´Pékin veut lier les Ouďgours avec le terrorisme pour justifier la répression´, Thierry Kellner

Le 5 juillet, des émeutes dans la capitale de la province chinoise du Xinjiang, Urumqi, ont fait au moins 140 morts et 828 blessés, selon l´agence officielle Chine nouvelle. La direction des relations avec les médias au gouvernement provincial fait état d´environ 260 véhicules brûlés et de 200 commerces et habitations endommagés. Ce n´est pas la première fois que de tels incidents éclatent au Xinjiang. Ils traduisent le malaise grandissant entre les Ouïgours – ethnie majoritaire et musulmane – et les autorités chinoises. Thierry Kellner, de l´Institut universitaire de hautes études internationales à Genève, revient sur la situation.

Quelle relation entretient Pékin avec la province du Xinjiang, peuplée en majorité par les Ouïgours ?

Thierry Kellner : C´est une périphérie contestée, une province qui a souvent échappé au contrôle de Pékin. Les dynasties chinoises ont imposé leur contrôle sur le Xinjiang, mais toujours de façon intermittente. La culture des habitants du Xinjiang  est plus centrasiatique que chinoise. D´origine turco-iranienne, ils sont musulmans et leur langue vient du turc. La Chine n´a fait la conquête militaire du Turkestan [ancien nom du Xinjiang] qu´au XVIIIe siècle. Après l´arrivée des communistes au pouvoir, en 1949, les Ouïgours ont eu l´impression que la politique de Pékin est devenue nettement plus favorable aux Chinois Hans [l´ethnie majoritaire en Chine]. Il y a aujourd´hui dans la province une nette différence de revenus entre les Ouïgours et les Hans. Les Hans ont le pouvoir. Ces manifestations sont une traduction du malaise qui persiste avec les Ouïgours.

La situation est-elle comparable à celle du Tibet ?

La Chine n´a jamais eu confiance dans la population de la province. Pékin a écrasé le nationalisme ouïgour, avec l´aide de l´URSS, dans les années 50. Avec le développement économique, le nationalisme a refait surface dans les années 80 sous la forme d´un mouvement littéraire. Mais les autorités ont pris peur et, au début des années 90, réprimé tout ce qui ressemblait à une vélléité d´indépendance. Pékin a mis en place un puissant contrôle sur le discours historique, pour montrer que le Xinjiang a toujours fait partie de la Chine.

Effectivement, il s´agit de processus comparables à ceux en cours au Tibet : le développement économique échappe aux minorités ethniques au seul profit de l´ethnie Han ; la religion et la culture sont réprimées ; Pékin procède à une "colonisation" en faisant en sorte que les Hans deviennent majoritaires. La seule différence, c´est que le Xinjiang n´a pas de figure charismatique comme le dalaï-lama pour défendre sa cause. Et il faut des évènements comme ces émeutes pour qu´on parle de la situation au Xinjiang.

Le pouvoir accuse le Congrès mondial ouïgour, qui représente les Ouïgours à l´étranger, d´avoir fomenté les émeutes...

Son audience est assez restreinte. Rebiya Kadeer, qui est à sa tête, est encore peu connue. De plus cette organisation prône le respect de la Constitution chinoise. Mais Pékin préfère bien évidemment désigner un ennemi extérieur plutôt que de remettre en cause sa propre politique.

Concernant ces émeutes,  le rôle d´Internet doit être mis en avant. Tout aurait démarré près de Canton, dans le sud de la Chine, quand deux ouvriers ouïgours ont été lynchés dans le district de Shaoguan, le 27 juin, par des ouvriers hans [une rumeur postée sur Internet avait accusé des ouvriers ouïgours d´avoir violé deux fillettes. Les émeutes avaient fait officiellement 2 morts et 118 blessés]. Ce qui m´étonne, c´est que cela se soit passé à Urumqi, dont la population est Han à 83 %, plutôt qu´à Kashgar [autre grande ville du Xinjiang, dont la population est majoritairement ouïgoure].

Je pense que ces accusations ne sont qu´un prétexte utilisé par Pékin pour lier la diaspora ouïgoure à l´étranger avec Al-Qaida et le terrorisme, afin de justifier une nouvelle répression.

Propos recueillis par Hélène Franchineau, 6-VII-09, lemonde.fr