"2020: la démocratie en recul dans le monde?", François Brousseau

Un policier antiémeute lors d'une manifestation à Hong Kong le 7 août.

La démocratie est actuellement mal en point, elle a mauvaise presse, ses ennemis sont actifs, mais elle n’est pas morte, selon François Brousseau.

Photo : Associated Press / Vincent Thian

François Brousseau
11 h 05 | Mis à jour à  14 h 11
radio-canada

Au seuil de l’an 2020, les grandes promesses de l’an 2000 – prospérité, démocratie pour tous, apaisement des relations internationales, réchauffement climatique contenu – paraissent bien éloignées. Et en bonne partie non tenues.

La démocratie, qui en apparence avait triomphé avec la chute du mur de Berlin, la fin de l’Union soviétique et l’expansion de l’Union européenne vers l’Est, tout en semblant trouver sa niche en Amérique latine et ailleurs, se retrouve aujourd’hui en pleine crise existentielle.

La conclusion de la guerre froide à l’avantage de l’Occident avait annoncé, selon certains auteurs, la fin de l’histoire : tout le monde se serait définitivement réconcilié avec le libéralisme économique (tempéré par la social-démocratie) et une sage alternance (non révolutionnaire) au pouvoir. Mais cette fin de l’histoire est maintenant renvoyée aux calendes grecques!

La mondialisation libérale est terminée

L’ère de la radieuse et optimiste mondialisation libérale est terminée. Les classes moyennes sont inquiètes et déclinantes, les populistes ont le vent dans les voiles. Tout en utilisant les mécanismes de la démocratie, ces derniers conquièrent certains États, le plus souvent sans avoir 50 % d’appuis, mais en utilisant astucieusement les ressorts des différents systèmes électoraux et les jeux d’alliances.

La démocratie représentative va mal : elle est battue en brèche, déconsidérée là où on la considérait pourtant comme bien établie.

Par ses propres procédures éprouvées, elle a accouché de personnages qui lui semblent étrangers ou hostiles : Matteo Salvini en Italie (après l’historique précurseur que fut Silvio Berlusconi), Jair Bolsonaro au Brésil, Rodrigo Duterte aux Philippines, Viktor Orban en Hongrie et, bien sûr (et surtout), Donald Trump aux États-Unis. Sans oublier – plus lointains du point de vue occidental, mais importants – le Turc Erdogan, l’Indien Modi et le Russe Poutine.

Le système démocratique existant – avec ses mécanismes, son arithmétique, ses principes – est assimilé par beaucoup de monde, et de façon souvent injuste, à une fumisterie, de moins en moins capable d’assurer l’expression du peuple et l’équilibre des pouvoirs.

Une clôture de périmètre est construite autour de ce qui est officiellement connu comme un centre de formation professionnelle à Dabancheng, dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang, en Chine, le 4 septembre 2018. Ce centre, situé entre la capitale régionale d'Urumqi et le site touristique de Turpan, fait partie des plus grands et était en cours d'agrandissement au moment où la photo a été prise. La police de Dabancheng avait alors arrêté deux journalistes de Reuters.

Une clôture de périmètre est construite autour de ce qui est officiellement appelé un centre de formation professionnelle à Dabancheng, dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang, en Chine.

Photo : Reuters / Thomas Peter

À l'approche de 2020, devant le malaise de l’Occident naguère dominant, les représentants d’une flopée de régimes autoritaires peuvent aujourd'hui ricaner et dire à l’adresse des Européens et des Nord-Américains : C’est donc ça, votre démocratie? Vous pouvez la garder et cesser de nous faire la leçon!

Et plus loin, en Extrême-Orient, la Chine ne fait même pas semblant d’être démocratique. Elle profite de ce désarroi pour mettre en avant sa force, son efficacité avec un contre-modèle à poigne qui ne se cache plus, trouve des clients et fait se courber un peu tout le monde devant elle.

Johnson : un second Trump?

Comment classer, dans la galerie de personnages précités, Boris Johnson, après son éclatante victoire du 12 décembre, avec le fameux Get Brexit done (Réalisons le Brexit), martelé du premier au dernier jour de sa campagne?

On l’a considéré d’emblée comme une sorte de cousin anglo-saxon de l’autre grand blond, celui de la Maison-Blanche : même nationalisme affiché, même ironie cruelle contre ses adversaires, même légèreté dans son rapport à la vérité et aux faits. Rappelons que la victoire du référendum en juin 2016 fut obtenue grâce à un mensonge : la démagogique promesse de payer le système de santé national avec les futures économies du Brexit. Et puis ce côté dilettante du membre de l’élite soudain métamorphosé en défenseur du peuple.

Mais, plus profondément, il y a un monde de différences entre Trump et Johnson.

À Washington, on assiste à un véritable assaut contre la démocratie telle qu’on la pratique depuis deux siècles aux États-Unis : réalité autre, ignorance superbe et assumée des détails, refus de la division des pouvoirs, illégitimité de toute critique, adversaires considérés comme des ennemis, réduction d’un parti politique devenu l’instrument d’un seul homme, nominations systématiques d’amis radicaux dans l’espace judiciaire, trahison des alliés, collusion avec des puissances étrangères, etc.

Le danger pour la démocratie provient de l’accumulation, chez un seul homme, dans un seul régime, en un même endroit, non pas de deux ou trois de ces caractéristiques, mais de l'ensemble de celles-ci en même temps. Surtout lorsqu’il s’agit d’un pays aussi important…

Le président américain, Donald Trump.

La procédure de destitution de Donald Trump animera certainement le début d'année 2020.

Photo : Reuters / Leah Millis

À Londres, les frasques, les mensonges et les manières clownesques d’un Johnson n’équivalent ni à une haine ni à la déconstruction de la démocratie (et ce, malgré l’épisode, d’ailleurs avorté, de la suspension forcée de la Chambre en septembre 2019).

La victoire conservatrice du 12 décembre était claire, nette et même écrasante – en tout cas selon les règles du système uninominal à un tour : 56 % des sièges avec 43,6 % des suffrages exprimés – à la suite d’une campagne où l’enjeu principal, sinon unique, n’a pas été caché.

Le retour des nations

Cela dit, même si Boris Johnson est un membre léger – et toujours fondamentalement démocrate – de l’internationale populiste et nationaliste, il en est un porte-étendard, volontaire ou non, pour le monde entier. Le Brexit incarne le retour des nations, pour le meilleur ou pour le pire (il pourrait avoir pour effet de détricoter le Royaume-Uni, à commencer par l’Écosse et l’Irlande!).

Et son triomphe est une excellente nouvelle pour des gens comme Donald Trump, Benyamin Nétanyahou, Matteo Salvini et d'autres.

En Inde, Narendra Modi travaille activement à « hindouiser » son pays et à y marginaliser les musulmans. En Turquie, le néo-dictateur Recep Tayyip Erdogan enferme ses opposants, menace l’Europe et pousse les feux de la guerre en Syrie et jusqu’en Libye.

Une jeune femme se couvre le visage. En arrière-plan, d'immenses colonnes de fumées noires.

Les Turcs ont lancé l'offensive le 9 octobre dernier et les combats sont particulièrement intenses dans la ville frontalière de Ras al-Aïn.

Photo : afp via getty images / DELIL SOULEIMAN

Bolsonaro au Brésil, Duterte aux Philippines – en réalité, plus proches cousins de Trump que ne l’est Boris Johnson – encouragent la justice sommaire et la violence d’État contre la criminalité, tout en reculant de manière effrontée et idéologique sur la protection de l’environnement. Le Venezuela, lui, reste un « trou noir » de la démocratie latino-américaine.

En Italie, pour l’instant écarté, Salvini attend son heure qui pourrait vite revenir. En Pologne et en Hongrie, les populistes Kaczynski et Orban poursuivent leur travail de sape et de déconstruction des institutions indépendantes (culture, médias, tribunaux), et même de la vraie entreprise privée.

La résistance

La résistance? Elle existe. D’abord au coeur même des sociétés concernées, où le pluralisme politique n’a pas disparu, où la « déconstruction » appréhendée n’est pas au même niveau partout (la Pologne et la Hongrie étant peut-être les plus « avancées » dans ce processus), et où le nationalisme peut souvent s’exprimer sans menacer la démocratie, voire en la réclamant (comme en Catalogne). Même en Hongrie et en Pologne, de grandes villes sont récemment passées à l’opposition libérale.

La lutte pour la démocratie, pour son maintien, son renouvellement ou son installation, a ses hérauts en 2019-2020, sous toutes les latitudes : les marcheurs du mouvement Hirak en Algérie, les jeunes Libanais excédés par le confessionnalisme et réclamant la laïcité, les Chiliens en révolte contre la « démocratie oligarchique ».

Vue aérienne de la grande place où se sont rassemblés près de 45 000 manifestants pro-Catalogne à Bruxelles.

Des centaines de milliers de Catalans sont descendus dans la rue en 2019 et n'entendent pas lâcher prise face à Madrid.

Photo : Reuters / François Lenoir

Et puis, aux portes des grands empires autoritaires, les petits résistent aux puissants.

Taïwanais et Hongkongais tiennent la dragée haute à la Chine, en brandissant le flambeau de la démocratie pluraliste. Pékin enrage et ne sait que faire.

Et dans un coin du monde où la démocratie est neuve et mal assurée, la campagne ukrainienne, en 2019, malgré son résultat étrange (l’élection d’un jeune comédien nommé Volomydyr Zelensky), a permis de voir une vraie compétition.

Une liberté d’expression bien affirmée, une opposition présente à la télévision, des procédures de vote relativement « propres », un président sortant qui a reconnu sa défaite sans coup férir : toutes choses inimaginables dans la Russie voisine de Vladimir Poutine!

Alors qu'arrive 2020, la démocratie est mal en point, elle a mauvaise presse, ses ennemis sont actifs, mais elle n’est pas morte.