"La Catalogne vers la liberté"-3/3, Ferran Iniesta

Barcelone (Catalogne)

Le 10 Décembre 2017

 

À mes amis francophones

 

 

Et maintenant?

 

III – À LA CROISÉE DES CHEMINS

 

 

Le 3 Octobre, la grève générale avait paralysée la Catalogne, le 10 le presidant Puigdemont, au parlement catalan, déclarait que les referendum avait dit oui à la république independante, mais dans le même discours il mettait en suspension les éffets administratives et offrait au gouvernement espagnol des pourparleurs. Une bonne moitié des citoyens mobilisés ont compris que ce retard montrait faiblesse.

 

Peu de temps après, les dirigents d’Omnium Cultural et de l’ANC (Assemblée national catalane), les deux puissantes entités civiques qui ont mobilisé les gens pendant sept ans ont été mis en prison ‘preventive’, car d’après la justice espagnole ils auraient ameuté les gens contre les policiers, donc... accusés de rebellion violente et sédition contre l’état pour le détruire. Les manifestations, même la nuit de leur emprisonnement, se sont succédées face au parlement ou face au palais de la Generalitat (gouvernement catalan). L’extrême gauche -CUP- et les CDR qui avaient preparé la marche vers le referendum, mobilsaient maintenant les gens pour la defense de la république et ont reussi à paralyser les voies de communication de toute la Catalogne.

 

Mais le 26 Septembre, Puigdemont était prêt à convoquer encore des élections pour éviter le blocage financier et policier sur tout le territoire. Puisque le front pour l’independance allait se fracturer, il a convoqué le parlement le 27 Octobre pour voter l’independance: les partis unionistes (Ciudadanos, PP et PSOE) ont quitté l’hémicycle et les votes ont été 70 favorables, 10 contre et 2 abstentions. Dans le faits, le peuple avait opté pour la république le 1 Octobre, et le parlement le faisait ce 27 Octobre. Le même jour, le parlement espagnol et le gouvernement de Madrid appliquait l’article 155 de la constitution espagnole, mettant en suspens l’autonomie catalane, bloquant le parlement et destituant le gouvernement.

Hamlet ou la classe politique catalane

 

Les données qu’on connaît, pas à pas, sur ces mouvementés mois de Septembre-Octobre-Novembre 2017, nous permettent savoir quelques faits saillants. Le premier c’est que la coalition PDECAT-ERC (avec appui extérieur de la CUP) avait bien preparé l’agence tributaire alternative, qui a été occupée et vidée par les forces de la garde civile. Le deuxième fait c’est que le ministère catalan de l’intérieur, avec 17.000 mossos d’esquadra (police catalane) sous son contrôle, n’a pas créé des unités fidèles, capables de protéger les institutions publiques essentielles pour le fonctionnement du pays. Le troisième fait, confirmé par tous les acteurs du gouvernement en suspension, c’est que nos dirigeants politiques étaient convaincus que le referendum ne pourrait pas se tenir, qu’ils ont été surpris de la force et décision des gens dans la journé du 1 Octobre, et que conséquemment le gouvernement de la Generalitat ne prevoyait rien sauf négocier.

 

Dans ma jeunesse, comme vous probablement, j’aurais réagi à cette nouvelle en accusantt nos politiciens de trahîson. Maintenan, je ne pense pas qu’ils le soient: simplement, ils n’ont pas été à la hauteur. Ils ont appliqué leur programme de marche vers la republique, et en cela, ils ont honoré la moitié de la population catalane, celle qui les a voté, et ils ont tenu à preparer un referendum avec tout un appareil d’état -police et juges- exerçant la repression contre eux. Mais ils ont tout espéré d’un dialogue finale avec Madrid et d’une pression raisonable de l’Union Éuropéenne, rasison par laquelle ils ont jugé que nous, les gens du commun toutes classes sociales confondues, nous étions une force d’appui des actions diplomatiques. Voilà l’erreur, et pas des moindres, car c’est la population qui s’est mobilisée pendant des années, en calme, sans se décourager, avec imagination creative, et sans cette determination pour la liberté les partis politiques n’auraient pas modifié leurs feuilles de route.

 

Aujourd’hui, le vice-presidant -ERC- et le ministre catalan d’interieur, ainsi que les deux dirigents des organisations civiques pour l’independance (OC, ANC) sont en prison, et Puigdemont et quatre ministres sont en éxile de facto, à Bruxelles. Des centaines de maires sont poursuivis en justice (?) pour avoir permis d’aller voter ou simplement n’avoir pas mis sur les façades officielles d’autre drapeau que le catalan (senyera, estelada). Nos services publiques de radio et television sont sous contrôle espagnol, et c’est interdit par la commission électorale -article 155- mettre des couleurs jaunes, identifiables avec l’éxigeance de libération des prisonniers politiques qui, doivent être considerés des simples‘politiques emprisonnés’.

 

Il faut avouer que nos dirigeants n’ont pas eu peur d’être jugés par des cours judiciaires à idéologie franquiste et même d’aller en prison ou en éxile. Les accuser de lâcheté serait, à mon avis, injuste. Et pourtant, ils ont une peur incontournable, née de siècles de soumission à l’empire despotique de la monarchie espagnole des Bourbons: ils ont peur à être accusés de responsables d’hypothétiques massacres contre nous, leur peuple, ils ont la trouille à imaginer que la garde civile, la police ou l’armée espagnole puissent tirer sur nous et -dans les fusillades- faire des morts dans la population civile. Autrement dit, ils sont prêts à l’héroisme personnel, comme nos representants, mais pas à nous accorder la majorité d’âge pour prendre nos décisision et exercer notre droit à la liberté.

 

D’où est sortie cette classe politique (exception faîte de la CUP; bien sûr)? De la défaite de 1714, des siècles de persecution aux catalans -langue, loi, politique- et de l’habitude de craindre toujours des nouvelles represailles espagnoles. Hélas, ces hommes et femmes sont bien, mais ils n’ont pas la trempe nécéssaire pour nous méner à la rupture, la douleur assumée et l’independance forte. L’independantisme catalan a un rêve de société nouvelle, sans barrières pour les étrangers et sans corruptions endémiques, tout cela flotte dans nos senyeres et dans nos estelades, mais pour ce faire nous savons qu’il faut perseverance et, surtout, courage. Nous, les gens du commun, nombreux, mais pas stupides, nous étions prêts à proteger nos parlementaires et nos dirigeants, et on ne leur avait pas démnandé de nous proteger: nous avons la raison et la force tranquille, pas de peur, c’est Madrid qui devrait avoir peur de notre determination... Mais nos dirigeants ignorent cela. Et justement pour cette cause, ils ne peuvent pas nous guider.

 

 

La politique en minuscule

 

Le 21 Décembre, même s’il s’agît des élections illégales convoques par l’Espagne et avec nos liders en tolle ou en exile, on ira voter, en masse. Même tous ceux qui sommes en desaccord avec la reculade de nos representants politiques, par ce que chaque abstention serà noté contre nous. Tous les scénarios sont possibles, même une majorité ‘unioniste’ avec appui de Podemos, ce parti social mais qui n’a pas de projet défini en Catalogne. Mais la possibilité d’une victoire, même large, des partis independantistes est la plus plausible: probablement il agiront ‘sagement’, en autonomistes pratiques et declarations verbales republicaines en dimanche. On leur permettra cela pour protéger nos libertés, déjà reduites.

 

Dans cette période prochaine, il faudra protéger notre système scolaire d’immersion en catalan -le plus performant de l’Espagne d’après Pise, malgré notre bilinguisme-, améliorer un financement étranglant (rappelez-vous des 22.000 millions annuels en impôts payés à Madrid, pour un retour de 8.000 €), et gagner par voie de raisonnement les secteurs jeunes encore unionistes. Tout cela est possible, même si ce lent et gris, car nous voudrons toujours un pays nouveau, une république propre et un état ouvert à la Méditerranée. Mais la république réelle devra attendre, car la nouvelle classe politique n’a fait que commencer à se constituer, et nous le savons, même si on ne le crie pas à haute voix, cela va démander quelques années.

 

 

 

Vers les temps sombres

 

S’il y a un trait bien catalan c’est le réalisme. Au souci de liberté, à l’exigence de respect, le catalan ajoute depuis long date une évaluation précise de sa réalité environnante. Les millions de personnes que, pendant des années, nous sommes mobilisés, nous sommes parfaitement conscients que l’indécision craintive de nos politiques pendant l’après 1 Octobre, a produit une cassure irréparable entre un gros secteur de la population indépendantiste et sa classe politique : la confiance s’est brisée, et cela n’est pas réparable dans un garage comme on fait avec les bagnoles.

 

Le défi populaire a eu son climax le 1 Octobre dernier : cela a blessé définitivement le vieil état impérial espagnol, mais la classe politique catalane n’a pas pris le contrôle du territoire et des institutions. L’état espagnol a eu le temps de comprendre que ces hommes et femmes politiques du parlement catalan n’iraient pas de l’avant, ne se risqueraient pas à suivre une légalité catalane contre la légalité constitutionnelle espagnole et que la république n’était qu’un vœu, mais pas une réalité sur le terrain organisationnel. Et Madrid a réagi avec sa manière habituelle, la répression déchainée sur le plan physique, juridique, économique comme correspond à un pouvoir colonial aux abois. À différence de 1640 ou de 1706, les dirigeants catalans n’ont pas été à la hauteur.

 

Hélas, hélas, trois fois hélas! Aurait dit le vieux De Gaulle, mais la réalité est la, le talon d’Achille catalan n’est pas son peuple, mais ses conducteurs, trop soumis, trop craintifs, trop prêts à déguiser la réalité : les structures d’état alternatives n’étaient pas prêtes, la police catalane n’était pas encadré pour le défi et, encore pire, la direction politique parlementaire n’était pas prête à affronter l’état espagnol. Alors, la conclusion est simple et claire : on soutiendra nos mauvais partis politiques et on se battra pour libérer nos prisonniers politiques, mais nous savons qu’il faut attendre la relève, car eux sont incapables de briser les chaines qui nous soumettent à l’état espagnol, un état décadent et corrompu jusqu’à la moelle des os.

 

Alors, mes amis et amies, je ne compte plus écrire dans les temps qui viennent, par ce que tout risque d’être gris et sombre, répression publique et résistance silencieuse, et dorénavant il n’y aura rien d’héroïque ou festif dans ce que nous vivrons. Nous sommes déjà dans les temps sombres qui suivent la défaite, car notre réalisme nous empêche de déguiser les faits avec des belles paroles. Et si, encore, je venais à écrire, cela voudrait dire que l’affrontement non violent, sans une direction préparée, se sera produit malgré tout : espérons que cela n’arrive pas, car les jeunes dirigeants ne sont pas encore prêts, même si la gauche radicale –CUP- confonds désir et faits. Malheureusement, nous avons une nation renouvelée, forte et joyeuse, mais une classe politique enracinée dans un passé de colonisée.

 

 

 

Le défi catalan... et l’état-nation

 

Nous en avons parlé entre nous, dans le passé ou maintenant, mais ce qui panique l’UE et explique son silence c’est la liberté des peuples: la démocratie officielle n’accepte qu’un ramassis d’individus, taillables et corvéables, sans classe social, sans appartenance idéologique, sans aucune réalité groupale, car les groupes (classes, religions ou peuples) lui font terreur. Cette UE à 28 États ne peut pas dénoncer brimades en Europe, par ce que ces États se protègent les uns les autres: on peut dénoncer les crimes au Proche Orient ou en Afrique ou au Sud-est asiatique, mais pas à la maison, car cela prouverait que ce genre d’union n’écoute pas les gens.

 

Alors, sans le savoir, nos craintifs dirigeants, depuis 2017, ont réinventé Gandhi et sa non-violence : ils ont rebaptisé cela sous le nom de pacifisme. Mais nous ne sommes pas pacifistes, nous exerçons la non-violence, nous voulons la liberté et marchons droits vers elle, sans hésitations et prêts à supporter les matraques policières et les armes de l’État-nation espagnol, ce pouvoir arrogant et stupide qui n’a pas cessé de perdre des colonies pendant cinq cents ans, avant que dialoguer et passer des accords. Et bien, une grand partie des catalans ne veut plus vivre assujettie à cette État décadent, liberticide, corrompu et indigne.

 

La menace catalane, par notre façon d’agir, non seulement met à nu Madrid, mais aussi Bruxelles. Le jour où nous réussirons notre indépendance -la conjoncture pourrait y aider- alors la porte sera ouverte à une Europe des peuples dans des systèmes confédéraux et, sans doute, à une nouvelle géographie politique du monde. Comme on disait en Mai 68, oser lutter, oser vaincre, car l’horizon humain n’est plus aux états-nations.