Moldavie : le prochain gouverneur de Gagaouzie aura le cœur en Russie

Le Courrier des Balkans
Correspondance particulière
Mise en ligne : samedi 21 mars 2015
Quelque 106 000 Gagaouzes sont appelés aux urnes dimanche 22 mars pour élire leur nouveau « başkan ». Dans la petite région autonome fortement russifiée à l’époque soviétique, les dix candidats en lice sont tous favorables à un rapprochement encore plus grand avec la Russie. À rebours de la politique pro-européenne que mène le pouvoir central de Chișinău.

Par Mehdi Chebana

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Irina Vlah, la candidate favorite pour le poste de « başkan »

Dans son clip de campagne, Irina Vlah utilise une carte de l’Europe orientale où la Crimée reste intégrée à l’Ukraine. Provocation envers Moscou ou simple maladresse ? En tout cas, les autorités russes comptent toujours sur elle pour remporter les élections qui auront lieu dimanche 22 mars en Gagaouzie...

Cette juriste de 41 ans, seule femme en course pour le siège de gouverneur, ne devrait pas les décevoir. Les sondages les plus optimistes la donnent gagnante dès le premier tour avec plus de 57% des voix, 24 points devant le maire de Comrat, Nicolai Dudoglo. Les autres prédisent sa victoire, dans tous les cas de figure, lors d’un éventuel second tour le 5 avril.

Au total, 10 candidats se présentent pour succéder à Mihail Formuzal qui gouvernait depuis 2006 cette région autonome du sud de la Moldavie. Le mandat est de quatre ans et permet d’obtenir automatiquement une place au sein du gouvernement central.

Tous sont « sans étiquette », même si leurs liens avec les partis traditionnels sont de notoriété publique. Aucun ne réclame officiellement l’indépendance du petit territoire dans ce pays déjà aux prises avec le séparatisme transnistrien. Mais chacun affiche haut et fort son amour pour la Russie.

« Il n’y a aucune différence entre eux », résume George Damian, éditorialiste au quotidien Adevărul Moldova. « L’enjeu de la bataille, c’est de savoir qui réussira le mieux à démontrer qu’il a des liens avec Moscou et qu’il bénéficie de son soutien. »

La Gagaouzie regarde à l’est

En jouant la carte de la russophilie, Irina Vlah et ses neuf adversaires prêchent des convaincus. Turcophones mais aussi orthodoxes et massivement russifiés à l’époque soviétique, les Gagaouzes ont depuis longtemps le cœur en Russie.

En 2014, trois semaines avant l’entrée des chars russes en Crimée, ils ont voté à une majorité écrasante pour que leur région adhère à une union douanière avec Moscou, rejetant d’un bloc l’accord d’association que le pouvoir central de Chișinău s’apprêtait, comme l’Ukraine, à signer avec Bruxelles. Un plébiscite que le gouvernement moldave de l’époque a jugé illégal.

En récompense, la Russie a levé le mois suivant l’embargo qu’elle imposait à leurs entreprises viticoles depuis septembre 2013, tout en le maintenant pour les vins produits ailleurs en Moldavie.

« Les Gagaouzes se disent que la guerre en Ukraine est le résultat du rapprochement avec l’Union européenne », explique George Damian. Et d’ajouter : « sous l’influence de médias russophones très puissants, ils ne parlent jamais d’invasion et considèrent plutôt les Russes comme des personnages positifs ».

Beaucoup dénoncent aussi le désintérêt de la classe politique moldave pour leur région. Le chômage frôle les 30% et le salaire moyen dépasse à peine l’équivalent de 150 euros mensuels, soit 70 euros de moins que dans le reste du pays [1]. Élu en 2012, le président Nicolae Timofti n’y a effectué aucune visite officielle.

Adoubée à Moscou.

« Pour les électeurs, si le nouveau ’başkan’ a le soutien de Moscou, ça veut dire que la Russie va investir massivement et résoudre tous les problèmes sociaux », explique George Damian. « Voilà pourquoi les compétences des candidats n’ont pas beaucoup d’importance. Seul compte le soutien de Moscou. »

C’est dans ce contexte qu’Irina Vlah soigne depuis plusieurs mois sa stratégie. Elle a commencé par quitter en décembre 2014 le Parti des communistes (PCRM) sous les couleurs duquel elle siégeait au Parlement depuis neuf ans. Officiellement, elle reproche à son ancienne formation de composer avec les pro-européens pour la formation d’un nouveau gouvernement.

« En arriver là, c’est un échec pour le PCRM et une trahison des électeurs pro-russes », dénonçait-elle alors, consciente du désamour grandissant des Gagaouzes pour ce parti qu’ils ont souvent plébiscité.

La jeune candidate multiplie ensuite les voyages à Moscou où elle est notamment reçue par les présidents de la Douma et du Sénat ainsi que par la vice-Premier ministre Valentina Matvienko. Plusieurs députés russes lui ont rendu aussi visite à Comrat, la capitale gagaouze, à quinze jours du scrutin. De quoi asseoir pour de bon sa crédibilité aux yeux des électeurs.

L’embarras européen

Au cours de la campagne, l’omniprésence de la Russie dans les débats et les programmes a mis mal à l’aise l’Union européenne.

Accompagné par plusieurs ambassadeurs, le chef de la délégation de l’UE en Moldavie est ainsi allé à Comrat début mars pour tenter d’équilibrer les débats. « J’ai été un peu indigné par l’importance de la géopolitique dans la campagne », a déclaré Pirkka Tapiola. « Ce qui compte le plus pour les gens normaux, ce sont les opportunités qu’on leur offre, la manière dont se développe l’économie et le système éducatif. Cela fait déjà beaucoup de réponses à leur apporter, non ? »

Le diplomate a aussi eu beau jeu de rappeler à la presse locale que Bruxelles a investi 37 millions d’euros en quatre ans dans des projets d’infrastructures pour la région. La Bulgarie et la Roumanie, membres de l’UE depuis 2007, absorbent par ailleurs un quart des exportations gagaouzes, soit presque trois fois plus que la Russie [2].

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[1] Statistiques officielles portant sur le premier semestre 2014 et publiées le 19 octobre dans le quotidien Adevărul Moldova

[2] Chiffres de la délégation de l’Union européenne à Chișinău publiés dans le quotidien Adevărul Moldova le 13 février 2015.