Croatie: la chute annoncée de la forteresse HDZ

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Croatie: la chute annoncée de la forteresse HDZ

Traduit par Caroline Target
Publié dans la presse : 8 novembre 2011
Mise en ligne : mercredi 23 novembre 2011
 
Rien ne va plus pour le HDZ, qui a régné presque sans partage sur la Croatie depuis l’indépendance. Laminé dans les intentions de vote, ébranlé par les scandales de corruption à répétition, discrédité par le procès de l’ancien Premier ministre Sanader, le parti semble assuré de perdre les élections du 4 décembre prochain, face à la coalition de gauche « Kukuriku »... Au point que certains analystes se demandent si le HDZ ne va pas disparaître de la scène politique croate.

Par Drago Hedl

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HDZ : « le meilleur quand c’est le plus dur »

À deux semaines des élections générales du 4 décembre 2011, les événements qui secouent la scène politique croate font penser au scénario d’un film à suspens. L’ancien Premier ministre, Ivo Sanader, est en procès pour corruption et son parti, l’Union démocratique croate (HDZ), fait l’objet d’enquêtes pour utilisation de fonds illégaux. Comme si cela ne suffisait pas, les propriétés du HDZ ont été confisquées, les caisses du parti sont vides et la chef du parti, Jadranka Kosor, qui est aussi Première ministre, demande aux candidats d’hypothéquer leurs propriétés privées pour emprunter les fonds nécessaires au financement de leur campagne électorale.

Au cours des vingt années d’indépendance de la Croatie, le HDZ a gouverné durant seize années le pays. Pourtant, jamais la situation du parti n’a été aussi difficile, ni fin 1999, à la mort de son fondateur et premier Président croate Franjo Tuđman, ni au début des années 2000, quand le HDZ perdit pour la première fois les législatives.

Le procès Sanader

Le procès d’Ivo Sanander s’est ouvert début novembre, un an après sa fuite en Autriche, qui lui a valu un séjour dans les prisons de Salzbourg puis de Zagreb. Dès son ouverture, le procès a mis en évidence l’absence totale de scrupule des dirigeants du HDZ dans l’utilisation de l’argent public à des fins privées. Dans ce premier procès, Ivo Sanader est accusé de corruption passive par la banque autrichienne Hypo Bank [1], mais d’autres procès sont également prévus, le plus intéressant étant celui concernant la Compagnie pétrolière croate (INA), la plus grosse entreprise publique du pays. Sanader est accusé d’avoir accepté un pot-de-vin de 10 millions d’euros pour laisser la société hongroise MOL administrer INA, alors qu’elle ne possédait que 45% du capital.

Le parallèle entre les tribulations politiques croates actuelles et un thriller ne s’avère pas exagéré : des journalistes ont révélé l’existence d’un « film » tourné dans un grand restaurant de Zagreb, Marcellino, ayant pour protagoniste l’ancien Premier ministre Sanader et l’administrateur délégué de la compagnie hongroise MOL, Zsolta Hernadi. Les journalistes du quotidien de Zagreb, Jutarnji list, qui ont réussi à voir le film, en ont décrit les images.

À la mi-octobre 2009, Sanader et Hernadi, sans savoir que le restaurent possède une caméra de surveillance, sont assis seuls à une table isolée. Peu après s’être installé, Sanader enlève la batterie de son téléphone portable, craignant visiblement d’être retracé, et sort un bloc-note de sa poche qu’il tend à Hernadi. Aucun mot n’est échangé. Hernadi lit ce qui est inscrit sur le carnet, prend son téléphone portable et on le voit taper sur les touches, comme s’il utilisait sa calculatrice. Quelques minutes plus tard, il écrit quelque chose sur le carnet et le redonne à l’ancien Premier ministre. Ce dernier, après avoir regardé sur le bloc-note, émet un grand sourire de satisfaction en regardant son interlocuteur et les deux hommes trinquent avec un verre de vin coûteux.

Les journalistes sont convaincus qu’il s’agit du moment où Ivo Sanader et Zsolta Hernadi se sont mis d’accord sur les 10 millions d’euros versés à l’ancien Premier ministre. En échange, la MOL a la possibilité d’assumer l’administration de l’INA, bien que la compagnie hongroise ne possède pas la majorité des actions de la compagnie pétrolière croate.

Le tribunal utilisera probablement cet enregistrement comme preuve, car le restaurant met en évidence un avis indiquant que l’établissement est placé sous surveillance vidéo. On ne sait pas encore comment les deux hommes n’ont pas tenu compte de ce fait, toujours est-il que cet enregistrement pourrait leur coûter à chacun une longue peine de prison.

Corruption et malversations

L’affaire, révélée récemment, du détournement d’argent public, a horrifié l’opinion publique croate, déjà choquée par une série d’autres histoires de corruption mettant en vedette le HDZ. En plus des procès de corruption passive avec Hypo Bank et MOL, Ivo Sanader doit faire face à un troisième procès pour avoir détourné de grosses sommes d’argent aux entreprises publiques.

En Croatie, l’affaire est connue sous le nom de « Fini Media », parce que cette société privée détenue par un ami proche de Mladen Barišić, directeur des douanes croates et trésorier du HDZ, a permis de générer beaucoup d’argent. Le système était très simple : Ivo Sanader, alors qu’il occupait le poste de Premier ministre, a tenu une réunion avec les directeurs des grandes entreprises publiques, telles que Électricité de Croatie (HEP), les Autoroutes croates (HAP), Assurances de Croatie, et d’autres, et leur a intimé l’ordre de donner tous leur contrats de campagnes de publicité exclusivement à Fini Media.

Les fausses factures émises par Fini Media étaient régulièrement payées par les entreprises publiques, alors que Fini Media reversait l’argent comptant au chef des douanes croates, alors responsable de la caisse du HDZ. Il est vrai que le HDZ a utilisé une partie de cet argent pour financer sa campagne électorale, mais la majorité de l’argent liquide, comme l’a démontré l’enquête, a été transféré à Ivo Sanader. On parle là de plusieurs millions d’euros.

Les scandales répétés au sein du parti au gouvernement, dans lesquels plusieurs autres fonctionnaires du HDZ sont impliqués, ont amené le consensus du parti au point le plus bas jamais atteint. À un mois des élections, les sondages sur les résultats électoraux laissent prévoir un véritable fiasco pour le HDZ. Il en est tel que la majeure partie des analystes déclarent que les élections ne seront qu’une pure formalité, car les dés sont déjà joués.

L’opposition de gauche, réunie sous le nom de « Coalition Kukuriku » (« Cocorico »), se compose du Parti social-démocrate (SDP), du Parti populaire croate (HNS), du Forum démocratique d’Istrie (IDS-DDI) et du Parti des retraités. Tous semblent convaincu que la Coalition sera la grande gagnante des prochaines élections. On se demande seulement dans quelle proportion. La déconfiture du HDZ sera-t-elle écrasante et le nombre de ses députés au prochain parlement deviendra-t-il seulement symbolique, comme le maintiennent certains analystes ?

Dans ce contexte, il n’est plus impensable que le HDZ disparaisse complètement de la scène politique du pays. Dans ce cas, la vie politique croate au lendemain des élections sera complètement différente de tout ce que nous avons connu ces vingt dernières années.

Drago Hedl à l’honneur

Le 24 octobre dernier, à Vienne, Drago Hedl a reçu le prestigieux prix journalistique « Dr. Erhard Busek - SEEMO 2011 Award ». Un jury composé de 11 membres a décerné le premier prix à Drago Hedl pour son extraordinaire contribution à l’amélioration de la communication inter-ethnique et à la réconciliation, ainsi que pour ses mérites dans ses enquêtes sur les crimes de guerre commis en Croatie dans les années ’90.

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[1] Voir notre article : Croatie : l’ancien Premier ministre Ivo Sanader officiellement accusé de « profits de guerre »