entrevista diálogo con Radmila Trajković y Bajram Rexhepi

Danas, balkans.courriers.info
Kosovo : un dialogue est-il encore possible entre Serbes et Albanais ?
Traduit par Persa Aligrudić
Publié dans la presse : 13 avril 2008
Mise en ligne : jeudi 24 avril 2008

Radmila Trajković, Présidente du Conseil exécutif du Comité national serbe du Kosovo et Metohija, et Bajram Rexhepi, maire de Mitrovica et ancien Premier ministre du Kosovo répondent aux questions d’Omer Karabeg au sujet des relations entre Serbes et Albanais. Présence des services secrets serbes, blocage des médicaments, éventuelle partition du Kosovo : autant de sujets conflictuels abordés sans langue de bois.

Omer Karabeg : Y a-t-il encore aujourd’hui des contacts entre Serbes et Albanais au Kosovo ?

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Rada Trajković

Radmila Trajković : Il y a toujours eu et il y aura toujours des contacts individuels, des amitiés. Malheureusement, il n’y a pas de communications normales entre nos deux peuples. Comme si une déshumanisation s’était produite sur notre territoire. Les Serbes ne voient pas les Albanais comme des êtres humains, et inversement. Nous nous regardons les uns les autres comme des ennemis, comme des gens qui nous gênent et nous empêchent de fonctionner librement.

Bajram Rexhepi : Les communications n’ont pas été entièrement rompues, mais il manque le dialogue officiel. Il semble que les gens des deux groupes ethniques ont peur. Pour ce qui est des Albanais, ils ne devraient pas avoir de raisons de se comporter ainsi. Si, auparavant, nous regardions la communauté serbe comme un obstacle à la voie vers l’indépendance, nous n’avons maintenant plus de raisons et nous sommes motivés pour collaborer, pour que la communauté ethnique serbe s’intègre dans la société kosovare. Plus nous développerons de meilleurs rapports avec les autres communautés ethniques, notamment avec les Serbes, plus nous serons soutenus par la démocratie occidentale et plus nous serons proches des intégrations européennes et atlantiques. Je pense qu’il faudra du temps à la communauté serbe pour s’adapter à la nouvelle réalité et comprendre que les autorités en Serbie les ont mal informés en leur disant qu’en comptant sur la Russie et le droit international, comme le disait le Premier ministre Koštunica, il n’y avait aucune chance que le Kosovo obtienne l’indépendance. Mais c’est arrivé, c’est la réalité, et il faut du temps pour l’accepter.

Radmila Trajković : En écoutant monsieur Rexhepi, je réfléchis à ce qu’il a dit, c’est-à-dire à peu près ceci : « Nous sommes ouverts à la collaboration avec les Serbes, nous n’avons plus d’animosité envers eux car nous avons atteint notre but : l’indépendance du Kosovo, et une bonne collaboration avec les Serbes nous est nécessaire pour que nous puissions être membres de l’Union européenne, de l’Otan et de toutes les institutions internationales ». Donc, la raison de la main tendue n’est pas d’accepter les Serbes comme un peuple qui puisse être maître chez lui. Je ne peux pas dire si Bajram Rexhepi désire sincèrement accepter les Serbes, je peux seulement dire que notre expérience du passé ne nous donne vraiment pas beaucoup d’espoir. Au moment où nous parlons, on interdit aux Serbes du Kosovo et Metohija de se soigner, d’une manière très dangereuse, sophistiquée, car on leur demande de reconnaître le ministère de la Santé du Kosovo pour qu’ils puissent avoir le droit de s’approvisionner en médicaments, ce qui est vraiment morbide, car on ne doit pas faire ce genre de chantage avec des personnes malades (Lire « Les Serbes du Kosovo menacés d’un désastre sanitaire »). Les messages qui me permettraient de croire qu’il existe des chances d’une survie durable des Serbes sur ce territoire se font toujours attendre.

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Bajram Rexhepi

Bajram Rexhepi : Lorsque j’ai parlé de notre volonté d’avoir de bons rapports avec les Serbes, au-delà du discours politique, je n’ai pas parlé du facteur humain, de la nécessité d’avoir de bonnes relations. Si nous ne pouvons pas oublier le passé, il est temps de nous tourner vers l’avenir, où sont nos perspectives communes. Nous avons besoin d’hommes qui ont le courage d’oeuvrer au rapprochement, à la cohabitation et au respect mutuel. En ce qui concerne les médicaments, c’est l’affaire du service des Douanes et de la Minuk. Je pense toutefois qu’il ne devrait pas y avoir trop de procédures, en dehors de celles qui doivent être respectées. Mais je suis d’accord pour dire que cela ne doit pas être conditionné par une reconnaissance du ministère de la Santé. Une autre chose est que l’État de droit doit fonctionner, et il faut que tous les papiers soient en règle.

Omer Karabeg : Craignez-vous une nouvelle escalade de la violence, des conflits directs entre Serbes et Albanais ?

Radmila Tajković : Je pense que les Albanais évitent maintenant d’utiliser leurs puissants réseaux parallèles pour susciter des conflits. Je n’attends pas non plus de provocations armées de la part des Serbes, car nous ne sommes pas capables de le faire. Dans le même temps, l’armée serbe est entièrement consciente du fait que les forces de l’Otan sont partout présentes au Kosovo et Metohija.

Bajram Rexhepi : Je crois qu’il n’y aura pas d’escalade de la violence, bien que théoriquement cela reste toujours possible. Nous avons isolé les extrémistes potentiels parmi les Albanais pour empêcher tout conflit. Je ne remarque pas non plus chez les Serbes l’intention de provoquer un conflit interethnique. Je pense qu’en ce moment, le plus grand danger est représenté par la présence des structures parallèles de sécurité formées par les anciens membres du ministère de l’Intérieur de Serbie (MUP), surtout dans la partie nord du Kosovo.

Radmila Trajković : En ce qui concerne les services secrets serbes au nord de Kosovo et Metohija, ils sont peu importants, voire insignifiants. Recueillir des informations au sein de la communauté serbe n’est pas la priorité des services secrets serbes. Si des membres de ces services sont au Kosovo, je pense qu’ils sont infiltrés à l’intérieur de la communauté albanaise, ce qui est naturel. Car si les pays qui sont au Kosovo depuis sept ou huit ans ont leurs propres agents de renseignement, pourquoi donc les autorités serbes n’en auraient-elles pas, sachant surtout toujours qu’il y a toujours eu des Albanais au sein de toutes les structures de sécurité serbes. Malheureusement, une partie de la police serbe a tendance à soutenir la criminalité, non seulement la criminalité liée aux conflits interethniques, mais la criminalité en tous genres. Je crois que le ministère de l’Intérieur à Belgrade n’a toujours pas écarté de ses services les hommes qui le compromettent. On sait qui sont ces hommes et il ne faut permettre à personne de créer des tensions entre Serbes et Albanais.

Omer Karabeg : Bajram Rexhepi, avez-vous la preuve que les services secrets serbes agissent au Kosovo ?

Bajram Rexhepi : Il est probable qu’ils existent bien que je n’aie pas d’informations et que je ne m’occupe pas de ce sujet, mais au nord du Kosovo il y a des anciens membres du MUP de Serbie. On connaît leurs noms et on sait qu’ils ont participé aux manifestations du 17 mars dernier, quand des policiers de la Minuk et des soldats de la Kfor ont été blessés. Tout a été filmé et il est probable que lorsque l’enquête sera terminée, certains responsables seront arrêtés. La communauté serbe sera alors débarrassée de ces hommes, car les Serbes au Kosovo sont les otages de groupes qui ne sont pas venus ici pour des raisons de patriotisme. Ce sont des criminels et des profiteurs de guerre qui ne permettent pas aux autres de vivre et de cohabiter normalement.

Omer Karabeg : Récemment, certaines démarches de Belgrade, plus précisément du ministère pour le Kosovo et Metohija, laissent à penser que des préparatifs sont envisagés pour la partition du Kosovo. Pensez-vous qu’une telle division pourrait se faire ?

Radmila Trajković : S’il existe une solution encore pire que l’indépendance sous surveillance du plan Ahtisaari, c’est bien celle de la division du Kosovo. C’est absolument inacceptable, aussi bien pour le peuple serbe qui est resté au Kosovo et Metohija que pour ses membres qui ont été déplacés. Je ne peux vraiment pas comprendre monsieur Samaržić, ministre pour le Kosovo et Metohija. Comment est-il possible d’avoir le pouvoir sur un espace, sans en contrôler le territoire ? Pour avoir le pouvoir, il est nécessaire d’avoir un territoire. La division qu’il essaie de dissimuler en disant que c’est une division du pouvoir, et non pas du territoire, est à mon avis absolument incompréhensible et inacceptable. Quoi qu’il en soit, je pense que ce projet serait fatal pour les Serbes et, comme tel, il ne devrait pas être accepté par les milieux sérieux de Belgrade.

Omer Karabeg : Monsieur Rexhepi, avez-vous peur de la division du Kosovo ?

Bajram Rexhepi : Maintenant, non, je n’ai plus peur de la division. Cela était possible avant, à l’époque du Premier ministre Đinđić, nous en étions assez près. Maintenant, ce projet n’a réellement aucune chance d’aboutir. Ce n’est pas acceptable pour les Albanais, et je suis entièrement d’accord avec les propos de Madame Trajković, qui estime que ce serait aussi fatal pour la communauté ethnique serbe.