la Macédoine s’éloigne de Bruxelles

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Intégration européenne : la Macédoine s’éloigne de Bruxelles

Traduit par Caroline Target

Publié dans la presse : 20 septembre 2010
Mise en ligne : jeudi 21 octobre 2010
Depuis décembre 2005, la Macédoine a le statut de candidat à l’adhésion. Mais depuis, rien. Le conflit nominal avec la Grèce empêche toute avancée. Face à ce blocage, la population se braque et se détourne peu à peu de l’UE. Réalisme inévitable ? Mais quelle est l’alternative pour Skopje ?

Par Risto Karajkov

Les résultats d’un récent sondage euro-baromètre publies dans les médias nationaux macédoniens n’ont pas manqué d’alimenter les discussions. D’après cette étude, le soutien à l’intégration européenne aurait baissé de 6% en 2009. Aujourd’hui, moins de deux personnes sur trois se disent en faveur de l’adhésion à l’UE. Une telle baisse en seulement 12 mois reste préoccupante pour les Macédoniens et a suscité un ensemble de réactions politiques de la part de l’opposition.

Un Macédonien sur quatre sans opinion sur l’adhésion

L’opposition a attribué le phénomène à « l’euro-scepticisme » du gouvernement. « Chaque fois que le Premier ministre Nikola Gruevski se montre incapable de résoudre un problème, c’est la faute de l’Union Européenne. Cela alimente le scepticisme de la population face à l’Europe », a commenté Radmila Sekerinska, membre de l’alliance social-démocrate (SDSM) et présidente du Conseil national pour l’intégration européenne. Le vice-Premier ministre pour l’intégration à l’Union européenne, Vasko Naumovski, a répliqué que le gouvernement n’est pas du tout « eurosceptique » et qu’il s’est même fait le promoteur enthousiaste d’un futur à 12 étoiles pour la Macédoine.

Le sondage euro-baromètre indique que 11% des Macédoniens considèrent que l’adhésion aux 27 serait négative pour Skopje, une valeur en hausse de 2% par rapport à 2009. Et 27% des personnes interrogées se déclarent sans opinion sur le sujet.

Les Macédoniens plus préoccupés par le chômage que par l’Europe

Le chômage apparaît comme la préoccupation principale pour 63% des Macédoniens tandis que seuls 24% d’entre eux pensent que les choses iront mieux l’année prochaine. Même si le problème de l’emploi inquiète la majorité des citoyens, les journaux nationaux ont titré sur l’euro-scepticisme. Voilà qui révèle l’importance de l’Europe en Macédoine.

Entrer dans le « club des 27 » est considéré en Macédoine comme un raccourci vers la prospérité, bien que peu de gens aient une idée claire sur comment cela pourrait se réaliser. De plus, l’événement est perçu comme le but ultime, la « fin de l’histoire », l’aboutissement évidemment heureux d’un long processus. Las, les coups portés à cette romantique vision du futur national sont incessants, faisant sans cesse ressortir la difficile réalité entourant l’intégration à l’UE. Il est donc possible que les sismographes de l’euro-baromètre n’aient enregistré qu’un brusque réveil.

« L’entrée dans l’Europe semble vraiment loin et incertaine »

On dirait que le pays s’est rendu compte depuis peu qu’il pourrait éternellement rester dans la salle d’attente de l’UE, seulement parce que son voisin méridional, la Grèce, dit non à son adhésion. Athènes est bien prête à lever son veto, et à accepter le début des négociations entre Bruxelles et Skopje, mais seulement si la Macédoine accepte ce que la majorité de ses citoyens ne peut pas même imaginer : changer son nom et son identité. Cette situation conduit de nombreux citoyens à se demander si l’UE en vaut vraiment la peine.

« Aujourd’hui, l’entrée dans l’Europe semble vraiment loin et incertaine. Personnellement, je suis plutôt découragée par les négociations avec la Grèce sur la question du nom », commente Ana, une jeune traductrice au chômage, résidant à Skopje. Bien sûr, elle espère que la Macédoine trouvera le moyen d’entrer dans l’UE, tout en préservant son identité nationale. « Nous devrions être autorisés à la protéger de la même façon que les autres nations européennes », estime-t-elle.

« Dans l’UE, mais pas à n’importe quel prix »

« Je comprends les avantages de l’adhésion à l’UE », nous dit Sreten, responsable d’une ONG à Tetovo, « mais je ne suis pas en faveur d’une entrée à n’importe quel prix. Il suffit de penser aux exemples de la Roumanie et de la Bulgarie. L’UE ne signifie pas un revirement, ni des changements directs sur la vie quotidienne des gens », ajoute-t-il. Il ne croit pas que l’adhésion à l’UE changerait son quotidien de façon significative.

« Certains des bénéfices seront tangibles, comme davantage d’investissements ou une plus grande stabilité politique », indique Melina Grizo, enseignante à la Faculté de Droit de Skopje. Pour d’autres domaines, par contre, son pronostic est moins optimiste. « Par exemple, l’adhésion à l’UE devrait influencer le système judiciaire macédonien, particulièrement inefficace. Mais rien n’est moins sûr. De même que pour la législation anti-corruption. Cela toucherait les intérêts de l’élite, qui normalement ne se souci pas des ces limites », explique Mme Grizo.

Slavica est une jeune entrepreneure de Skopje, responsable d’une société d’événementiel. Elle est optimiste et croit que l’adhésion aura des retombées positives pour les entreprises macédoniennes. « Nous pourrions apprendre à nous mesurer avec le grand marché européen, avec de nouvelles conditions », explique Slavica, convaincue que l’entrée dans l’UE est proche, peut-être dans les 3-4 prochaines années.

Entre veto grec et réformes nécessaires

Cet espoir rencontre inévitablement le mur de la réalité politique nationale. « La Macédoine ne pourra pas continuer les négociations avant d’avoir changé son nom », rappelle Melina Grizo. Mais elle croit tout à fait improbable que le gouvernement prenne une telle décision, ce qui devrait reporter l’entrée en vigueur des négociations. Et de toute façon, une fois le processus amorcé, il faudra plusieurs années avant d’en voir la fin. Sreten est également peu optimiste : « ce sera un succès si nous entrons en 2018 ».

Il n’y a pas si longtemps, l’ambassadeur de l’UE à Skopje, Erwan Fouéré, avait déclaré lors d’une conférence que la Macédoine, dans son processus d’adhésion, faisait un pas en avant et deux pas en arrière : la métaphore de l’écrevisse, pour décrire les pauvres progrès en matière de réforme. Mais plusieurs Macédoniens ne seraient pas d’accord sur le pas en avant... Le rêve UE, comme tous les rêves, semble à portée de main. Pourtant, quand on essaie de le toucher, on découvre combien il est loin, au point qu’on ne sait plus trop s’il est vraiment accessible.