"La puissance, quels sont ses fondamentaux?", Pierre Verluise
Par , le 10 novembre 2013, diploweb
Directeur du Diploweb.com. P. Verluise enseigne la Géographie politique à la Sorbonne, au Magistère de relations internationales et action à l’étranger de l’Université Paris I. Il a fondé le séminaire géopolitique de l’Europe à l’Ecole de guerre. Distinguished Professor de Géopolitique à GEM. Pierre Verluise publie Géopolitique des frontières européennes. Elargir, jusqu’où ?, Paris, Editions Argos, Diffusion PUF, 20 cartes en couleur. Il publie également au format Kindle L’Europe éclatée ?, disponible sur Amazon.
Quels sont les fondamentaux de la puissance ? La puissance est concept multiforme, évolutif et complexe qui repose sur des fondamentaux comme le territoire, les hommes et le désir. Il arrive que des ruptures technologiques – hier le nucléaire militaire – plus récemment Internet, redessinent les contours et les moyens de la puissance.
L’avenir reste incertain mais nous pouvons parier que ceux qui se détournent de la quête de puissance ont toutes les chances de sortir des premiers rangs.
LE TERME DE PUISSANCE est synonyme de pouvoir. Les langues anglaise avec power ou allemande avec Macht utilisent d’ailleurs le même mot. En géopolitique, comme dans les relations internationales, la notion de puissance fait le plus souvent référence à des États mais d’autres acteurs sont dotés d’une puissance indéniable, notamment les institutions financières, les firmes transnationales ou les organisations non gouvernementales majeures. Pour ne pas parler des organisations criminelles.
S’inspirant de Raymond Aron, Serge Sur écrit : « On définira la puissance comme une capacité - capacité de faire ; capacité de faire faire ; capacité d’empêcher de faire ; capacité de refuser de faire. » [1]
Un premier exemple : les Etats-Unis ont réussit à imposer au gouvernement français de F. Fillon (2007-2012) une participation au système de défense antimissile pour l’Europe – qui devient ainsi un élément avancé de la défense des États-Unis – alors que les stratèges français sont convaincus que la France n’a rien à y gagner, bien au contraire. Paris, en l’occurrence, n’a pas pu refuser de faire. Et Washington a pu imposer sa capacité de faire faire.
Un deuxième exemple : la Russie de V. Poutine a pris à contrepied le président F. Hollande dans le déroulé de son intervention militaire en Syrie, annoncée comme quasi certaine lors de la conférence des Ambassadeurs fin août 2013, puis suspendue dans le vide tant par l’hésitation du président des Etats-Unis que par la proposition du Kremlin au sujet du contrôle des stocks d’armes chimiques de Damas. Il s’agit ici d’une « capacité d’empêcher de faire. » Irrités, certains analystes ont reproché à la Russie sa « capacité de nuisance ». Chacun observera cependant que cette formule - plaisante, voire efficace - est toujours convoquée pour caractériser l’attitude des « Autres ». En fait, il s’agit d’un volet de la puissance.
Pour le dire autrement, la puissance caractérise la capacité d’un acteur du système international à agir sur les autres acteurs et sur le système lui-même pour défendre ce qu’il croît être ses intérêts, atteindre ses objectifs, préserver voire renforcer sa suprématie.
Robert Kagan résume ainsi la puissance comme la capacité à faire l’Histoire, avec un H majuscule. La puissance a pour objectif affiché la sécurité nationale, mais elle peut devenir auto-destructrice, selon Paul Kennedy, lorsqu’elle atteint le seuil de la « surextension impériale ». Ou bien, plus simplement, lorsque sa mise en œuvre est maladroite. Ce qui arrive plus souvent qu’on croît, sans parler des rôles déterminants de la bêtise et de l’erreur dans l’histoire mondiale.
Ces quelques réflexions nous conduisent à la problématique suivante : quels sont les fondamentaux de la puissance ?
La première partie présentera une approche du concept de puissance. La seconde partie identifiera trois fondamentaux de la puissance.
PREMIERE PARTIE : LE CONCEPT DE PUISSANCE
La puissance est (A) un concept multiforme, (B) évolutif et (C) complexe.
A. Un concept multiforme,
On distingue d’abord les puissances régionales des puissances mondiales.
La puissance implique, en effet, une hiérarchie des acteurs : hyperpuissance, superpuissance, puissance moyenne, puissance déclinante, ancienne puissance, puissance ré-émergente, puissance émergente, etc. Le système international évolue en fonction de cette hiérarchie mouvante des puissances et des capacités variables des Etats.
Le système international est multipolaire si plusieurs puissances sont en concurrence, bi-polaire si deux d’entre-elles dominent comme durant la Guerre froide (1947-1990), ou unipolaire si un seul Etat impose son hégémonie comme c’est le cas après la disparition de l’Union soviétique en 1991. Reste à savoir jusqu’à quand… Nous sommes – dit-on - actuellement dans une période de transition entre un monde unipolaire – dominé par les Etats-Unis – et un monde multipolaire marqué par l’émergence ou la réémergence de puissances comme le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine – les fameux BRIC – et bien d’autres, par exemple l’Afrique du Sud. À mois qu’il ne s’agisse d’un monde a-polaire…
La puissance s’est d’abord manifestée par la coercition. La guerre, l’impérialisme, l’invasion de territoires expriment une forme de domination fondée sur la force. La guerre façonne la puissance et réciproquement. De façon plus récente, la notion de soft power a été formulée en 1990 par Joseph Nye dans son article « Soft Power », publié par Foreign Policy [2] . Cet auteur entend par là un pouvoir d’attraction ou d’influence d’ordre culturel et commercial plutôt qu’étatique. J. Nye souhaite mettre en évidence le pouvoir d’attraction qu’exerce un mode de vie, les valeurs ou les institutions des Etats-Unis. Les puissances n’hésitent pas à utiliser également le hard power, par exemple sous la forme d’un tapis de bombes en 2003 sur l’Irak après avoir prétexté de la menace d’armes de destructions massives qui n’ont jamais été trouvées. En 2009, la secrétaire d’Etat Hillary Clinton prétend mettre en place une politique extérieure dite du smart power, la puissance intelligente. La problématique consistait à restaurer l’image des Etats-Unis dans le monde. Chacun aura noté que soft, hard ou smart, il s’agit toujours de power…
B. … évolutif,
La puissance est un concept plus complexe qu’il n’y parait. D’abord parce que la puissance d’hier n’est pas celle d’aujourd’hui. Il s’agit donc d’un concept évolutif. Chacun comprend intuitivement que les fondamentaux de la puissance à l’époque de la Grèce antique ne seraient guère utiles aujourd’hui. A cet instant, que ferait un hoplite athénien dans une salle de pilotage de drones américains ? Il lui manquerait certainement la maîtrise des techniques pour surveiller et même tuer à distance via un drone fabriqué par le complexe militaro-industriel des États-Unis.
Si il est facile de comprendre et d’admettre que la puissance d’hier n’est pas celle d’aujourd’hui, il est plus déstabilisant de réaliser que - par voie de conséquence - la puissance d’aujourd’hui n’est très probablement pas celle de demain. Autrement dit, les facteurs qui sous-tendent la puissance de l’instant seront nécessairement dévalués, remplacés par d’autres dont nous ignorons l’essentiel. Qui voici seulement vingt ans aurait pensé que le revue Politique étrangère publiée par l’IFRI publierait durant l’été 2012 un numéro intitulé : « Internet, outil de puissance » ? Il s’agit à la fois d’outils de dissémination et de collecte – parfois secrète – de l’information. C’est bien le signe qu’apparaissent de nouveaux facteurs de la puissance. C’est encore la preuve de notre difficulté à identifier les signaux faibles qui construisent le monde de demain sous nos yeux.
La puissance est généralement localisable dans l’espace. Le concept de système monde fondé sur la dualité centre/périphérie parait le mieux adapté pour spatialiser la puissance puisque, de façon imagée, les centres comme lieux de pouvoir, s’opposent aux périphéries ainsi désignées en tant qu’espaces dominés et impuissants.
C. …et complexe
La puissance est un concept complexe qui fait entrer en ligne de compte une multitude de paramètres dont l’importance et la combinaison varient selon les moments voire les lieux. Ce qui rend problématique la conception d’une stratégie de puissance.
Ne perdons pas de vue que la puissance est aussi relative. Jusqu’à ce jour, aucune puissance n’a été capable de contrôler l’ensemble de la planète. A la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan, les Etats-Unis ne maîtrisent pas totalement la situation, en dépit de l’usage des drones... dont les effets s’avèrent parfois contreproductifs. Et il leur a fallut 10 ans pour mettre la main sur Oussama Ben Laden et l’exécuter. Plus on s’éloigne du centre, plus le pouvoir tend à s’amenuiser, s’effilocher. Cependant, il arrive que la puissance soit contestée jusque dans son centre, par des experts (cf. E. Snowden) ou des militants, des partis ou des médias…
La puissance est toujours éphémère. J.-B. Duroselle n’a-t-il pas publié en 1981 « Tout empire périra » ? Dix ans plus tard, l’URSS implosait.
La puissance est toujours éphémère. Le Professeur Jean-Baptiste Duroselle n’a-t-il pas intitulé un livre « Tout empire périra. Une vision théorique des relations internationales », édité aux Publications de la Sorbonne en 1981 ?
De surcroît, la puissance n’est jamais une garantie de succès. Pour s’en convaincre il suffit de considérer les fiascos des Etats-Unis en Afghanistan comme en Irak. Fiascos qui ont projeté leurs effets jusqu’en Libye lorsqu’en 2011 les Etats-Unis ont tout fait pour ne pas apparaître au premier plan, laissant la France et le Royaume-Uni sous les projecteurs. En réalité, 80% des ciblages étaient le fait des services américains, dixit les sources militaires. [3]
La hiérarchie des puissances est fortement déterminée par les conditions techniques dominantes mais elle dépend aussi de la perception que les autres acteurs en ont. Le facteur temps joue ici un rôle parce qu’après avoir longtemps admis la puissance d’un acteur les autres peuvent progressivement s’apercevoir que « Le roi est nu » et contester sa domination.
Toutes ces précautions prises, est-il possible de distinguer quelques paramètres fondamentaux de la puissance ?
DEUXIEME PARTIE : TROIS FONDAMENTAUX DE LA PUISSANCE
Sans prétendre à l’exhaustivité, considérons successivement (A) le territoire, (B) les hommes et – plus original - (C) le désir.
A. Le territoire
Le territoire est une base de la puissance. Il s’agit d’un espace conquis, approprié, défendu. Les occupants oublient le plus souvent qu’ils se le sont approprié aux dépens de prédécesseurs tombés dans les oubliettes de l’histoire - malheur aux vaincus - et considèrent généralement qu’ils sont à la fois les héritiers et les propriétaires légitimes de ce territoire. L’immense majorité des habitants des Etats-Unis pense qu’ils occupent légitimement cet espace, sans se poser beaucoup de questions sur les droits des occupants précédents, les amérindiens, spoliés de leur terres. Il arrive même, avec un certain cynisme, qu’un Etat mette en avant « les peuples premiers » pour justifier ses droits internationaux et ses ambitions sur un territoire, comme le Canada pour les espaces du grand Nord et les nouveaux espaces de navigations ouverts par le réchauffement climatique.
Base de la puissance, le territoire peut permettre de projeter la puissance, au-delà des horizons terrestres ou maritimes. Il importe, en effet pour une puissance de contrôler les routes stratégiques. Durant des millénaires, le territoire fut seulement terrestre, puis il devient spatial avec la conquête de la Lune et plus récemment virtuel avec l’essor de la Toile. Les « autoroutes de l’information » deviennent aussi stratégiques que les « autoroutes maritimes ».
Pour revenir à l’espace terrestre, la superficie du territoire joue un rôle non négligeable mais finalement moins important que sa maîtrise. La superficie des Etats-Unis – 9 millions de kilomètres carrés – est très inférieure à celle de la Russie – 17 millions de kilomètres carrés, mais la puissance des Etats-Unis paraît très supérieure à celle de la Russie. Parce que la Russie ne maîtrise pas véritablement l’ensemble de son territoire, fautes d’un peuplement dynamique, de structures socio-politiques et d’infrastructures économiques à la hauteur de l’immensité – presque la moitié de la circonférence terrestre – et des défis du climat. Il importe donc que le territoire soit investi – dans tous les sens du terme. Parce que le territoire est une ressource. On pense évidemment aux ressources naturelles mais il faut aussi penser à la dimension symbolique du mot ressource. Le territoire est une représentation qui peut mobiliser les hommes, les mettre en mouvement. Ce qui ouvre la porte à toutes les manipulations, notamment à travers les écritures de l’histoire et les figures du discours politique. Voilà pourquoi l’enseignement de l’histoire se trouve régulièrement pris en otage par les uns ou les autres.
Le territoire est la base des activités économiques, très variables selon l’époque et le lieu. Les territoires sont généralement hétérogènes, avec des pôles de richesse et de pauvreté, avec plusieurs gradients possibles entre ces deux situations. La richesse produite peut fournir les moyens de financer une armée et d’acquérir des moyens militaires. Les moyens investis dans les systèmes de défense sont très variables d’un pays à l’autre. Quand la France affiche un porte-avions - à temps partiel [4] - les Etats-Unis en alignent dix, dont une bonne moitié est disponible à la mer. Tous les territoires ne disposent pas aujourd’hui d’une véritable industrie de défense, beaucoup en sont réduit à acheter ce qu’on veut bien leur vendre « sur étagère ». Nul ne sait si il existera encore une industrie européenne de défense digne de ce nom dans une décennie.
Dans le cadre de la mondialisation, les entreprises dont la direction se trouve dans un territoire œuvrent souvent sur d’autres territoires, que ce soit à la recherche de main d’œuvre ou de marché, voire les deux. Les investissements directs étrangers sont des moyens de projeter sa quête de puissance hors frontières.
B. Les hommes
La démographie doit être considérée lorsqu’il est question de puissance. [5] D’abord pour le nombre. Certes, le nombre ne suffit pas pour peser dans le monde. Il est facile de multiplier les exemples de pays dont la population est nombreuse et la puissance à l’état de souvenir… ou de projet. Pour autant, la masse chinoise comme la masse indienne participent - en synergie avec d’autres paramètres – de la montée en puissance de ces pays (ré-)émergents. Engagés dans une dynamique de croissance économique, leur population devient à la fois une main d’œuvre et un marché. N’oublions pas, cependant, que des pays peu peuplés – comme Singapour – pèsent lourd dans la mondialisation pour avoir su valoriser leur territoire, à savoir dans ce cas sa localisation entre l’océan Indien et l’océan Pacifique, sur la route qui permet d’aller d’Asie en Europe.
Les hommes comptent surtout pour la dynamique. Il importe de savoir si la dynamique démographique est à la hausse ou à la baisse. La population augmente-t-elle, stagne-t-elle ou diminue-t-elle ? Quelle est sa fécondité, sa moyenne d’âge, son espérance de vie ? Il faut situer ces indicateurs par rapport au contexte régional puis mondial. Dans la croissance totale de la population, quelle est la part de la croissance naturelle et la part de la croissance migratoire ? Comment les migrants sont-ils intégrés ? Le modèle est-il suffisamment attractif pour que les immigrés fassent les efforts nécessaires pour reprendre à leur compte les valeurs du lieu ? Quelle est leur maîtrise de la langue ? Comment les émigrés – voire les membres de la diaspora – contribuent-ils à l’économie, à l’évolution politique du territoire d’origine et aux relations entre leur pays d’origine et de résidence ? Gérard-François Dumont a amplement démontré le rôle géopolitique croisant des diasporas [6]. La population est-elle vieillissante ? Si oui, comment les personnes âgées sont-elles prises en charge, par la famille élargie ou par la société via des caisses de retraites ? Ces caisses sont-elles privées ou publiques, équilibrée, excédentaires ou déficitaires ? Les fonds de pensions sont-ils des acteurs de la vie économique et si oui comment l’orientent-ils ?
Les hommes – et les femmes - doivent enfin être considérés pour leur niveau de formation. Le niveau d’éducation est critère du niveau de développement mais aussi des perspectives de puissance. Un pays qui néglige son éducation et sa formation permanente pénalise rapidement sa compétitivité. Ce qui renvoie aux efforts consentis - ou non – en faveur de l’innovation. La part du PIB consacrée à la Recherche et Développement (R&D) est-elle de 0,5 %, 1,8 %, 3 % ? Ces efforts sont cumulatifs et finissent par faire la différence entre les Etats. Les puissances cherchent généralement à créer puis maintenir un fossé en la matière avec leurs poursuivants. L’espionnage est un moyen qu’une puissance ne peut pas négliger. Ceux qui imaginent le contraire sont déjà passés de l’autre côté, parfois sans même en avoir conscience.
C. Le désir
La puissance résulte d’abord d’un désir.
Ceux qui se détournent de la quête de puissance ont toutes les chances de sortir des premiers rangs
Tous les peuples ne partagent pas au même moment l’ambition de peser dans le monde, heureusement d’ailleurs. Le désir d’en découdre joue un rôle déterminant, voire déclenchant. Il y a ici un mélange de libido et de pulsion vitale… qui peut conduire au conflit et à la mort, à la victoire comme à la défaite. Il y a généralement des gagnants et des perdants. Dans un monde plus que jamais concurrentiel, les territoires et les populations qui n’ont pas d’ambition de puissance doivent s’attendre à être les jouets des pays qui ont un désir, une stratégie et les moyens de la mettre en œuvre. Aujourd’hui, les Américains sont encore convaincus de leur « destinée manifeste » à dominer le monde et désirent ardemment défendre leur place de premier. Il suffit de s’entretenir avec un officier américain pour se rendre compte que cela ne fait pas l’objet du moindre doute. C’est pour eux une évidence : les États-Unis sont les premiers et doivent tout faire pour le rester, y compris espionner leurs alliés.
Lorsque des pays ou groupes de pays ont des désirs contradictoires cela se traduit par un conflit, commercial ou militaire. Après des conflits de longue durée, il peut arriver qu’une population se détourne de la quête de puissance par des voies militaires pour préférer d’autres voies, par exemple l’économie et le commerce. Chacun pense à l’Allemagne et au Japon qui après leur défaite au terme de la Seconde Guerre mondiale amorcent un rebond par la voie économique. En revanche, chacun peut constater combien l’Allemagne d’Angela Merkel reste hésitante quant à l’usage de la puissance militaire, ce qui s’explique par l’histoire du XXe siècle. Pour autant, le manque d’engagement de la première puissance économique de l’UE dans l’Europe de la défense explique en partie ses insuffisances.
Les institutions doivent mettre en musique avec talent le désir de puissance. Le territoire et les hommes sont généralement administrés par des institutions, le plus souvent aujourd’hui un État. La faiblesse des institutions, leurs contradictions ou leur corruption produisent souvent de l’impuissance. Il en existe des États de tous types, démocratiques ou pas, centralisés ou fédérés. Ces formes politiques reposent sur des règles écrites ou non. Elles participent plus ou moins à la valorisation des territoires, la formation des hommes, l’encadrement des troupes et à la formulation d’une stratégie. Une idéologie peut les animer, explicitement ou implicitement. Cette idéologie n’est peut-être parfois qu’un cache-sexe au désir de puissance. Nous pouvons ainsi nous demander si dans les années 1970-1980 les dirigeants soviétiques croyaient encore au communisme. Seuls les États qui s’en donnent les moyens sont à même d’avoir une chance d’accroître leur puissance, car celle-ci s’impose toujours au détriment d’un autre, en dépit de tous les discours convenus. La quête de puissance implique aussi des choix de priorité, notamment dans l’allocation des ressources financières, humaines et technologique.
Le désir nécessite une stratégie pour arriver à ses fins. Une stratégie est nécessaire pour développer la puissance. Elle impose une analyse de la situation présente, une réflexion sur les lignes de force des temps proches et lointains, des choix d’objectifs, l’allocation de moyens et une mise en œuvre pertinente. Qu’il manque un de ces éléments et la stratégie échoue, comme le plus souvent. Il faut être clair : avoir une stratégie ne suffit pas. Chaque jour, des milliers de stratégies échouent, voire génèrent des effets contreproductifs, bref dégénèrent. Puissance unipolaire, les Etats-Unis se sont eux-mêmes mis en grande difficulté par leurs sur-réactions aux attentats du 11 septembre 2001. Dans la réussite d’une stratégie, une part revient à la conception, aux moyens, aux circonstances… et au hasard pour ne pas dire à la chance. La mise en œuvre est essentielle, faite pour une part d’improvisation dans un contexte inévitablement instable.
Conclusion
Notre problématique était : Quels sont les fondamentaux de la puissance ?
La puissance est concept multiforme, évolutif et complexe qui repose sur des fondamentaux comme le territoire, les hommes et le désir. Il arrive que des ruptures technologiques – hier le nucléaire militaire – plus récemment Internet, redessinent les contours et les moyens de la puissance.
L’avenir reste incertain mais nous pouvons parier que ceux qui se détournent de la quête de puissance ont toutes les chances de sortir des premiers rangs.
Copyright Novembre 2013-Verluise/Diploweb.com
Recommander cette page
[1] Serge Sur, Relations internationales, Paris, 2000, éd. Montchrestien, p. 229. Cité par Patrice Gourdin, Géopolitiques, manuel pratique, éd. Choiseul 2010, p. 19.
[2] Foreign Policy, 1990, n°80, pp. 153-171
[3] Cf. Questions internationales, n°64, Etats-Unis, vers une hégémonie discrète, Novembre-décembre 2013, Paris, La documentation française.
[4] Le porte-avions français Charles de Gaulle n’est à la mer que 65% du temps environ.
[5] Gérard-François Dumont, Démographie politique. Les lois de la géopolitique des populations, Paris, Ellipses, 2007.
[6] Cf. Gérard-François Dumont, Les dix lois de la géopolitique de la démographie, Diplomatie, n°44, Mai-juin 2010, pp. 46-49. « Ces diasporas jouent un rôle tout à fait essentiel à la fois dans leurs pays de résidence et dans les « pays souches » – les territoires où se localise l’origine géographique. Ce rôle croissant des diasporas est mis en évidence dans un certain nombre d’exemples, dont celui, très éclairant, de la diaspora indienne aux États-Unis. Pendant la guerre froide, les États-Unis furent les alliés traditionnels du Pakistan tandis que l’URSS soutenait l’Inde. L’échiquier a considérablement évolué ! L’une des raisons provient notamment de l’action de la diaspora indienne aux Etats-Unis, laquelle a beaucoup œuvré pour favoriser un rapprochement entre New Delhi et Washington, ce qui a abouti à un certain nombre de traités signés entre les deux pays. De même, l’indépendance des pays baltes doit beaucoup au travail géopolitique entrepris par les diasporas baltes aux États-Unis, qui militèrent en permanence pour faciliter ce processus. L’ancienne présidente de Lettonie, Vaira Vike-Freiberga, retournée en Lettonie une fois l’indépendance retrouvée, faisait justement partie de cette diaspora. Les diasporas constituent désormais un troisième acteur des rapports géopolitiques. Les États qui accueillent des diasporas sur leur sol ne peuvent conduire d’action géopolitique sans prendre en compte cette réalité. Le Royaume-Uni est obligé d’intégrer la réalité de la présence d’une importante diaspora pakistanaise et indienne dans ses relations avec le Pakistan et l’Inde. »