Le bras de fer franco-comorien au sujet de Mayotte

Par Damien GAUTREAU, le 16 août 2018

Damien Gautreau est professeur d’histoire-géographie. Après un début de carrière à Montpellier, il exerce désormais dans un lycée de Mayotte et effectue de nombreux voyages dans l’Océan Indien.

Les relations entre les Comores et la France ne sont pas au beau fixe et la question de Mayotte est loin d’être réglée. Les dirigeants comoriens se servent de la situation pour maintenir leur autorité.

LA FRANCE et l’Union des Comores se livrent un bras de fer inédit depuis le mois de mars 2018. Pour la première fois, l’ancienne colonie française, située entre le continent africain et Madagascar, tient tête à la cinquième puissance militaire du monde. Au cœur de cette joute diplomatique se trouve l’île de Mayotte, revendiquée par les Comores mais administrée par la France dont elle est le 101e département depuis 2011. Qu’est ce qui pousse l’Union des Comores à défier ainsi la France ?

Le bras de fer franco-comorien au sujet de Mayotte
Carte de localisation de Mayotte au sud-ouest de l’océan Indien
Cliquer sur la vignette pour agrandir cette carte de localisation de Mayotte au sud-ouest de l’océan Indien, dans le canal du Mozambique. Source : Population & Avenir, n°708.

Des tensions depuis 1974

Les Comores figurent parmi les derniers territoires colonisés par la France à accéder à l’indépendance. C’est en décembre 1974 qu’une consultation est organisée par la puissance coloniale sur les quatre îles qui composent l’archipel (Grande Comore, Mohéli, Anjouan et Mayotte). Le résultat est clair : 94,88% des suffrages exprimés sont favorables à l’indépendance [1]. Mais la France souhaite conserver un point d’ancrage dans le canal du Mozambique, indispensable à sa stratégie géopolitique. Elle saisit donc le fait que sur l’île de Mayotte, seulement 34,53% des suffrages exprimés sont en faveur de l’indépendance, pour se maintenir sur le territoire. Ce résultat électoral serait le fruit de manœuvres politiciennes destinées à empêcher les indépendantistes de faire campagne notamment via les « chatouilleuses » et les « bastonneurs ». Mayotte est alors peu peuplée et ne compte que 16109 électeurs dont seuls 12452 participent à la consultation. Il est donc facile d’influencer un corps électoral aussi réduit, d’autant que le fonctionnement tribal permet de faire passer aisément des consignes de vote.

L’ONU met alors en garde la France sur la nécessité de respecter l’intégrité du territoire comorien. Mais la puissance coloniale, qui détient un droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies, ne l’entend pas ainsi et organise une nouvelle consultation, uniquement à Mayotte, en janvier 1976. Signalons qu’entre temps, les Comores ont proclamé leur indépendance. Le résultat de cette nouvelle consultation donne raison à la France puisque 99,42% des suffrages exprimés sont en faveur du maintien au sein de la République française [2]. Ce référendum n’est pas reconnu par l’ONU qui rappelle que l’indépendance d’un territoire doit se faire dans le cadre des frontières coloniales. C’est donc le début d’inlassables tensions entre le nouvel état et son ancienne puissance coloniale. Les Comores revendiquent l’intégralité de l’archipel et font figurer Mayotte dans leur Constitution. L’ONU condamne par plus de vingt résolutions différentes l’annexion de Mayotte par la France. De son côté, cette dernière ancre lentement l’île dans la République, d’abord avec le statut de Territoire d’Outre-Mer puis avec celui de département en 2011.

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L’Union des Comores revendique Mayotte, 101e département français
A Moroni, capitale de l’Union des Comores, en décembre 2016, panneau officiel qui témoigne de la revendication de l’Union des Comores sur le 101e département français, Mayotte .Crédit photographique : 2016, Damien Gautreau

La question de Mayotte demeure centrale aux Comores et fait figure d’argument politique dans toutes les discussions avec la France. Elle lui assure le soutien de l’Union Africaine et de la Ligue Arabe. Elle permet aussi aux dirigeants politiques de canaliser les aspirations populaires et agit en quelque sorte comme un épouvantail. Cela ne fait aucun doute pour tous les Comoriens, Mayotte leur appartient.

Les migrations vers Mayotte

Les quatre îles de l’archipel des Comores ont depuis longtemps entretenu des liens très forts. Les déplacements y sont monnaie courante et la plupart des habitants ont de la famille sur plusieurs îles. La langue, la religion, la culture y sont identiques. Les migrations semblent donc inscrites dans les habitudes des habitants de l’archipel. Pourtant, les choses se compliquent sensiblement..

Avec le rattachement à la France, Mayotte fait désormais figure d’Eldorado dans la région. Si l’île concentre un grand nombre de problèmes et demeure le département le plus pauvre de France, son PIB [3] est plus de dix fois supérieur à celui de l’Union des Comores (2015). Par conséquent elle attire de nombreux jeunes Comoriens persuadés d’y obtenir une vie meilleure. Mayotte connaît donc un grand nombre d’arrivées sur son territoire de population venant des autres îles de l’archipel. Selon l’INSEE, en 2015, seuls 45% des habitants de Mayotte sont nés sur l’île. Elle attire notamment grâce à ses infrastructures dans le domaine de la santé qui, bien que largement insuffisantes et sous-développées pour un département français, sont nettement supérieures à ce que l’on peut trouver dans les autres îles des Comores.

Cependant, depuis le visa Balladur de 1995, la circulation des populations entre les îles de l’archipel est réglementée. De ce fait, pour venir à Mayotte, un habitant d’une autre île doit faire une demande de visa, qu’il a peu de chances d’obtenir. C’est le début de l’immigration illégale qui voit des milliers de Comoriens risquer leur vie chaque année sur des embarcations de fortune pour rejoindre Mayotte. Certains estiment que depuis l’instauration du visa, au moins 10000 personnes seraient mortes en mer lors de la traversée entre Anjouan et Mayotte [4]. La gendarmerie maritime, les douanes et la Police Aux Frontières surveillent les eaux mahoraises et tentent de stopper les flux migratoires, en vain. La PAF continue sur terre. Chaque année, on dénombre environ 20000 reconduites à la frontière [5] soit 2/3 du total des expulsions françaises. Cette situation conduit les migrants à vivre dans des conditions particulièrement précaires, dans des habitats faits de taules et de bouts de bois bangas au cœur de vastes bidonvilles. Certains sombrent dans la délinquance, ce qui conduit une partie de la population mahoraise à faire l’amalgame « étrangers=voleurs ». Les tensions communautaires sont donc omniprésentes sur l’île.

La situation s’envenime

Face à l’important retard de développement de Mayotte et aux nombreux problèmes qui en découlent, des Mahorais sont exaspérés. L’île connaît une importante mobilisation en février-mars 2018 avec plusieurs manifestations et le blocage des routes de Mayotte. Au milieu de la multitude de revendications, l’une d’entre elles occupe le devant de la scène : la lutte contre l’immigration clandestine. En effet, les immigrés font figure de boucs émissaires et certains leur attribuent tous les maux de l’île. Rappelons que précédemment, lors de l’élection présidentielle de 2017, Marine Le Pen a effectué un score élevé à Mayotte [6]. Les barrages deviennent filtrant et la dimension xénophobe du mouvement s’affirme. Des milices se mettent même en place et on assiste à des décasages. Ces actions violentes consistent à chasser des étrangers de leur domicile et de le détruire ou d’y mettre le feu. La vindicte populaire ne souffre aucune contestation et des métropolitains vivant à Mayotte mzungus sont pris pour cibles simplement pour avoir rappelé que le droit français interdit la justice tribale. Si la mobilisation s’estompe après six semaines de blocages, d’importants clivages communautaires demeurent.

C’est dans ce contexte que les tensions avec les Comores prennent un nouveau tournant. En effet, pour calmer les ardeurs de la population mahoraise, la préfecture se livre à un grand nombre d’interpellations et d’expulsions d’étrangers. C’est alors que l’Union des Comores refuse d’accueillir les expulsés. Elle rappelle au passage que les Comoriens sont « chez eux » à Mayotte. Alors que tout le monde pense que cette position n’est qu’éphémère, voilà qu’elle perdure. Le ministre comorien des Affaires étrangères, Mohamed El-Amine Souef , s’affirme comme le nouvel homme fort. Malgré des entretiens avec son homologue français Jean-Yves Le Drian, la situation reste bloquée. Plus aucun citoyen comorien n’est expulsé de Mayotte à compter d’avril 2018. Pendant plus de trois mois le bras de fer perdure. La France a d’abord suspendu l’attribution de visa pour les citoyens Comoriens, sans effet. Elle a ensuite bloqué l’aide au développement vers les Comores, toujours sans effet. La France ne semble pas disposer d’autres moyens de pression et la situation aux Comores n’est pas à son avantage. D’une part, la mise en exploitation des réserves d’hydrocarbures dans les eaux comoriennes pourrait rendre inutile l’aide au développement venant de la France. D’autre part, la crise politique que connaît le régime comorien en cette année 2018 lui interdit d’apparaître faible sur la question de Mayotte.

Les relations entre les Comores et la France ne sont donc pas au beau fixe et la question de Mayotte est loin d’être réglée. Les dirigeants comoriens se servent de la situation pour maintenir leur autorité. Désormais, ils n’hésitent plus à se tourner vers d’autres partenaires, qu’ils soient Italiens, Chinois ou Russes. L’influence française dans la région semble en perte de vitesse mais attention toutefois à ne pas trop contrarier la cinquième puissance militaire au monde.

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