´La disparition des Allemands de Voïvodine´, courrierdesbalkans

Le Courrier de la Serbie

La disparition des Allemands de Voïvodine

Par nos correspondants
Mise en ligne : vendredi 12 novembre 2010
 
Dans l’entre-deux-guerres, les Allemands de Voïvodine étaient une minorité riche et culturellement indépendante. Aujourd’hui, en Serbie, ils sont à peine 3.000. La plupart ont fui après la Seconde Guerre mondiale et continué d’émigrer dans les années 1960 vers l’Allemagne, l’Autriche ou les USA. Leurs enfants et petits-enfants se déclarent hongrois, croates, serbes ou slovaques. Ils ignorent parfois même que leurs parents étaient allemands. Diaporama et photos d’archives commentées.

 

Texte : Philippe Bertinchamps

Au tournant du XVIIIème siècle, des paysans-soldats de Souabe, de Bavière, de Saxe et du Palatinat rhénan commencent leur long voyage sur le Danube. Sous l’impulsion des Habsbourg, ils viennent peupler et exploiter la plaine de Voïvodine, cette contrée au sol noir et fertile aux confins de la Pannonie et des Balkans. Les Ottomans se sont retirés après la signature du traité de Karlowitz en 1699. Avec les Allemands, arrivent des Alsaciens, des Hongrois, des Roumains, des Ruthènes, des Slovaques et même des Catalans, des Siciliens et des Napolitains (partisans des Habsbourg, ils ont été chassés par les Bourbons après la guerre de succession d’Espagne). Ils s’approprient les terres vacantes. Les colonies se multiplient.

Deux siècles plus tard, en Voïvodine, sur un peu plus d’un million d’habitants, un tiers sont serbes, un quart allemands, un cinquième hongrois. La physionomie du pays a changé. Au lieu des marais, voilà des champs, des vignobles, des vergers irrigués. Au lieu du dédale de ruelles, voilà des places pavées et des allées tirées au cordeau. Voilà le gymnase, l’hôtel de ville, le grand théâtre, le château d’eau, le tribunal, la poste, le sanatorium et l’hôpital. Voilà les églises orthodoxe, catholique, protestante et voilà la synagogue. Voilà le canal, le chemin de fer, la centrale électrique. Voilà les salaši ou grandes fermes agricoles. Voilà les moulins, les brasseries, les sucreries. Voilà les briqueteries, les tuileries, les filatures, les corderies.

En ville, on danse la valse, le tango et le fox-trot. L’allemand est en large usage. Poussez la porte de la librairie, vous serez frappé par l’alignement discipliné des lettres gothiques à crochets. La demoiselle de magasin vous demandera : « Sie Wünschen ? ». Vous y trouverez la Chronique de la Matica srpska, mais aussi l’anthologie d’expressions allemandes Geflügelte Worte et les livres de Herder, Goethe et Schiller.

Photos commentées

En 1919, les Allemands ont le statut de minorité nationale. En 1920, le Kulturbund (Alliance culturelle allemande) est fondé à Novi Sad. Deux ans plus tard, le Parti des Allemands du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes est formé. Son cheval de bataille : ouvrir des écoles germanophones. Ce sera fait. En dix ans, plus de deux cents établissements scolaires sont créés, fréquentés par quelques 40.000 élèves. Dans la foulée, des associations en tous genres sont constituées : celle des sociétés sportives allemandes, des groupes de jeunesse allemande, des femmes allemandes ou des médecins allemands. Le journal Deutsches Volksblatt est quotidiennement tiré à 25.000 exemplaires, à quoi s’ajoute une trentaine de mensuels et d’hebdomadaires germanophones.

Depuis les années 1920, les fermiers allemands s’organisent en coopératives agricoles, chapeautées par la puissante association Agraria. 80% de la production de céréales est entre leurs mains. De fait, ils ont le monopole des exportations. À elle seule, la minorité allemande contrôle presque 50% de l’économie de la Voïvodine qui devient, dès 1934, suite au traité commercial germano-yougoslave, le grenier du Troisième Reich.

Or, un vent de révolte souffle. Une certaine jeunesse, éduquée en Allemagne et en Autriche, reproche à la vieille garde catholique sa loyauté à la monarchie. « Notre drapeau est le temps nouveau ! » Et voilà les chères têtes blondes qui portent l’uniforme et répandent, au son du roulement de tambours, leurs idées de conquête, leurs images, leurs emblèmes, leurs fanions. En 1939, avec l’aide de Berlin, le futur Obersturmführer Sepp Janko prend les rênes du Kulturbund dont il aligne la politique sur celle du national-socialisme.

Selon des estimations, 93.450 Allemands de Yougoslavie (18,6% d’après le recensement de 1931) ont participé activement – de gré ou de force – à la Seconde Guerre mondiale en tant que soldats de la Wehrmacht ou de la SS. Ils sont haïs par la population : « nos » Allemands ont trahi !

Beaucoup ont accueilli l’occupant en poussant des « Hourra ! ». Certains ont joui des privilèges dus à leur nationalité, notamment dans l’administration. D’autres ont été gardiens de camp ou auxiliaires de la police. Ils ont fait main basse sur les propriétés des Juifs, à la destruction desquels ils ont pris part. Mais ont-ils été les seuls ?

Octobre 1944. L’Armée rouge franchit le Danube et entre en Yougoslavie. Après une première vague d’arrestations, d’exécutions et de viols, une partie de la population allemande est évacuée vers le Reich.

Des processions pitoyables traversent les rues : hommes, femmes, enfants, clopinant à côté des charrettes disjointes où s’entasse ce qui reste des meubles d’une maison de paysans. En mars 1945, ceux qui n’ont pas voulu quitter leurs terres sont internés dans des camps.

Les camps sont des hameaux désertés, gardés par des sentinelles en armes. Les femmes, les vieux, les enfants sont soumis aux travaux des champs. Le typhus intestinal, véhiculé par les poux, fait des ravages. À l’hôpital, des centaines d’agonisants, grelottant de fièvre, délirent sur la paille humide, faute de lits. À l’entrée du village, un champ étroit planté de milliers de petites croix de bois : le cimetière des typhiques.

Somborer Lagerlied, ou la ballade du camp de Sombor

Paroles : Elizabeth Gaug, née Dickmann. Mélodie : Lili Marlen.

Dicht bei Sombor
Ganz nebenan der Stadt
Dort stehen die Baracken.
Wer sie gesehen hat ?
Muß du vorbei, so geh ganz leis,
Viel besser, du machts einen Kreis,
Daß dich der Raiko nicht sieht,
Daß dich der Raiko nicht sieht.

 [1]

Morgens um halb vier,
Da heißt es aus dem Bett.
Die Bretter sind aus Weichholz,
Die Flöhe sind ganz nett.
Wanzen und Laüse sind dabei,
Das ist uns heut ja gar nicht neu
Seit wir im Lager sind,
Seit wir im Lager sind.

Jetzt heißt es an den Kessel,
Das Frühstück is bereit.
Man ißt es schnell hinunter,
Man hat nicht lange Zeit.
Die Suppe ist zwar ohne Schmalz,
Das Brot von Kuk’ruz ohne Salz –
Der Lohn für Deutschen Fleiß,
Der Lohn für Deutschen Fleiß.

« Stroj ! » wird schon geschrien,
Wir stellen uns dann auf.
Am Tor sitz schon der Straschar,
Wart’ auf einen guten Kauf.
Da sieht es wie am Jahrmarkt aus,
Doch trägt man nichts im Korb nach Haus.
Auf der Straße ziehn wir dahin,
Auf der Straße ziehn wir dahin.

Als wir dann so gehen,
Wie weh wird mir ums Herz,
Doch tapfer soll ich bleiben
Im allergrößten Schmerz.
Das lernte mich mein Mütterlein,
Doch kann ich heut nicht bei ihm sein.
O Schicksal, hart und schwer.
O Schicksal, hart und schwer.

[1] Près de Sombor / Aux environs de la ville / Se trouvent les baraques / Quelqu’un les a-t-il vues ? / Allez-y en faisant silence / Ou mieux encore, contournez-les / Pour que Rajko ne vous voie pas / Le matin à l’aube / Ils nous chassent du lit / Les planches sont en sapin / Les puces font plaisir / Plus les punaises et les poux / Il n’y a là rien de nouveau / Depuis qu’on est au camp / Maintenant dans le chaudron / Le déjeuner est prêt / Il faut l’avaler vite / Le temps nous est compté / La soupe n’est certes pas bien grasse / Du pain de maïs sans sel / Le prix du labeur allemand / « Stroj ! », le cri est aimable / On se met dans les rangs / Près du portail, le gardien / Fait déjà de bonnes affaires / On dirait qu’il est au marché / Mais on ne rapporte rien chez soi / Ainsi va-t-on à travers rues / Ainsi avance-t-on / Le cœur serré / Pourtant je dois être fort / Quand ça fait le plus mal / C’est ce que ma maman m’a dit / Mais aujourd’hui, je suis sans elle / Ô destin, cruel et dur.