruxelles à destination de six anciennes républiques soviétiques, la Biélorussie, l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Si ce partenariat ne propose pas de perspectives d’intégration à ses associés, il envisage néanmoins un rapprochement dans de nombreux domaines, et constitue le projet de loin le plus accompli de pénétration européenne au sein de l’étranger proche de la Russie. C’est dans le cadre du Partenariat oriental que sont actuellement négociés les accords d’association entre l’UE et plusieurs NEI, accords en concurrence frontale avec l’intégration à l’UD de ces pays proposée par la Russie : le cas ukrainien, qui sera abordé ultérieurement, est éloquent.

Sur un plan économique, l’UD avec la Biélorussie et le Kazakhstan doit permettre à la Russie de réduire l’accès de son marché aux produits européens ou chinois, transitant dans le premier cas via la Biélorussie, dans le second cas via le Kazakhstan. Cette structure donne également la possibilité aux entrepreneurs russes de disposer d’un accès facilité aux marchés biélorusse et kazakh. Si elle est étendue à d’autres pays centrasiatiques - cette perspective est d’actualité au moins pour le Kirghizstan et le Tadjikistan - l’UD peut permettre à la Russie d’avoir de facto un meilleur contrôle des frontières de ces pays d’Asie centrale. Cet enjeu est double. Sur le plan sécuritaire, le développement de l’intégration douanière entre Moscou, Bichkek et Douchanbé peut notamment créer les conditions d’une lutte plus efficace contre le trafic de stupéfiants en provenance d’Afghanistan, transitant via les États d’Asie centrale et à destination de la Russie, premier consommateur d’héroïne au monde en 2010. [2] Par ailleurs, l’intégration des pays d’Asie centrale à l’UD peut potentiellement permettre à Moscou de contrebalancer la présence économique et commerciale croissante de Pékin dans cet espace.

L’intérêt de la Biélorussie pour l’UD s’explique tant par des motifs d’ordre politique, tenant essentiellement à la nature du régime d’Alexandre Loukachenko, que par des considérations d’ordre économique. Au vu du système économique biélorusse, largement basé sur l’importation à bas prix de matières premières russes, l’intégration à l’UD paraît logique : elle doit permettre de faciliter d’une part l’accès aux énergies russes, d’autre part l’export des produits biélorusses, non compétitifs sur le marché mondial, vers les autres pays de l’UD. Plus généralement, il convient de souligner que la marge de manœuvre de Minsk est en réalité étroite : la survie du régime d’A. Loukachenko, dépend notamment de l’accès aux ressources énergétiques russes bon marché. Tout refus de la part de Minsk aurait effectivement entraîné la fin des régimes préférentiels accordés par Moscou, et aurait mis en péril le maintien du système politique et économique biélorusse actuel.

En ce qui concerne le Kazakhstan, il faut rappeler que l’idée d’Union eurasiatique avait été évoquée pour la première fois par Astana en 1994, et qu’in fine, la paternité de ce projet revient au Président de ce pays, Noursoultan Nazarbaev. Si la volonté personnelle de N. Nazarbaev est capitale pour comprendre le souhait d’Astana de participer dès le début à l’UD, force est de constater que les cercles économiques kazakhs se sont montrés assez réticents envers ce projet, bénéficiant d’ailleurs d’un soutien limité de la part de la population kazakhe, qui en 2011 ne se prononçait qu’à 48% en faveur de l’UD, contre 55% en Russie [3]. En dépit de perspectives prometteuses portées par le projet d’UD, comme une meilleure protection face aux produits chinois, ou un accès facilité et sans taxes aux oléoducs et aux gazoducs russes et biélorusses menant vers l’Europe occidentale, l’UD paraissait économiquement peu rationnelle pour le Kazakhstan. En effet, les tarifs douaniers kazakhes étaient globalement peu élevés, et les opérateurs économiques de ce pays, tout comme la population, ont craint, à juste titre, que l’entrée dans l’UD n’amène à un renforcement des taxes douanières et conséquemment à une augmentation générale des prix. Par ailleurs, avec la suppression des barrières douanières, de nombreux entrepreneurs kazakhs se sont retrouvés exposés à une concurrence accrue de marchandises en provenance de Russie. Pour conclure, il apparaît que la participation du Kazakhstan à l’UD était la moins justifiée économiquement, ce qui se constate d’ailleurs aujourd’hui de façon évidente.

Les présidents russe, biélorusse et kazakhe soutiennent ainsi tous trois, en vertu d’intérêts divers, la mise en place de l’UD. Deux caractéristiques majeures de cette structure apparaissent dans les propos tenus par V. Poutine lors du sommet de Douchanbé :
« En ce qui concerne l’Eurasec, les résultats sont révolutionnaires ; nous nous sommes mis d’accord sur la création d’une union douanière et d’un organe transnational, une Commission qui aura en charge les régulations douanières. […] D’ailleurs, si l’Union douanière est initialement composé de trois États, la Fédération de Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan, tous les autres membres de l’Eurasec ont montré leur intérêt pour cette structure. C’est pour cette raison que nous avons décidé de mener toutes les négociations dans le cadre de l’Eurasec, et de ne pas fonder une autre organisation au sein de l’espace post-soviétique » [4].

Tout d’abord, le Président russe insiste sur l’existence d’un organe transnational propre à l’UD, la Commission, qui sera chargée de « s’occuper des régulations douanières ». L’existence de cet organe laisse supposer que les mécanismes de l’UD ne soient pas le fait d’accords intergouvernementaux mais d’une structure « supérieure ». Cela amène à deux présupposés : d’une part, la perspective d’une intégration plus poussée, dans la mesure où les États de l’UD sont désormais membres d’une organisation qui subsume certaines de leurs prérogatives. D’autre part, l’existence d’un organe transnational laisse supposer, au moins formellement, qu’il y aura plus d’équité entre les États au sein de l’UD, puisque cet organe sera censé représenter l’ensemble des intérêts des pays membres.

Le second point important sous-entendu dans les propos de V. Poutine est que l’UD formée au sein de l’Eurasec et initialement composée de la Russie, du Kazakhstan et de la Biélorussie est ouverte à d’autres États, ce qui laisse à penser que le projet nourrit en fait une ambition d’intégration régionale plus conséquente.

Lors du sommet de Douchanbé d’octobre 2007, les dirigeants russe, biélorusse et kazakh parviennent donc à un accord prévoyant la création de l’UD, dotée d’un organe décisionnel supranational, la Commission de l’UD. Celle-ci est créée le 12 décembre 2008. Les instigateurs du projet prévoient alors d’échelonner son lancement sur trois ans, afin de laisser aux Parlements des pays membres le temps de ratifier les accords passés.

Le 25 janvier 2008, des agréments supplémentaires sont conclus, ayant principalement trait au calcul des tarifs douaniers applicables aux pays tiers à l’Union douanière, aux taxes à l’exportation vers ces Etats ainsi qu’aux mesures particulières de protection à prendre face aux importations en provenance du reste du monde. A la suite de ces accords, un tarif douanier commun est finalisé à l’été 2009.

Il convient de souligner que ce tarif douanier commun était en très grande partie inspiré de celui en vigueur en Russie, et de facto en Biélorussie, dans la mesure où les deux pays avaient harmonisé une majeure partie de leurs tarifs (95%), dans le cadre de la zone douanière lancée en 1995. Ainsi, après l’adoption du tarif douanier de l’UD, Moscou a dû, par rapport à sa tarification nationale, augmenter ses tarifs sur 14% de ses lignes douanières et les baisser sur 4% de ces dernières.

Pour sa part, Minsk a dû augmenter 7% de ses tarifs et baisser 18% de ces derniers.

Mais c’est bien au Kazakhstan que l’adoption du tarif douanier de l’UD a provoqué le plus de remous. Astana a dû réviser à la hausse 45% de ses tarifs, et à la baisse seulement 10% de ces derniers [5].

Cette forte adéquation entre les tarifs douaniers russes et ceux adoptés dans le cadre de l’UD s’explique bien évidemment par la prééminence économique de la Russie au sein de l’UD. Par ailleurs, et ce point mérite d’être mentionné, le code et le tarif douanier commun qui seront en vigueur au sein de l’UD étaient globalement en adéquation avec les standards de l’OMC. Rappelons que la Russie négociait son entrée à l’OMC tout en menant les travaux de lancement de l’UD, et que l’appartenance à ces deux structures était, selon Moscou, non pas contradictoire mais complémentaire. Par ailleurs, du point de vue de Moscou, l’entrée de la Russie dans l’OMC pourrait faciliter celles du Kazakhstan et de la Biélorussie. L’OMC considère d’ailleurs que l’intégration de la Russie favorisera celle de Minsk et d’Astana. A cet égard, on pourra citer les propos tenu par le directeur du département des accessions à l’OMC, Chiedu Osakwe, qui le 9 novembre 2011 déclarait à Genève que « la finalisation de l’accord sur l’adhésion de la Russie aura des conséquences positives, y compris en terme d’adhésion pour la Biélorussie et le Kazakhstan » [6].
La mise en application d’un tarif douanier commun au 1er janvier 2010 marque le lancement effectif de l’UD, laquelle couvre un territoire représentant 82% de l’ancienne Union soviétique, 170 millions d’habitants et un PIB global de 2280 Md$, soit 83% du potentiel de l’ex-URSS. Il convient de souligner la prééminence occupée par Moscou dans cette structure. D’une superficie (17M km2) représentant 85% de celle de l’UD (20Mkm2) et comptant 143,5M d’habitants (84% de la population de l’UD), la Russie représente 88% du PIB de l’Union douanière (soit 2015Md$ [7]). Cette asymétrie, dont nous abordons plus loin les conséquences, pourrait constituer l’un des obstacles majeurs à la pleine réalisation du projet eurasiatique.

Le calendrier de mise en place a été relativement rapide. L’adoption d’un tarif douanier unique a été suivie par celle d’un code douanier commun, qui entre en vigueur le 1er juillet 2010. Au même moment, les postes de contrôles douaniers existant entre la Russie et la Biélorussie sont fermés, et redéployés vers les frontières externes à l’UD de la Biélorussie. Un an plus tard, le 1er juillet 2011, les contrôles douaniers sont supprimés entre la Russie et le Kazakhstan. Une partie importante du personnel des douanes kazakhes travaillant aux frontières terrestres avec la Russie a d’ailleurs été redéployée aux frontières avec la Chine, afin de prévenir un éventuel afflux clandestin de produits chinois sur le territoire de l’UD.

L’espace économique commun (EEC) rentre enfin en vigueur le 1er janvier 2012. Suite à ce lancement, l’organe supranational de l’UD, désormais officiellement EEC, est rebaptisé Commission Économique Eurasiatique (CEEA) et connait d’importants changements.

B. Mécanismes décisionnels de l’Union douanière

Contrairement aux précédentes structures d’intégration post-soviétique, l’UD est doté d’un système de décision et de contrôle transnational, cherchant à se rapprocher de celui à l’œuvre en Union européenne. La Commission Économique Eurasiatique (CEEA) représente ainsi une forte innovation : on passe de mécanismes selon lesquels l’exécution des traités est fondée sur la volonté propre des pays et se fait le plus souvent sur la base du bilatéralisme, à une structure dans laquelle, du moins en théorie, les États délèguent leurs compétences à une entité qui les dépasse.

Fonctionnement de la Commission Economique Eurasiatique

Le conseil suprême économique eurasiatique
Le conseil suprême économique eurasiatique est constitué des Chefs des États membres ou de leur gouvernement. Se réunissant deux fois par an, cet organe fixe les grandes orientations de la CEEA. C’est également lui qui tranche lorsque la Commission doit adopter des décisions de nature politique.

La CEEA
En novembre 2011, les membres du Conseil suprême économique eurasiatique s’entendent sur la création de la CEEA. Elle remplace la Commission de l’Union douanière et a commencé à fonctionner le 2 février 2012, comme on l’a vu. Basée à Moscou et employant quelques 1 000 personnes ne travaillant que pour cet organe, la CEEA est actuellement le noyau de l’Union douanière. Les cadres de son activité sont régis par un traité fondateur et basés sur des accords internationaux ainsi que sur les décisions du conseil économique suprême eurasiatique.

Concrètement, la CEEA est composée de deux organes. Tout d’abord, le Conseil de la Commission, dans lequel siègent trois Vice-premiers ministres de chacun des États-membres. Le conseil est actuellement dirigé par le vice-premier ministre biélorusse, Sergei Roumas. En cas de désaccord relatif à une régulation prise par la CEEA ou à son application, un État peut s’adresser à cette instance qui statuera par consensus.

On trouve ensuite le collège de la commission, qui est composé de huit membres et d’un président, actuellement l’ancien ministre russe du Commerce et de l’Industrie, Victor Kristenko. Chacun des membres du collège occupe la fonction de ministre de la CEEA dans des domaines divers : ministre en charge de l’Intégration et du Développement économique, ministre en charge de l’Economie et des Finances, ministre en charge du Commerce...

Ces deux organes sont dotés de pouvoirs décisionnels. Les membres du conseil et du collège de la commission sont nommés par le conseil suprême économique eurasiatique, pour une durée de quatre ans, susceptibles d’être prolongée.

La commission dispose en outre de 23 départements (dans lesquels siègent les 9 membres du collège) dotés de fonctions plus techniques, dont le rôle est de proposer des mesures au conseil et au collège de la CEEA. Ces départements sont en charge de questions variées, ayant par exemple traits aux règles phytosanitaires, aux politiques en matière de commerce avec l’extérieur, de propriété intellectuelle...

Après que l’un des départements a élaboré une nouvelle proposition, celle-ci est soumise pour consultation aux États-membres, puis pour approbation au conseil et au collège de la Commission. Les décisions les plus importantes de la CEEA sont approuvées par le Conseil économique suprême eurasiatique, c’est à dire par les chefs d’États des pays membres de l’UD, ce qui limite le caractère supranational de la prise de décision au sein de l’UD.

A ce jour, plus de 900 régulations ont été adoptées par la CEEA.

La Cour de la CEEA

Les décisions prises par la CEEA ont force de loi (toutefois, aucune sanction financière ou autre n’est pour l’instant prévue [8]), et en cas de litige portant par exemple sur leur non-application ou sur leur contestation, un instrument légal, la Cour de la communauté économique eurasiatique (Cour de l’Eurasec) peut être saisi.

Basée à Minsk, dirigée par la biélorusse Anna Sokolovskaya et composée de 10 juges (deux par pays membres de l’Eurasec) dotés d’un mandat de 6 ans, la Cour a commencé à fonctionner le 1er janvier 2012. Chargée de l’application des mesures prises dans le cadre de l’Eurasec, elle est à ce titre compétente pour traiter des litiges surgissant dans l’UD et l’espace économique eurasiatique. Cette juridiction peut être saisie tant par les États membres de l’Eurasec (notamment ceux de l’UD), les différents organes de l’Union douanière et de l’espace économique commun, ainsi que par les opérateurs économiques basés dans les pays membres de l’Eurasec ou commerçant avec des pays membres de l’Eurasec. La Cour a ainsi déjà été saisie à plusieurs reprises, tant par des opérateurs économiques contestant des décisions de la CEEA que par des entités étatiques des pays membres de l’UD [9].

Schéma du processus décisionnel au sein de l’UD [10] :

Schéma du processus décisionnel au sein de l'UD

L’UD de l’Eurasec comprend donc actuellement trois pays, partageant un tarif douanier commun depuis le 1er janvier 2010 et un code douanier commun depuis le 1er juillet 2010, entre lesquels les contrôles douaniers ont été abolis le 1er juillet 2011, pour être relégués aux frontières extérieures de l’UD. Les revenus douaniers de l’UD, collectés par chacune des douanes des pays membres sont mutualisés et répartis comme tel : 88% reviennent au budget russe, 7,3% au budget kazakh et 4,7% au budget biélorusse. Si l’adoption d’un code douanier commun avait déjà été expérimentée entre au moins deux pays de l’espace post-soviétique, la Russie et la Biélorussie, l’UD présente une importante innovation vis à vis des précédentes tentatives, dans la mesure où elle est dotée d’un organe de décision, la CEEA, dans lequel la logique supranationale et consensuelle est censée l’emporter sur la logique bilatérale. Comme on l’a vu, la Cour de l’Eurasec, est pour sa part chargé de veiller à l’application des différents traités constituant la base de fonctionnement de l’Eurasec et de l’UD, et de régler les litiges relatifs à la mise en place des dispositions de la CEEA.
L’UD constitue actuellement la structure post-soviétique dans laquelle les mécanismes d’intégration ont été les plus poussés, tant dans la forme que dans le fond. Pour autant, que peut-on dire des conséquences exactes de la mise en place de l’UD sur ses États membres ?

C. Quels impacts l’UD a-t-elle eu sur ses membres, trois ans après son lancement ?

Le développement de l’UD s’est accompagné d’un net développement des échanges entre les États-membres, ainsi que d’autres éléments positifs. Cet accroissement ne doit toutefois pas masquer plusieurs difficultés survenues et qui se devront d’être résolues afin de donner à l’UD une existence pérenne et cohérente. Au-delà de ces difficultés, plusieurs interrogations, plus générales, méritent d’être posées sur la pertinence de l’Union douanière.

Un accroissement de l’intégration entre les pays membres de l’UD.

La mise en place de l’UD a permis un renforcement de l’intégration entre ses pays membres, s’exprimant surtout par un développement des échanges commerciaux entre Minsk, Astana et Moscou. Entre 2010 et 2012, leur volume a ainsi augmenté de 87%, alors que ceux enregistrés avec le reste du monde représentaient une croissance de 50%. Plus précisément, en 2010, le volume des échanges, d’un montant de 47Md$, accuse un accroissement de 29% par rapport à 2009. En 2011, le volume des échanges totalise 63Md$, soit une amplification de 33% par rapport à 2011. En 2012, la somme atteint 68,5Md$, soit une progression de 8,7% par rapport à l’année précédente [11].

De meilleures conditions de commerce

La dynamisation du commerce intra-UD s’explique notamment par la suppression des taxes douanières entre les pays membres : si de facto (du fait des accords de libre-échange déjà existants), ces taxes étaient déjà très faibles entre les pays, leur suppression a permis un accroissement des échanges dans certains secteurs. Les exportations de pétrole et de gaz en provenance de Russie et du Kazakhstan (jusqu’en 2011), et à destination de la Biélorussie ont ainsi fortement augmenté. Minsk profite à ce titre de sa localisation géographique : en effet, une grande partie du pétrole russe (61% des exportations russes vers la Biélorussie en 2012 [12]) qui lui est vendue est raffinée en Biélorussie puis vendue aux pays de l’Union européenne. Un accord a d’ailleurs été trouvé entre les deux pays : l’ensemble des taxes à l’exportation réalisées sur les produits issus du pétrole russe raffiné en Biélorussie est reversé directement au budget russe. Cette suppression des taxes (et en contrepartie l’augmentation des taxes à l’importation depuis les pays tiers) a également généré une croissance des exportations biélorusses et russes vers le Kazakhstan, les premières étant notamment composées de véhicules et machines-outils (respectivement 22,3 et 20% des exportations biélorusses au Kazakhstan en 2012) [13], les secondes de carburant, machines-outils et de métaux (respectivement 23,6%, 15,2% et 11,7%) [14].

Outre la suppression de taxes douanières et la disparition des contrôles douaniers, la baisse des barrières non tarifaires entre les pays membres de l’UD a également influé sur le développement des échanges commerciaux. Certains problèmes anciens, sans disparaître, sont en effet moins aigus. Corruption des douaniers, temps d’attente parfois très long pour l’exécution des formalités douanières, ou encore infrastructures de transport différentes entre deux pays : les opérateurs économiques russes, biélorusses ou kazakhs associaient souvent le passage de frontière à une pénible épreuve.

Il faut avoir vu les files de camions, stationnant parfois depuis plusieurs semaines dans les terminaux douaniers situés entre les différents pays de la CEI, pour comprendre à quel point cet aspect du problème est fondamental. De façon générale, la suppression des contrôles douaniers entre les pays de l’UD a été perçue de façon positive par les entrepreneurs, et est souvent considéré comme l’un de ses avancées les plus bénéfiques.

Le développement des échanges commerciaux au sein de l’UD tient également du fait que les entrepreneurs russes, biélorusses et kazakhes, outre le fait de disposer d’un marché élargi, peuvent désormais s’enregistrer et opérer dans les trois pays de l’UD sans discrimination, avec, en théorie, un accès égal aux appels d’offres tant publics que privés.

Cette disposition a notamment profité au Kazakhstan, où de nombreux entrepreneurs russes se sont établis, ainsi que des opérateurs venus de pays tiers et commerçant avec la Russie depuis le Kazakhstan, notamment du fait que la TVA y est plus faible qu’en Russie (respectivement 12 et 18%). Par ailleurs, elle pourrait avoir à terme des conséquences structurellement positives sur l’attractivité économique et commerciale des pays membres de l’UD. Dans la mesure où ils disposent de climat d’affaires différents, dans le classement Doing Business 2013 de la Banque Mondiale, sur 185 pays, le Kazakhstan est classé 49ième, la Biélorussie 58ième et la Russie 112ième [15], on peut supposer que les États de l’UD, mis en situation de concurrence, prennent chacun des mesures pour améliorer leur climat d’affaires, afin de demeurer ou de devenir les plus attractifs économiquement de la structure dans laquelle ils sont intégrés.
Le renforcement et la création d’autres mécanismes d’intégration aux côtés de l’UD.

Le renforcement de l’intégration depuis la mise en place de l’UD se manifeste également par l’apparition ou le développement de structures annexes à l’UD/CEEA, mais qui témoignent clairement d’une dynamique en marche.

L’activité de la Banque eurasiatique de développement (EDB) atteste de ce mouvement [16]. Cette institution a certes été fondée en 2006, par la Russie et le Kazakhstan, c’est à dire avant la mise en place de l’UD, et comprend aujourd’hui plusieurs membres qui ne sont pas parties de cette organisation, comme le Tadjikistan, le Kirghizstan ou l’Arménie. Des développements récents au sein de cette structure tendraient néanmoins à montrer que la mise en place de l’UD à renforcer son activité : c’est ainsi l’EDB qui gère le fond anticrise de l’Eurasec, et qui pour le moment a alloué deux crédits d’un montant de 1,24Md$ à Minsk en 2011, et la même année de 70M$ à Douchanbé. L’EDB semble ainsi appelée à jouer un rôle moteur dans le processus eurasiatique ; en témoigne le travail de vulgarisation qu’elle propose, via la publication d’un extensif périodique trimestriel consacré à l’actualité des mécanismes d’intégration post-soviétiques.

D’autres initiatives attestent d’un renforcement de l’intégration eurasiatique, dans la foulée de la mise en place de l’UD. Ainsi, la mise en place par les trois opérateurs ferroviaires des pays de l’UD d’une société conjointe de transport, l’United Transport Logistics Company (UTLC). Selon un accord signé en juin 2013 à Saint-Pétersbourg, les pays membres de l’UD puiseront dans les réserves de leurs opérateurs ferroviaires historiques respectifs afin de doter cette nouvelle société en matériel, qui fonctionnera ensuite en fonds propres. La UTLC, dont les investissements atteindront 6,2Md$ d’ici 2020 pourrait, selon plusieurs estimations, contribuer à une croissance de 11,3Md$ du PIB de l’espace économique commun (à l’horizon 2020), dont un apport de 5Md$ au PIB russe, de 5,3Md$ au PIB kazakhe (cette société devrait notoirement permettre à Astana de renforcer ses exportations à destination de l’Europe) et de 1Md$ à la Biélorussie. [17]

Par ailleurs, les pays membres de l’UD ont mis en place en janvier 2013 un centre pour l’innovation, nommé « centre conjoint de l’Eurasec pour l’innovation technologique », dont les fonctions seront notamment de favoriser les activités de recherche et de développement, la commercialisation des différentes innovations et les transferts de technologies. [18]

L’UD est-elle rationnelle économiquement ?

Une croissance des échanges qui coïncide avec la mise en place de l’UD, mais qu’il faut replacer dans un contexte mondial.

La forte progression du commerce entre Minsk, Moscou et Astana constitue pour l’heure la réalisation la plus significative de l’UD. Comme constaté précédemment, entre 2010 et 2012, le volume des échanges intra-UD avait augmenté de 87% (tandis que les échanges avec le reste du monde accusaient une progression de 50%). Si plusieurs mesures importantes de l’UD ont joué un rôle certain dans cette dynamique, il semblerait que cette dernière soit aussi et surtout liée à un contexte mondial de reprise de l’activité économique et commerciale, après la crise de 2008.

La progression des échanges intra-UD par année montre effectivement que la croissance est forte en 2010 et 2011, respectivement 29% et 33%, mais moins significative en 2012, où elle n’atteint que 8,7%. Dit autrement, la croissance du commerce intra-UD, si elle coïncide avec la mise en place de l’UD, n’est pas uniquement (et de loin) une conséquence des dispositions de cette structure. Le futur le dira, mais il se pourrait fort que la croissance des échanges commerciaux soit une conséquence de court terme, aussi bien due à une facilitation des échanges entre les pays qu’à une dynamique mondiale de retour à la croissance. De nombreux indicateurs montrent d’ailleurs un ralentissement général des échanges entre les pays de l’UD.

Une forte asymétrie économique et politique.

Contrairement à l’Union européenne, l’UD comporte un pays dépassant de loin, ne serait-ce que sur le plan démographique et économique, les autres parties la constituant : alors que la population et le PIB kazakhs (respectivement 16,8 millions de personnes et 202Md$) représentent 1/10 de leurs équivalents russes (143,5 millions de personnes et 2015Md$), la disproportion est encore plus forte pour la Biélorussie, d’une population de 9,464 millions de personnes et d’un PIB de 63,27Md$. [19]
Ainsi, en 2012, alors que la Russie représente 65% du volume commercial de l’UD, la part du Kazakhstan n’y est que de 25% et celle de la Biélorussie de 10%.

Cette asymétrie, inexistante à un tel niveau dans les autres regroupements douaniers mondiaux, pourrait à terme créer un problème de fonctionnement.
Tout d’abord, elle induit arithmétiquement une forte disproportion des échanges entre les membres de l’UD. Dans ce cadre, Astana a ainsi vu le déficit de sa balance commerciale vis à vis de Moscou s’aggraver, cette dernière passant de 8,5Md$ en 2011 à 11Md$ en 2012 [20].

Par ailleurs, il est à supposer qu’eu égard à la prééminence économique de la Russie au sein de l’UD, et malgré les volontés affichées d’équité entre les États membres prévalant à la formation de ses structures décisionnelles, les grandes orientations de l’UD soient avant tout dirigées vers la préservation des intérêts russes. C’est notamment ce qu’il s’est passé lors du calcul du tarif douanier unique, largement inspiré sur celui en vigueur en Russie.

Certaines difficultés qu’éprouve le Kazakhstan suite à son entrée dans l’Union douanière semblent directement liées cette asymétrie.

Le relèvement des tarifs douaniers a ainsi conduit à une forte inflation des prix au Kazakhstan, de l’ordre de 7% en 2011 et 6% en 2012, directement ressentie par la population : certains produits de première nécessité comme le sucre, l’huile végétale ou encore la viande et les produits laitiers auraient ainsi vu leur prix presque doublé, ce qui a notamment amené le gouvernement à augmenter le salaire des fonctionnaires et les pensions des retraités [21].

L’Union douanière et plus généralement l’Union eurasiatique se heurteraient donc à ce premier problème : le poids incontournable de la Russie. Outre les inégalités dans les relations économiques et commerciales, cette asymétrie pourrait également avoir des conséquences politiques. En fait, elle constitue l’une des difficultés récurrentes des processus d’intégration post-soviétique, parfois perçus par les NEI comme des tentatives russes de recréation d’un empire.

Une intégration économique faible

Une autre interrogation pouvant être posée à l’égard de l’Union douanière concerne l’intensité de l’intégration économique de ses pays membres : chacun de ces derniers commerce effectivement davantage avec les pays tiers qu’avec ceux de l’Union douanière : en 2012, le montant des échanges internes à l’UD atteignent 68,6MD$, alors que ceux réalisés avec le reste du monde représentent 939,3MD$. Seuls 10% des exportations réalisées dans l’UD ont comme destination l’UD. En ce qui concerne les importations, ce taux est de 17%. Alors qu’en 2012 les échanges avec la Biélorussie et le Kazakhstan ne comptent que pour 8,3% du commerce extérieur russe, les échanges avec la Russie et la Biélorussie ne représentent que pour 19,6% du commerce extérieur kazakh. Si le volume des échanges avec les autres pays de l’UD est plus élevé pour la Biélorussie, il demeure inférieur à ses échanges avec le reste du monde, dans la mesure où il représente 48% du commerce extérieur biélorusse (dont 47% avec la Russie) [volver