pobres y marginados gitanos de Kosovo

Nevipe Kosov@, balkans.courriers.info
Rroms au Kosovo : la communauté la plus pauvre et la plus menacée
Traduit par Saimir Mile
Publié dans la presse : 23 octobre 2007
Mise en ligne : vendredi 26 octobre 2007
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Taux élevé de chômage, faiblesse de l’assistance sociale, impossibilité de la scolarisation en langue rromani, faible participation dans la vie économique, culturelle et publique et dans les institutions, tant au niveau central que local, ainsi que très peu de retours des réfugiés et déplacés... Autant de traits qui caractérisent encore la vie de la minorité rrom au Kosovo. Entretien avec Bashkim Hisari, directeur exécutif du « Mouvement pour les Citoyens ».

Diplômé de science politique, Bashkim Hisari est un militant actif dans le domaine des droits de l’Homme et des libertés depuis plusieurs années. Il est entre autres le directeur exécutif du « Mouvement pour les Citoyens » au Kosovo. Depuis 1999, quand les forces de paix sont entrées au Kosovo et jusqu’aujourd’hui, il a centré ses recherches sur la situation des droits des communautés ethniques, parmi lesquelles les Rroms.

Kujtim Paçaku : Quels sont les résultats de votre recherche sur la communauté rrom au Kosovo depuis 1999 ?

Bashkim Hisari : Bien qu’il y ait eu quelques avancées récemment - comme l’amélioration de la liberté de circulation -, les Rroms restent toujours les plus pauvres et les moins en sécurité parmi la population kosovare. Ils vivent aussi bien dans des villes que dans des villages, dans des camps et centres collectifs, souvent en familles nombreuses, jusqu’à 10 membres ; la plupart vivent dans des conditions d’hygiène déplorables et dans une pauvreté extrême. La majorité d’entre eux dépend des prestations sociales, qui ne suffisent pas même à couvrir les besoins les plus élémentaires. Beaucoup d’enfants rroms abandonnent la scolarité prématurément, dès l’école primaire, pour travailler et contribuer à entretenir la famille. Ils font des travaux pénibles, comme la collecte de métaux, du papier, du verre et d’autres matières recyclables, ou bien portent du matériel de construction, ou encore nettoient les rues, les maisons ou les immeubles, pour survivre.

Les Rroms de Kosovo sont de vraies victimes du conflit entre les Albanais et les Serbes, ainsi que des questions politiques non résolues. Ils sont les premières victimes de la paupérisation et de l’absence d’une assistance sociale adéquate, qui objectivement touche la majorité de leur communauté. La situation des Rroms de Kosovo est rendue encore plus compliquée par les tensions entre les partis politiques et entre les communautés ethniques, principalement entre les Albanais et les Serbes, qui ont été renforcées ces derniers temps. Les débats politiques à chaque phase des discussions sur le statut futur du Kosovo et les prochaines élections, auxquelles ces débats sont liés, ne laissent pas beaucoup d’espace pour d’autres questions. Dans une telle situation, la consistance et la protection des droits humains, lorsqu’il est question de la communauté rrom, sont réalisées à la marge, c’est-à-dire concernant essentiellement ce qui peut être traité dans le cadre de la mise en œuvre des standards définis par la communauté internationale. Il est à noter que dans plusieurs parties du Kosovo il existe encore un distancement social des Rroms. Cette mise à l’écart, ainsi que l’auto-isolement, poussent les Rroms à la passivité. Malheureusement, tout cela montre la dure réalité kosovare, qui doit être surmontée.

Kujtim Paçaku : Donc selon vous, la majorité des Rroms au Kosovo ne jouissent toujours pas de leurs droits garantis, comment expliquez-vous cela ?

Bashkim Hisari : Oui. Le cadre constitutionnel du Kosovo garantit à toutes les communautés le droit d’utiliser leur langue et leur écriture en justice, dans les institutions publiques, dans l’éducation et dans les médias. Il leur garantit aussi l’égalité des chances dans l’emploi public à tous les niveaux, le droit d’utiliser leurs symboles en conformité avec la loi, de créer des structures d’enseignement de leur langue, d’avoir des cours sur leur culture, leur histoire et d’utiliser les administrations publiques, les services sociaux et de santé sans discrimination, d’avoir un accès garanti et une représentation dans les médias, d’avoir des programmations en leur langue, etc.

Donc, bien que les règles adoptées par la MINUK et le cadre constitutionnel garantissent ces droits aux communautés ethniques, nous pouvons dire que dans la pratique du Kosovo ils ne sont pas respectés comme ils devraient l’être. Le problème le plus sérieux qui se pose dans ce domaine est la discrimination sociale et les mauvais traitements dont les petites communautés font l’objet, particulièrement les Rroms, lorsqu’il s’agit de droits aussi fondamentaux que le droit au travail, au service public, à l’usage de la langue, au retour, etc. La violence et les abus sur la propriété, qui arrivent parfois aux Rroms de Kosovo, sont un autre problème. Notre étude montre aussi que les Rroms ne bénéficient pas de toute une série d’autres droits. Par exemple, ils ne peuvent pas utiliser leur langue en justice, où il n’y a pas de traduction ; ils doivent donc parler en albanais ou en serbe. La même situation s’observe dans toutes les autres administrations, à tous les niveaux. Les Rroms ne sont pas représentés dans le système judiciaire, ou dans les pouvoirs locaux. À Prizren par exemple, où il y a une concentration considérable de Rroms, seul un Rrom travaille à la mairie. Ils sont souvent discriminés à l’emploi. Une autre cause de leur chômage est aussi l’absence de qualification ou encore la privatisation. Cette dernière touche aussi la population majoritaire, mais les Rroms sont plus particulièrement touchés, et dans certaines zones le taux de chômage parmi eux atteint 98%.

Concernant l’éducation, les enfants rroms ne peuvent pas être scolarisés en leur langue ; une telle possibilité n’existe pas à l’école publique. Ils n’ont pas non plus d’institutions scolaires propres pour une scolarisation en rromani. Il y a eu quelques tentatives à l’initiative d’ONG pour enseigner en rromani, mais jusqu’à présent elles n’ont pas réussi. Les enfants rroms sont scolarisés principalement en albanais, puis dans une moindre mesure en turc ou bien dans les écoles parallèles serbes, en serbe. L’extrême pauvreté influe négativement sur l’éducation, puisque certaines familles ne peuvent même pas acheter les livres pour leurs enfants. Lors de l’enquête que nous avons menée à Prizren l’année dernière, nous avons identifié 1.950 enfants en âge scolaire. Sur ceux-là, 24% des enfants rroms allaient à l’école : 21,6% à l’école primaire, 1,6% au lycée et seulement 3% dans l’enseignement supérieur. En ce qui concerne les médias aussi, les Rroms n’ont pas suffisamment de programmes en leur langue et ils sont symboliquement représentés dans les médias privés au Kosovo. Sur 112 stations de radio, 72 émettent uniquement en albanais, 35 uniquement en serbe et 11 sont multiethniques et/ou multilingues. Jusqu’à très récemment, aucune station de radio n’avait de programme en rromani. Depuis le 13 avril 2006, la chaîne turque de télévision « Yeni Donem » a commencé à émettre, et elle avait aussi un programme en rromani. Elle a dû cependant interrompre ce programme, très probablement pour des raisons financières. Heureusement, une nouvelle radio commencera à émettre à Prizren, qui intégrera aussi un programme en rromani. Les Rroms utilisent très peu leurs symboles. En ce qui concerne la protection sociale et de santé, la situation est en train de s’améliorer. Ces derniers temps nous observons aussi une amélioration de la liberté de circulation, mais la situation est variable selon la région considérée. Ainsi, par exemple, dans la région de Mitrovica, les Rroms craignent toujours des incidents éventuels, et cela vaut aussi pour Gjilan/Gnjilane et Ferizaj/Uroševac.

Kujtim Paçaku : Selon vous, quelles sont les causes de la persistance de cette situation et de la non-résolution des problèmes des Rroms au Kosovo ?

Bashkim Hisari : En tant que militant pour les droits humains qui observe depuis plusieurs années la situation des minorités, je me suis souvent posé ce type de questions. Pourquoi est-ce que le temps passe et que les problèmes dont souffrent les Rroms ne sont pas résolus ? Pourquoi y a-t-il parmi eux tant de pauvres, de sans emploi, et même d’analphabètes ? Pourquoi sont-ils si souvent discriminés ? Qu’est-ce qui leur fait défaut pour atteindre l’égalité avec les autres et afin que leurs problèmes soient résolus efficacement ? Est-ce parce qu’ils n’ont pas de leaders responsables, ou bien pas assez d’intellectuels ? Ou bien parce qu’ils sont trop pragmatiques ? Je n’ai pas trouvé de vraies réponses à ces questions.

Quoi qu’il en soit, je pense qu’il faut encore du temps pour arriver à un niveau acceptable de réalisation des droits des Rroms au Kosovo, parce qu’on ne peut pas parler de protection réelle des droits humains tant qu’une bonne partie de la communauté rrom n’aura pas les conditions minimales pour mener une vie normale, tant que ces personnes n’auront pas un toit, un emploi, tant qu’ils n’auront pas la sécurité économique nécessaire et qu’ils subiront différentes formes de violence, aussi faible soit-elle en intensité.

Malheureusement, un grand nombre de Rroms ne sont pas rentrés dans leurs maisons, parce qu’elles ont été détruites ou abandonnées après 1999 et n’ont pas été reconstruites, ou alors ne l’ont été que partiellement et pas d’une manière correcte. Beaucoup de Rroms n’ont donc pas de toit. Ils vivent dans des centres collectifs et dans des camps un peu partout : à Plemetina, près de Kastriot/Obili ?, au quartier « Kolonia » à Gjakovë/Djakovica, dans trois camps distincts à Mitrovica-Nord, - « Çesmin Llug », « Zhitkovac » et « Kabllar ». La majorité des quelques 1.000 Rroms de ces trois derniers camps ont déménagé depuis peu dans un autre camp, appelé « Osterode », toujours au nord de Mitrovica. Leur sécurité est assurée par la KFOR, la police de la MINUK et le Service de police du Kosovo. Ils peuvent circuler librement et faire les marchés, mais ils sont toujours effrayés par les extrémistes albanais et serbes. D’autres Rroms du Kosovo vivent dans un camp à Albaniku/Leposavi ?, d’autres encore se sont réfugiés en Serbie, au Monténégro, en Macédoine et dans des pays d’Europe occidentale. Il est difficile d’être optimiste en ce moment et d’attendre des changements rapides de la situation des Rroms du Kosovo, parce que les problèmes qu’ils rencontrent sont présents aussi chez la majorité albanaise.

Kujtim Paçaku : Dans quelle mesure les Rroms sont-ils intégrés dans la société kosovare ?

Bashkim Hisari : Les Rroms sont en train de s’intégrer dans la société kosovare ; il y a quelques progrès, mais l’intégration n’est pas encore satisfaisante. Ils ne sont pas aussi intégrés que les Bosniaques, les Turcs ou les Ashkalis/Égyptiens. Les Rroms ont leurs propres partis politiques mais ceux-ci ne participent pas au pouvoir, ni au niveau local ni au niveau central.

En application des règlements de la MINUK, il y a des places réservées pour les minorités dans les pouvoirs locaux et aussi au Parlement du Kosovo, en proportion avec la population. De cette manière, 20 sièges sont réservés au Parlement pour les minorités. Les Rroms y ont aussi leur représentant, mais ils ne sont pas satisfaits de son travail. Ils estiment en effet qu’il n’a pas fait le nécessaire pour l’amélioration de leur situation générale et pour leur intégration dans la société kosovare. D’un autre côté, il n’existe pas de mécanisme légal pour renforcer la position du représentant d’une minorité lorsque des questions particulièrement pertinentes pour cette minorité sont discutées. Notre étude a montré clairement que parmi toutes les minorités, les Rroms sont ceux qui participent le moins au pouvoir local, également. Même dans des zones où il y a une forte concentration de Rroms, ils n’ont pas de représentants.

Kujtim Paçaku : D’après votre analyse, que faudrait-il faire pour améliorer la situation de la communauté rrom au Kosovo ?

Bashkim Hisari : D’abord, les institutions provisoires du Kosovo et la MINUK devraient œuvrer plus en ce sens, en améliorant la situation économique, l’éducation, l’emploi, l’accès aux prestations sociales et en mettant en place les dispositifs nécessaires pour l’utilisation de la langue rromani. Il faudrait aussi créer les conditions pour le retour des Rroms déplacés dans leurs foyers. La mise en place des standards, qui vise la réalisation de ces droits, doit continuer. Dans ce processus, la participation active des Rroms est la seule manière d’assurer la protection de leurs droits.

Les institutions du Kosovo devraient assurer la participation de la communauté rrom dans le processus de la prise de décisions, tant au niveau local qu’au niveau central.

Étant donné que les enfants rroms au Kosovo n’ont pas la possibilité d’être scolarisés en leur langue, le ministère de l’Éducation, de la Science et de la Technologie devrait créer cette possibilité en adoptant le curriculum et en développant le matériel pédagogique en rromani, afin d’assurer à tous les Rroms le droit d’être scolarisés en leur langue.

Enfin, les médias kosovars doivent s’ouvrir un peu plus aux Rroms, et ceci de plusieurs manières à la fois : par des programmes consacrés à la culture, à l’histoire et aux traditions des Rroms, qui reflèteraient leurs activités, en intégrant des journalistes rroms et en diffusant en langue rromani, donnant ainsi aux Rroms l’accès à l’information en leur langue.

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ancien demain. Pour que rien ne se perde, rien ne s’oublie, pour
comprendre le présent et trouver la voie de l’avenir en regardant le
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