Kosovo como excusa de la política serbia

Dnevnik, balkans.courriers.info
Les citoyens de Serbie pris au piège du Kosovo
Traduit par Jasna Andjelic
Publié dans la presse : 9 septembre 2007
Mise en ligne : mardi 11 septembre 2007

Les réformes urgentes ? On verra ça quand le statut du Kosovo sera réglé ! Les élections ? Pas avant que la question du Kosovo ne soit tranchée ! L’intégration européenne ? On en reparlera après le Kosovo... Alors que les citoyens de Serbie sont beaucoup plus préoccupés par leurs conditions de vie et le développement du pays, une partie de la classe politique serbe utilise la question du Kosovo comme alibi pour éviter d’affronter les problèmes urgents du pays.

Par Ljubinka Malesevic

(Image JPEG) Bien que les négociations officielles sur le Kosovo, qui doivent durer 120 jours et se terminer avant le 10 décembre de cette année, n’aient toujours pas véritablement commencé, les tensions politiques sont déjà fortes en Serbie.

La vie devrait-elle s’arrêter en Serbie et toutes les décisions politiques importantes et longtemps attendues devraient-elles être retardées jusqu’au jour « J » et la décision sur le statut final de la province serbe méridionale ? L’idée que le Kosovo est « la question de toutes les questions », et qu’il faudrait mettre de côté tous les autres problèmes avant de la résoudre, place de nouveau les citoyens de Serbie en situation de simples observateurs de leur destin, sans aucune possibilité de l’influencer.

Il est inconstestable que le statut du Kosovo est d’une grande importance pour l’État, et que sa solution finale est quelque chose d’important, mais il n’est pas correct de dire aux citoyens qu’ils doivent encore attendre pour obtenir une vie meilleure, sans délais connus.

« Personne ne peut garantir que la question du Kosovo sera prochainement résolue, et il est sûr que ce ne sera pas le cas avant la fin de l’année. On pourrait plutôt parier qu’il n’y aura pas de solution cette année. Faire attendre les citoyens de Serbie revient à abuser de la question du Kosovo. Cela permet de faire oublier aux citoyens les questions fondamentales qu’ils pourraient résoudre ensemble avec les responsables politiques. D’autre part, les citoyens de Serbie n’ont aucune influence sur le statut du Kosovo, et même les dirigeants politiques en ont très peu. Se servir des sentiments des citoyens serbes envers le Kosovo comme d’une valeur symbolique revient à les tromper, et à leur faire oublier complètement la raison d’être des autorités politiques, qui est de résoudre les problèmes économiques et sociaux, de diriger l’État vers un avenir sûr et la croissance », estime le politologue Jovo Bakic.

La professeur Zagorka Golubovic estime que les « recommandations » suggérant qu’il faudrait attendre la résolution de la question du Kosovo pour recommencer à vivre représentent un retour dans les ténèbres de l’époque Miloševic.

« Oser le demander à la population de Serbie signifie revenir dans les ténèbres de l’époque de Slobodan Miloševic, où nous étions le dernier trou noir de l’Europe. Les citoyens de la Serbie ne peuvent plus attendre des années ni des mois, ni même des jours ou des heures, parce qu’ils n’ont plus le temps. Ils ont perdu toute patience et, si on leur posait la question, leurs réponses n’iraient pas dans le sens de ces « recommandations ». Un récent sondage le démontre clairement : le mécontentement a atteint des records, et la situation actuelle doit être changée d’urgence. Les résultats du sondage indiquent que, si nous écoutons le Premier ministre et ne discutons de rien tant que le statut du Kosovo, n’est pas résolu, nous deviendrons véritablement un trou noir de l’Europe et nous ne pourrons jamais entrer dans l’UE. Nous ne pouvons plus perdre une seconde, et je me demande pourquoi le Parti démocratique (DS) ne réagit pas de façon plus ferme et ne s’oppose pas à cette politique, même au prix d’une rupture de la coalition. L’actuelle coalition gouvernementale ne peut mener qu’au déclin », dit la professeur Zagorka Golubovic.

Pour elle, toutes ces invitations à retarder la résolution des autres questions essentielles pour l’État révèlent que le problème du Kosovo n’est qu’un masque qui cache l’incompétence des autorités, qui ne veulent pas affronter les questions vitales de la Serbie.

Le Kosovo, alibi de l’incompétence des politiciens

« Je ne crois pas que Vojislav Koštunica tienne à ce point au Kosovo. Je dirais plutôt qu’il s’en sert comme d’un bon alibi pour différer tous les autres problèmes, parce qu’il n’a ni les compétences ni la volonté de les résoudre. Si les citoyens de la Serbie pouvaient décider, ils choisiraient certainement une politique différente de celle qui risque de nous mener à un nouvel isolement. Les résultats du sondage sont intéressants et même frappants, parce qu’ils montrent que la conscience politique des citoyens est plus développée que celle des hommes politiques. Ils voient mieux ce qu’il ne faut pas faire, ce qu’on ne fait pas et qu’on devrait pourtant faire, et ce qui est à faire. En effet, la grande majorité des personnes interrogées disent : ’ils nous parlent du Kosovo pour éviter de résoudre les problèmes réels, actuels et fondamentaux’. Cette appréciation des citoyens est claire pour tout le monde, sauf pour nos politiciens », conclut Zagorka Golubovic.

Sonja Liht estime elle aussi que les citoyens de la Serbie n’ont plus une seconde à perdre. Elle souligne que l’État est victime d’une sorte de chantage, et que les autorités doivent se rendre compte de leur devoir de s’occuper en même temps de toute les questions importantes, dont le Kosovo.

« Lorsque le Premier ministre Vojislav Koštunica a annoncé cinq priorités gouvernementales, j’étais convaincue qu’il allait s’engager en même temps dans tous ces dossiers, et que toutes les priorités avaient la même importance. Nous n’avons pas le temps d’attendre la solution du problème du Kosovo, d’autant plus qu’il est difficile de prévoir sa solution finale. L’intégration européenne doit être la question centrale, parce que nous avons déjà perdu beaucoup de temps. Nous sommes à nouveau les derniers dans la région dans le processus de rapprochement avec la famille européenne. Pouvons-nous nous comporter de la même manière que la Norvège qui n’est pas entrée dans l’UE, mais qui a non seulement intégré tous les acquis européens, mais les dépasse même d’un pas ? Nous n’avons pas de temps à perdre, à cause de notre situation politique, économique, sociale et éducative difficile, qui fait souffrir et désespère nos concitoyens », explique Sonja Liht.

Sonja Liht pense également que la question du Kosovo est exploitée à un mauvais moment. « Il est vrai que la résolution du statut de cette région est importante pour les citoyens de la Serbie, et cela est visible dans les sondages, mais il est également vrai que ce n’est pas l’enjeu le plus important pour eux. En effet, il est évident que les citoyens donnent la priorité à un meilleur niveau de vie, à l’emploi, à la lutte contre la corruption et la criminalité. La résolution de la crise du Kosovo n’arrive qu’au second plan de leurs préoccupations. Nous ne pouvons pas vivre mieux parce que le marché n’est pas ouvert. Nous sommes en retard pour la signature de l’accord CEFTA parce que notre Parlement ne siège pas et que l’accord n’est toujours pas ratifié. Les séances parlementaires sont retardées parce que les autorités ne réussisent pas à se mettre d’accord entre elles... De ce point de vue, le problème du Kosovo est instrumentalisé par une partie de l’élite politique. Cela remet en question les postulats fondamentaux de la démocratie. Dans ce pays, il est très dangereux de parler de remettre à plus tard les élections, comme le fait le DSS de Koštunica, car cela fait le jeu des ennemis de la démocratie », conclut Sonja Liht.